Afrique de l'Ouest: Photo - A Paris, une exposition explore «le rituel de la pose» au début des indépendances

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À Paris, une exposition explore « le rituel de la pose » dans les studios-photos d'Afrique de l'Ouest au début des indépendances. À l'époque, des groupes d'étudiants ou des familles venaient poser dans leurs plus belles tenues. Les photographes et leurs clients ont alors cherché à développer de nouvelles incarnations pour se réapproprier leur image. Quatre photographes sont mis à l'honneur : les Maliens Seydou Keïta et Malick Sidibé, le Sénégalais Oumar Ly et le Burkinabè Sanlé Sory. Interview avec Olivier Sultan, qui tient la galerie Art-Z à Paris, un lieu dédié à l'art contemporain africain.

Au Mali, au Burkina Faso ou au Sénégal, le studio-photo des années 1960 devient le berceau d'une nouvelle image. Porté par une nouvelle génération de jeunes photographes. Parmi eux le Burkinabè Sanlé Sory fait figure de précurseur. Il ouvre en 1959 le studio « Volta Photo » à Bobo-Dioulasso. Trois ans plus tard, à Bamako, Malick Sidibé créé lui le « Studio Malick ».

Les jeunes viennent y poser en pantalons pattes d'éléphants ou en jupes courtes en écoutant du rock. La fierté d'être indépendants se double paradoxalement d'un attrait pour l'Occident. C'est la période yéyé... L'humour et la fantaisie sont omniprésentes dans les clichés de Sanlé Sory et Malick Sidibé, qui cherchent à retranscrire par l'image le sentiment de liberté et d'émancipation qui règne à cette période. Dorénavant, les portraits sont l'oeuvre d'artistes africains soucieux de créer de nouvelles représentations en fonction des aspirations de leurs clients.

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Des artistes qui prêtent une grande attention au choix des toiles de fond, des costumes et des accessoires : ici une guitare, là des lunettes de soleil ou un poste de radio. Détails avec Olivier Sultan, qui tient la galerie Art-Z à Paris, où se tient l'exposition «Regardez-moi ! Le rituel de la pose - Le studio photo en Afrique dans les années 1960-70» du 4 au 29 juin 2024.

Comment peut-on définir le rituel de la pose dans les studios-photos au lendemain des indépendances ?

C'est un moment très particulier. Souvent, on a une seule photo que l'on garde toute sa vie encadrée chez soi. On allait donc souvent au studio-photo à deux ou trois. On gardait cette image comme preuve d'amitié et, en même temps, on partageait le coût de la prise de vue.

C'était un petit événement. C'est donc un moment que l'on prépare soigneusement, avec une discussion assez longue avec le photographe, qui essaye d'en savoir un maximum sur la personne, sur le client, pour pouvoir transmettre tout ce que la personne veut donner d'elle-même. On choisit les accessoires, les costumes, les tissus de fond. Il y a tout un travail de mise en scène.

Et ça correspond aussi à un moment dans l'histoire de l'Afrique où les Africains se sont emparés de leur propre image, c'est l'Afrique vue par elle-même. Avant, c'étaient des photographes occidentaux, d'anciens colons ou des colons qui prenaient des photos de style anthropologique ou militaire.

À partir des années 1960, les Africains prennent possession des studios-photos et développent une nouvelle image, une nouvelle identité, notamment chez les jeunes qui s'ouvrent à l'Occident tout en incorporant les racines africaines. Il y a donc à la fois une fierté d'être africains et un désir de participer au mouvement rock, twist... C'était une période euphorique où on pensait que tout était possible.

Cette réappropriation de l'image est donc autant le fait du photographe que des clients qui vont dans les studios-photos ?

C'est une sorte de dialogue, il y a une joie complice entre eux. Les jeunes se laissent un petit peu aller dans le studio photo. C'est souvent avant les soirées. On montre ses plus beaux habits.

Les jeunes filles montrent les mini-jupes et les hauts talons. Le studio est un petit espace physique mais un grand espace de liberté. On s'autorise des mises en scène un peu folles, un peu débridées. Mais ça n'a pas duré très longtemps, une quinzaine d'années. Au Mali, un gouvernement assez autoritaire a été mis en place. La religion est devenue de plus en plus forte. Cette liberté a petit à petit disparu. Globalement, en Afrique de l'Ouest, la mode est aujourd'hui plus sage que dans ces années-là.

Est-ce qu'il y a un profil-type du client qui allait dans le studio photo ?

Au début, en particulier chez Seydou Keïta, c'était plutôt des gens assez fortunés, puisque ça coûtait cher. Il avait une clientèle de ministres, même le Président de la République. De part sa renommée, les gens venaient le voir de tous les pays alentour. Petit à petit, ça s'est démocratisé. Malick Sidibé accueillait des gens de tous horizons, des jeunes et des moins jeunes, des gens qui venaient de la brousse.

Il y avait beaucoup de peuls qui venaient du désert, parfois avec des moutons, des motos. On avait l'impression que le monde débarquait dans ce petit espace, dans les pays d'Afrique de l'Ouest en tout cas. Petit à petit, toute la société est venue se faire prendre en photo : des musiciens, des fonctionnaires...

Qu'est ce que les clients voulaient montrer aux autres en posant ?

On voulait montrer soit qu'on avait réussi - on venait directement dans le studio avec sa moto si on venait d'en acheter une par exemple - soit qu'on allait réussir. Et donc, on se faisait prêter tous les accoutrements du businessman ou du rockeur pour se projeter dans l'avenir : les bagues, les lunettes, les chapeaux, les valises.

Comment peut-on qualifier le rôle du photographe ?

C'était un médium, un passeur, qui essayait d'interpréter les rêves des gens et de les concrétiser. Par exemple, Malick Sidibé appartenait à une famille de chasseurs, qui forment une sorte de caste assez noble. Ils ont des rites où ils doivent communiquer en transe et en rêve avec les animaux avant de partir à la chasse. Malick Sidibé concevait son activité de photographe comme ça. Avant de prendre une photo, il y avait ce petit rituel qui lui permettait d'être dans un état comme second, où il communiquait à 100 % avec la personne, et il savait exactement quelle image donner d'elle. C'était troublant. Il arrivait à décrire et à scanner les gens. Il y avait ce côté un peu voyant.

Comment cette nouvelle photo de studio a-t-elle été reçue en Europe ?

Ça s'est fait à la fin des années 1980, au début des années 1990. En particulier sous l'influence de la photographe Françoise Huguier, qui a créé la biennale de Bamako en 1994. Elle était à Bamako afin de réaliser un reportage pour Libération. Son appareil est tombé en panne, on lui a dit qu'il y avait un photographe spécialisé dans la réparation des appareils photos, c'était Malick Sidibé ! Quand elle a découvert ses photos, elle est tombée des nues et l'a tout de suite exposé avec Seydou Keïta dans les premières rencontres de Bamako, puis ensuite aux rencontres d'Arles, à la Fondation Cartier et à New-York.

Au départ, ils étaient des photographes de studio, qui étaient là pour faire un portrait le plus fidèle de leur client. Quasiment du jour au lendemain, ils ont été connus mondialement, considérés comme de grands artistes dans les musées et les galeries. Ils ont commencé à réfléchir sur la composition en photographie. Ça a changé le regard qu'ils portaient sur leur propre travail.

Pourriez-vous décrire une photographie prise dans ces studios au lendemain des indépendances ?

Il y a Les apprentis fumeurs. On est en 1974. Ce sont trois jeunes gens qui arrivent directement de la brousse à Bamako. Ils ont 19/20 ans et n'ont jamais fumé. Ils ont acheté une cigarette chacun à l'unité pour la photo. Il y a un poste de radio. C'est assez simple, avec un tissu rayé. Et ils ont l'air surpris eux-mêmes de leur audace d'avoir une cigarette comme ça à la bouche. C'est à la fois drôle et émouvant. Il y a le respect de qui ils sont mais avec une pointe d'humour. Pour Malick Sidibé, une photo devait avoir une pointe d'humour.

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