Afrique: Ces déchets de l'espace qui nous échappent

Le Centre d'opérations spatiales conjointes des États-Unis (JSpOC) a repéré environ 23.000 débris de plus de 10 cm, 500.000 de plus d'un centimètre, et cent millions de plus d'un milimètre. Des études récentes font part de chiffres beaucoup plus élevés.

Un débris orbital de la taille d'une bille ou d'un grain de riz peut paraître insignifiant, mais beaucoup moins lorsque l'on sait qu'il se déplace à environ 10 km/s en basse orbite, soit plus de 35.000 km/h!

La vitesse d'impact d'un débris heurtant un autre objet est donc extrêmement violente, car 14 fois supérieure à celle d'une balle. "Une sphère en aluminium de 5 mm à 7 km/s pourrait pénétrer un mur en aluminium de 2,54 cm d'épaisseur", expliquait la Nasa dans un exposé pésenté lors d'un atelier sur la sécurité spatiale au Forum régional de l'ASEAN à Singapour en 2016.

Le JSpOC suit les plus gros objets qui se maintiennent en orbites et sont répertoriés dans le catalogue des Satellites américain. Ces objets représentent une menace pour les vols spatiaux habités et autres missions. Ils constituent une masse d'environ 8.000 tonnes, qui ne cesse d'augmenter. La Station Spatiale Internationale doit regulièrement effectuer des manoeuvres pour les éviter.

Jer Chyi Liou, scientifique en chef au Bureau du Programme de Débris Orbitaux (ODPO) de la Nasa, souligne que les impacts de petits débris pourraient être responsables de nombreux disfonctionnements satellitaires.

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Il cite des exemples d'incidents dus à des collisions de petits objets, comme la flèche gravitationnelle du satellite français Cerise coupée en deux par un fragment de débris en 1996 ; le satellite russe Iridium 33 détruit par le satellite hors d'usage Cosmos-2251 en 2009, un accident ayant occasionné plus de 600 débris spatiaux ; le Sentinel-1 européen qui a perdu en puissance après avoir été touché par un petit débris, ou encore le rétroréflecteur russe Blits endommagé.

Selon space.com, l'une des pires génération de débris provient de l'essai par la Chine d'un missiles anti-satellites en 2007, qui, en détruisant Fenguyn-1C, a produit 2.300 gros débris et quelques 35.000 débris de taille moyenne. Certains media de l'aérospatiale ont aussi relaté l'explosion volontaire du satellite USA 193 en 2008, qui, selon le Pentagone, menaçait de retomber sur Terre avec un réservoir de produit hautement toxique, l'hydrazine.

Le JSpOC effectue des estimations de collisions et fournit des avertissements aux propriétaires et opérateurs de satellites dans le monde. La NASA exige des évaluations pour tous ses engins spatiaux manoeuvrables afin d'éviter des collisions avec des objets suivis par JSpOC. L'agence spatiale américaine aide également des propriétaires d'engins spatiaux étrangers avec des manoeuvres d'anticipation pour éviter des collisions.

Programmes spéciaux pour déchets spatiaux

Plusieurs agences spatiales contrôlent les principaux débris de l'espace, comme celles des Etats-Unis de l'Europe ou du Japon.

Le Programme de Débris Orbitaux de la NASA a débuté en 1979 au Centre Spatial Johnson (JSC) à Houston, au Texas. Il recherche des moyens de créer moins de débris orbitaux et conçoit des équipements permettant de suivre et d'éliminer les débris existants.

Certaines sources de données importantes pour repérer les débris sont le Réseau américain de surveillance spatiale, le radar Haystack X-Band et le télescope spatial Hubble (HST), entre autres outils. Sur le site de son programme, la Nasa indique que des modèles d'ingénierie, tels que ORDEM 3.2, peuvent être utilisés pour évaluer les risques d'impact de débris sur les engins spatiaux et les satellites, y compris la Station Spatiale Internationale. Les modèles évolutifs, tels que LEGEND, sont conçus pour prédire l'environnement futur des débris.

La Nasa réalise des tests d'impact à hypervitesse pour évaluer le risque présenté par les débris orbitaux pour les engins spatiaux, et pour développer des nouveaux matériaux permettant une meilleure protection contre ces débris. Une démarche similaire aux conceptions de gilets pare-balles et de camions blindés, car le débris errant au gré de son orbite est considéré comme une véritable arme incontrolée, si ce n'est par les lois de la physique.

Il s'agit donc de concevoir des satellites capables de résister aux impacts de petits débris, qui sont les plus nombreux, et notamment d'adopter des manoeuvres pour éviter les collisions avec toutes sortes de débris.

Par ailleurs, le Groupe de Travail Interagences (IWG) du gouvernement américain a élaboré le plan national de mise en oeuvre des débris orbitaux pour coordonner les efforts des départements et agences américaines concernés. Ce plan couvre la surveillance de l'environnement des débris orbitaux, la compréhension des effets de la météorologie spatiale, la régulation des activités spatiales et la restauration des débris.

L'Agence Spatiale Europeenne (ESA) coordonne des activités de recherche liées aux débris spatiaux en collaboration avec les agences spatiales italienne (ASI), britannique (BNSC), française (CNES) et allemande (DLR). L'ESA a publié les lignes directrices sur l'atténuation des débris spatiaux, avec des mesures visant à empêcher la création d'autres débris lors des missions spatiales.

En 2020, l'Agence Spatiale Japonaise (JAXA) a lancé le Programme de Démonstration d'Elimination Commerciale des Débris (CRD2) visant à faciliter l'élimination des gros débris, en collaboration avec des opérateurs privés.

Ces agences travaillent aussi collectivement pour optimiser la durabilité de l'espace et réduire les risques posés par les débris spatiaux.

Quand le vide juridique occupe l'espace

En 1995, la NASA a publier des directives relatives à la réduction des débris orbitaux. Deux ans plus tard, le gouvernement américain a élaboré un ensemble de pratiques standard d'atténuation des débris basées sur ces directives. D'autres pays et organisations, dont le Japon, la France, la Russie et l'Agence Spatiale Européenne (ESA), ont emboîté le pas en proposant leurs propres lignes directrices.

En 2002, le Comité inter-agences de coordination des débris spatiaux (IADC), composé d'agences spatiales de dix pays et l'ESA, a adopté des lignes directrices consensuelles destinées à atténuer la croissance des débris orbitaux.

En 2007, le Sous-Comité scientifique et technique (STSC) du Comité des Nations Unies sur les utilisations pacifiques de l'espace extra-atmosphérique (COPUOS) a achevé un plan de travail recommandant des directives d'atténuation des débris spatiaux. Ces lignes directrices ont été approuvées par l'Assemblée Générale des Nations Unies la même annnée.

Selon les normes internationales, qui ne font nullement cas de jusrisprudence, il est interdit de détruire volontairement des satellites dans l'espace et d'éviter l'explosion en orbite. Lorsqu'un satellite ou un étage de fusée arrive en fin de vie, il faut le vidanger pour éviter l'explosion. Les explosions causées par le surplus d'énergie en carburant ou batteries à bord d'engins spatiaux sont l'un des principaux contributeurs de débris dans l'espace.

Il est aussi requis de protéger la population au sol. Si l'on ne peut éviter un retour des débris sur Terre, il faut privilégier la désorbitation contrôlée dans une zone non peuplée.

Toutefois, ces "lignes directrices" ne semblent pas présenter de caractère contraignant quant au nombre d'engins propulsés dans l'espace terrestre, puisque chaque pays et entreprise privée continu de lancer ses propres satellites ou vaisseaux comme bon lui semble, à commencer par des compagnies spatiales comme SpaceX, Virgin galactic ou Blue Origin, en pleine compétition pour le développment commercial de l'espace.

SpaceX d'Elon Musk, avec ses fusées Falcon et son vaisseau spatial Dragon, lance activement des satellites et marchandises dans l'espace.

Blue Origin de Jeff Bezos développe des fusées et engins spatiaux "réutilisables" pour des missions suborbitales et orbitales, tandis que Virgin Galactic de Richard Branson mise principalement sur le tourisme spatial suborbital.

Rocket Lab, basée en Nouvelle-Zélande, avec six laboratoires aux USA et un au Canada, se concentre sur les lancements de petits satellites à l'aide de sa fusée Electron.

Axiom Space, basé à Houston au Texas, travaille sur des missions avec équipage vers la Station Spatiale Internationale, comme Sierra Space, également basé aux USA, spécialisé dans les missions de réapprovisionnement en fret vers l'ISS.

Le ciel est la limite

Le nombre de lancements spatiaux orbitaux dans le monde est en augmentation. En 2021, il y a eu 135 lancements réussis, 174 en 2022, et 211 en 2023.

