Madagascar: Histoire - L'ethnicisme, une stratégie pour évincer l'adversaire

Être intellectuel, c'est aussi savoir s'exprimer. Un atout pour gagner les oreilles de la population. Alors, au début du XXe siècle, les érudits malgaches, pour accéder aux postes, certifient l'adage « diviser pour régner ». Imputer la faute à ces intellectuels n'est pas le but. Il faut comprendre la prise de position de chacun.

La colonisation était une époque frustrante durant laquelle chacun essayait de tirer des profits pour ne pas être perdu parmi le commun des mortels. Force est de rappeler que les Malgaches travaillant avec l'administration coloniale n'étaient pas tous des traîtres. En réalité, l'instinct de survie les a obligatoirement poussé à collaborer avec les colonisateurs. Certes, la masse populaire démontre son hostilité vis-à-vis de l'attitude de ces compatriotes qui ont aisément accédé au pouvoir, mais, quelque part, elle désire avidement être à leur place, un point de vue tout à fait humain.

L'arrière terre envahit le littoral

Entre 1900 et 1915, le pouvoir colonial, afin d'assurer le fonctionnement administratif, favorise les érudits originaires des Hautes-Terres-Centrales, étant donné que ces derniers avaient été formés par les Britanniques en termes de conduite des affaires publiques. De ce fait, ils sont envoyés dans les provinces. Une fois sur place, ils ont été mal vu par les autochtones.

Leur manière de parler, de s'habiller, de se coiffer intriguent ces derniers. Leur présence dérange les Ampanjaka soucieux de perdre leur légitimité. La paramnésie s'installe. « Ces gens vont à nouveau reconquérir nos terres. Ils suivront les pas de leur aïeux », en faisant allusion à l'invasion de Radama I. En effet, trois cultures s'entrechoquent. La culture française qui a été facilement assimilée dans la région du nord par exemple, l'usance merina imposée indirectement par les fonctionnaires, et la tradition locale.

Employés de l'administration, les originaires des Hautes-Terres Centrales parlent à leur façon car ils ont du mal à s'exprimer dans le dialecte local. Les régions, bien qu'elles soient assujetties par le Royaume Merina au XIXe siècle, comprennent peu le message. Cette entrave à la communication dure plus d'un quart de siècle avant que les écoles régionales ne soient construites.

La formation des élites côtières

À la deuxième moitié des années 1910, des écoles régionales ont été implantées dans les provinces. La bourgeoisie côtière y inscrit ses enfants. Ces intellectuels côtiers, après avoir poursuivi l'école régionale, s'asseyaient sur le même banc que leurs compatriotes merina à l'école de Myre de Villers à Tananarive pendant trois ans, pour ceux qui en avaient les moyens et les privilèges, bien évidemment. Séduits par le charme et la modernité de la ville des Mille, ils se sont imprégnés du mode de vie tananarivien.

Certains ont même décidé de rester pour fonder une famille pendant que d'autres, après avoir fini leur cursus, sont retournés au bercail. En arrivant dans leur localité, les jeunes élites sont dépaysés. Trois ans, c'est assez long. Ils exercent des métiers plus ou moins importants, à savoir instituteur, comptable... L'influence a non seulement fait de ces petits diplômés des Français de seconde zone, mais des Merina.

En combinant les deux cultures, ils surprennent la population qui les a accueillis. En réalité, la plupart sont des zanantany, les « fils adoptifs » de la région. Ils apportent du nouveau avec leur concept fusionné, façonné par les disciplines de l'établissement scolaire de « