Osons le dire tout net, la faillite de la Cedeao en matière de règlement des conflits est la cause profonde de cette tension larvée entre le Bénin et le Niger, qui se règle sous nos yeux à coup de fermetures de frontières réciproques (terrestres, fluvio maritime ou aériennes).
Le dernier fait marquant de cette tension est l'arrestation le 05 Juin dernier, de cinq nigériens dont des ingénieurs et agents du gouvernement nigérien chargés de superviser le chargement du pétrole, au motif, selon la partie béninoise, d'une entrée frauduleuse sur le site du terminal de l'oléoduc du port de Semé Kpodji en territoire béninois.
La publicité qui en a été faite de cet incident par les béninois, n'a pas été, il est vrai pour apaiser la situation, et apporter plus de sérénité, d'autant plus qu'une médiation de la société chinoise WAPCO chargé de gérer le pipeline Niger -Bénin était en cours.
La preuve, on constate après cela, que la tension ne cesse d'aller crescendo, sans qu'aucun scénario de sortie de crise ne se dessine. En lieu et place, on s'accuse mutuellement de choses totalement différentes. Les dénégations de la partie béninoise suspectée de « kidnapping » et d'abriter des forces de déstabilisation du Niger, n'y font rien.
Il faut toutefois rappeler, que le Bénin a été le premier à s'affranchir unilatéralement de l'embargo décidé par la Cedeao, suite au coup d'état survenu au Niger, en ouvrant sa frontière avec son voisin, même si on peut rétorquer que c'était sous la contrainte d'une pression économique interne très forte.
Le Bénin fait aujourd'hui face à des menaces djihadistes , dont la plus récente, il y a 6 jours, est l'attaque perpétrée au parc national de la Pendjari, au nord du Bénin, qui a fait 7 morts parmi les soldats béninois.
La fermeture de sa frontière avec le Niger, l'insécurité qui règne au nord, sans oublier l'incident sur le pipeline qui envenime aujourd'hui les relations avec le voisin Nigérien, sont autant de situations qui à terme risquent de compromettre la dynamique de la croissance économique du Bénin située à environ 6,2% d'ici 2026, selon la Banque mondiale.
En revanche, le Niger fort de sa position dans l'Alliance des Etats du Sahel (AES), qui est aujourd'hui une réalité, est soutenu dans son enclavement par ses alliés, dont l'un, le Burkina, a une frontière de 500 Km avec le Parc de la Pendjari en proie à la menace djihadiste, mais dispose d'une alternative d'accès à la mer en Guinée, via le Mali.
Il faut dire que déjà en Février 2024 , à la faveur de l'exploitation de ses ressources pétrolières à l'origine de sa tension avec le régime en place à Cotonou, le Niger a fait jouer sa solidarité à travers l'accord signé avec le Mali, prévoyant la fourniture de 150 millions de litres de Gas oil destinés à l'alimentation des centrales électriques de Bamako. C'est dire que le blocage du pipeline du terminal de Sémé Kpodji va certes entraver le plan des exportations Nigériennes, et risque à court terme d'avoir de fâcheuses conséquences économiques, même si c'est de faible ampleur.
Le voisin Nigérian qui avait offert ses bon offices en permettant un transit des marchandises sur sa frontière pour accéder au territoire Nigérien, voit son initiative freinée par les raideurs du gouvernement de Niamey, mais aussi l'exigence du Président Patrice Talon d'être diplomatiquement l'interlocuteur du Niger pour les activités économiques et commerciales qui se déroulent sur son territoire.
On le voit bien chacun campe sur ses positions, et personne dans ce « bras de fer » n'y gagne.
Faut-il le rappeler, 80% des importations nigériennes transitent par le Bénin. Il s'y ajoute que l'exploitation du pétrole nigérien, qui a nécessité un investissement de 5 milliards de dollars, devrait permettre au Pays d'atteindre un taux de croissance à deux chiffres à savoir 11% dès 2024. Cette crise qui perdure, risque d'impacter impacter négativement les projections économiques du Niger.
Il est clair que le Bénin aussi devrait en pâtir du manque à gagner que le blocage de l'exploitation du l'oléoduc va entrainer, en termes de taxes et redevances à payer du simple fait du passage de l'oléoduc sur 700 km en territoire béninois et de l'installation des 3 réserves de stockage en amont du terminal portuaire de Séme Kpodji.
Dans ce face à face, l'alternative qui semble hélas se dessiner, est une médiation extérieure au continent. Ce serait dommage au nom des idéaux tant clamés de part et d'autre d'endogénéisation de nos mécanismes de résolution de nos conflits en Afrique. La Chine sera probablement appelée à la rescousse à cause de ses intérêts dans ce projet, mais surtout de sa position de partenaire stratégique des deux protagonistes. Il faut éviter que des conflits de basse intensité se muent en « belligérance » au regard des multiples vulnérabilités des pays du continent. Il faut absolument écarter le scénario de la « belligérance économique » ou on essaie de jouer à s'étouffer mutuellement. Ce serait catastrophique pour la sécurité des états dans cette zone.
Espérons que la raison et les vertus du dialogue finiront par s'imposer. C'est la seule alternative viable qui préserve les intérêts de tous.