Afrique: Jean-Marc Four - « Le rôle d'un média comme RFI est de tout faire pour proposer une information équilibrée et pluraliste »

interview

Le directeur général de la radio française, Jean-Marc Four, s'est déplacé au Congo pour remettre son prix à la jeune lauréate du Prix Découvertes RFI 2023, Jessy B, qui donnera un concert le 13 juin à l'Institut français du Congo. Il se livre au jeu des questions-réponses avec Les Dépêches de Brazzaville.

Les Dépêches de Brazzaville (L.D.B.): La chanson de Jessy B, jeune artiste congolaise talentueuse, lauréate du Prix Découvertes RFI 2023, est un hommage à une jeune fille, Maïmouna, décédée tragiquement au stade d'Ornano, l'année dernière. Qu'est ce qui a motivé le jury dans cette sélection ?

Jean-Marc Four (J-M F.): Ce qui a séduit le jury, c'est la modernité de Jessy B, sa modernité musicale, sa modernité aussi dans ses choix de textes et de thématiques.

Le prix Découvertes RFI est une institution depuis plus de 40 ans, mais je souhaite vraiment qu'il retrouve une envergure maximale, parce que je suis persuadé que la musique est un élément majeur de l'identité de RFI (Radio France internationale) et de notre lien avec nos auditrices et nos auditeurs. Nous venons, d'ailleurs, de créer une toute nouvelle direction de la musique au sein de la chaîne, qui verra le jour le 1er juillet sous la houlette de Vladimir Cagnolari.

Dans ce paysage, la musique urbaine et le rap ont une place importante, en particulier grâce à Juliette Fievet qui présente l'émission « Légendes Urbaines » chaque semaine en radio sur RFI et en télévision sur France 24, et qui va présenter le concert de Jessy B ce 13 juin à Brazzaville.

Pour nous, il est majeur de mettre en valeur le dynamisme du rap africain et c'est pour cela que j'ai tenu à ce que l'on vienne à Brazzaville pour remettre ce prix à la lauréate chez elle, sur le sol congolais.

Ce qui nous a plu, c'est aussi la maturité de Jessy B dans ses choix de textes, sur les droits des femmes, l'autonomie financière. C'est un rap conscient, et la valorisation d'une figure féminine dans un milieu encore très masculin.

L.D.B.: Après le festival panafricain de musique, elle a été nommée l'année dernière meilleure rappeuse de l'Afrique centrale. Entre autres nombreuses gratifications. Vous considérez qu'elle porte la voix et les aspirations de la jeunesse africaine ? Des femmes en général ?

J-M. F.: Oui sans aucun doute. Jessy B revendique haut et fort ce positionnement et elle a bien raison. Non seulement elle a la musique dans le sang (c'est de famille, puisque son père est musicien aussi), mais surtout elle se bat, elle défend des valeurs, elle défend l'affirmation des femmes et de leurs droits dans la société. Elle incarne cela, les valeurs d'une génération qui s'autonomise, et on est admiratif de ça. Elle sait poser les bons mots sur le bon flow musical.

Je ne suis donc pas surpris qu'elle ne cesse de gagner en notoriété et j'espère que le Prix Découvertes va lui donner un beau coup de pouce supplémentaire pour que sa notoriété s'étende à tout le continent, mais aussi au reste du monde. Jessy B est une étoile qui ne sera pas filante. Elle est partie pour durer, d'autant que visiblement, sur scène, ça envoie !

J'ajoute que plus largement, RFI accorde une attention particulière à la visibilité des femmes sur son antenne, en français comme en langues étrangères. RFI est une radio pleinement engagée pour l'égalité femmes-hommes, un combat mené à la fois sur nos antennes, mais aussi en interne en tant qu'entreprise (50% de présentatrices / 50% de présentateurs), tout comme dans les prix qu'elle remet.

L.D.B.: RFI annonce 59 millions d'auditeurs par semaine dans le monde. Émet dans 150 Pays, en français et dans 16 langues étrangères. A ce titre, elle figure parmi les radios les plus écoutées au monde. Envisagez-vous des décrochages régionaux en Afrique, notamment en Afrique centrale, à travers des partenariats avec des médias en place ?

J-M. F.: Nous avons déjà des décrochages régionaux, en mandenkan et en fulfulde depuis Dakar, en haoussa depuis Lagos, en kiswahili depuis Nairobi. Et nous sommes très écoutés en Afrique centrale, par exemple au Congo, avec nos émetteurs FM à Brazza et Pointe Noire. Nous possédons aussi près de 70 correspondants en français sur le continent, et des centaines de radios partenaires.

A l'automne, nous allons rouvrir un poste de correspondant permanent à Kinshasa, et une réflexion est ouverte sur un décrochage en lingala à l'avenir. Mais cela nécessite du travail et bien sûr des échanges avec les pays concernés. Il en va de même pour de nouveaux partenariats, auxquels nous sommes très ouverts, et où chacun trouve un intérêt, gagnant-gagnant.