Les satellites en orbite terrestre basse (LEO) se trouvent entre 170 et 2000 km d'altitude. Ils ne suivent pas toujours une trajectoire particulière autour de la Terre, ce qui signifie qu'ils ont davantage de routes par rapport aux satellites en orbite terrestre géostationnaire (GEO), qui se déplacent à environ 36.000 km d'altitude en suivant la trajectoire de l'équateur terrestre.

Les experts ont exprimé leurs inquiétudes quant au nombre croissant de satellites en orbite. L'astrophysicien anglo-américain Jonathan McDowell, qui documente tous les lancements, compare la situation à "plusieurs autoroutes interétatiques qui se croisent sans feux de signalisation".

La constellation Starlink, projet audacieux lancé par SpaceX du multimiliardaire visionnaire Elon Musk, est composée de milliers de satellites en basse orbite, visant à résoudre la fracture numérique en fournissant une couverture Internet universelle, notamment dans les régions rurales et isolées où l'accès à Internet est limité, voire inexistant. SpaceX a déjà déployé environ la moitié des 12.000 satellites prévus.

Ces bouquets de satellites, lorsqu'ils sont vivibles la nuit, génerent encore la panique de par leur singularité, une grande file de nombreuses lumières qui se déplacent ensemble, que beaucoup d'observateurs non avertis mettent sur le compte d'une invasion extraterrestre. Ils étaient notamment visibles le 16 février dernier à 5H51 à Manassas en Virginie. Normalement, ils doit être possible de les voir entre 1h30 et 2 heures plus tard au même endroit, le temps nécessaire pour qu'ils complètent leur orbite terrestre.

Tout en contribuant à l'amélioration de la couverture internet dans le monde, ces milliers de satellites lancés à tout-va contribuent aussi à la pollution de l'espace.

SpaceX et les fermiers canadiens

Les débris sont censés s'éliminer lorsqu'ils entrent dans l'atmosphère, en fondant sous l'action de la vitesse et de la friction. Mais ce n'est pas toujours le cas.

Le 11 juin, SpaceX a récupéré des fragments de son vaisseau Dragon qui ont été découverts fin avril dans la province du Saskatchewan dans l'ouest du Canada. Au retour de la capsule en février de la Station Spatiale Internationale, certains débris, qui n'avaient pas brûlé dans l'atmosphère, ont atterri sur des champs d'agriculteurs près d'Ituna.

Les media canadiens avaient rapporté que des fragments ont été retrouvés dans plusieurs fermes. SpaceX a proposé une compensation financière aux propriétaires. L'un des agriculteurs, Barry Sawchuk, a dit vouloir utiliser l'argent pour participer à la construction d'une nouvelle patinoire de hockey locale.

Selon la télévision publique canadienne CBC, Samantha Lawler, professeure d'astronomie à l'Université de Regina, a visité la ferme de Sawchuk. Elle a estimé que SpaceX doit fournir des informations précises sur la manière dont les vols de son vaisseau spatial affectent l'atmosphère et disposer d'un plan d'action défini pour éviter des incidents similaires à l'avenir.

Ce n'est pas la première fois que des débris du vaisseau Dragon traversent l'atmosphère terrestre. En août 2022, l'Agence Spatiale Australienne et SpaceX avaient confirmé l'aterrissage d'une malle de stockage d'équipage dans un enclos à moutons en Australie.

Le développement durable à l'infini

La gestion et la dépollution de l'espace sont des enjeux majeurs pour préserver notre environnement spatial.

Pour certains environnementalistes spatiaux, le point de non retour est atteint, car, soulignent-ils, même si on arrêtait complètement l'activité spatiale, la seule collision entre objets suffirait à augmenter le nombre de débris spatiaux.

Ce scénario est notamment à la base du film Gravity, thriller de science-fiction (2013) d'Alfonso Cuarón. Les acteurs américains Sandra Bullock et George Clooney y jouent le rôle d'astronautes qui tentent de revenir sur Terre après la destruction de leur navette spatiale en orbite.

Au moins un débris de plus de 10 cm retombe chaque jour sur Terre, et un objet intégral -satellite ou étage supérieur de fusée- revient chez nous chaque semaine.

Certains ont dû se demander pouquoi nous ne déplorons, jusqu'ici, aucune victime. C'est probalement parce que seulement 3% de la surface du globe est densément peuplée, et plus de 70% est recouverte par les océans.

Toutefois, étant donné la proliferation des déchets spaciaux, lorsque nous scrutons le ciel pour admirer notre royaume céleste, il se pourrait que nous ayons une petite pensée pour les débris de l'au-delà, alors que le concept de développement durable commence à peine à prendre forme sur Terre.

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