J'ajoute que notre grille de programmes en français accorde une large place au continent africain, avec la volonté de faire émerger de nouveaux visages, comme Namouri Dosso (qui présente « Le débat africain » le samedi et qui donne la parole aux journalistes du continent africain), Elgas et Kpenahi Traoré (« Afrique, Mémoires d'un continent » diffusé le dimanche), Jennifer Lufau (rendez-vous sur le gaming le samedi), etc.

Et puis aujourd'hui, les partenariats passent aussi par le numérique : 30 millions de personnes nous rejoignent chaque semaine sur les supports numériques (en plus des 59 millions sur la radio « broadcast »).

L.D.B.: Comment abordez-vous la transition vers les nouveaux supports d'écoute, notamment de la jeunesse qui abandonne les médias traditionnels (le poste de radio en l'occurrence) au profit de leurs téléphones ?

J-M. F.: C'est une excellente question, et un défi posé à tous les médias traditionnels. Pour de nombreux jeunes aujourd'hui en Afrique, RFI c'est la radio des parents voire des grands-parents. Pourtant nous avons beaucoup de choses à partager et à échanger avec cette jeunesse.

Il nous faut continuer à nous développer sur ces nouveaux supports et en particulier sur les téléphones. Cela passe par l'écoute en ligne direct (par exemple via notre nouvelle application RFI Pure Radio qui est un vrai succès et a été pensée pour l'écoute en direct ou la réécoute) et bien sûr à travers les réseaux sociaux, via nos chaînes WhatsApp qui sont un énorme succès pour RFI (près de 2 millions d'abonnés pour la chaîne RFI et autant pour la chaîne spécifique de l'émission « Appels sur l'actualité »).

Qui plus est France Médias Monde, la maison mère de RFI, et sous l'impulsion de sa présidente Marie-Christine Saragosse, a pour projet de lancer en Afrique une offre 100% numérique à destination des jeunes du continent, avec une équipe 100% africaine et qui parlera des préoccupations des jeunes.

C'est majeur aussi d'aller sur ces réseaux parce que c'est là que prolifèrent les fausses informations : le rôle d'un média comme RFI est de combattre ces fausses informations, et de tout faire pour proposer une information équilibrée et pluraliste, comme nous l'avons fait en décryptant les enjeux et les campagnes des élections de ces derniers mois en République démocratique du Congo ou au Sénégal.

L.D.B.: L'information va de plus en plus vite, l'intelligence artificielle ouvre des perspectives immenses et inquiétantes. Comment une radio occidentale comme la vôtre peut amorcer ce virage et rester proche d'une Afrique qui aspire à se dégager de tout ce qui peut être assimilé à une tutelle... ?

J-M. F.: Là encore, c'est une excellente question face à laquelle il ne faut pas se dérober. Il existe aujourd'hui une formidable et légitime aspiration dans les pays du continent à s'autonomiser et se libérer de toute forme de tutelle d'où qu'elle vienne. C'est en soi une excellente nouvelle, et RFI ne peut qu'adhérer à cette idée parce que nous-mêmes sommes favorables à ces valeurs d'émancipation. Nous les défendons et les propageons dans nos émissions.

L'écueil est que nous sommes parfois utilisés comme des boucs émissaires, pour régler, à travers nous, des comptes avec le pouvoir français ou l'ancienne puissance coloniale. C'est une facilité voire une tromperie, à double titre. D'une part, parce que RFI ne retranscrit pas la position du gouvernement français. Nous sommes un média de service public, pas un média d'Etat, et nous travaillons librement.

D'autre part, parce que ceux qui nous censurent cherchent surtout à censurer l'information libre plutôt qu'à régler des comptes avec la France. Nous montrer du doigt comme « des agents de la France », c'est en fait un alibi pour censurer l'information. Aujourd'hui, en particulier dans la zone du Sahel, la liberté d'informer et l'ensemble des libertés fondamentales sont menacés. Et les médias nationaux ou locaux sont encore plus menacés que RFI.

Notre réponse, c'est de fournir sans relâche une information fiable et vérifiée, de fournir des repères pour comprendre le monde, de lutter sans cesse contre les fausses informations, favorisées par les réseaux sociaux et l'intelligence artificielle. Et cela passe notamment par la présence de nos correspondants et envoyés spéciaux sur le terrain, partout dans le monde et sur le continent, au plus près des faits.

Il s'agit aussi d'entretenir et de renforcer le lien de confiance avec la radio. A ce titre, RFI a également mis à l'antenne plusieurs programmes pour expliquer, en toute transparence, comment travaillent les journalistes de la rédaction : le magazine « Pourquoi RFI dit ça ? », diffusé le vendredi soir (une création de la nouvelle grille mise en place en avril), l'émission et le podcast « Témoins d'actu », et bien sûr l'émission emblématique « Appels sur l'actualité », où les auditeurs peuvent poser leurs questions.

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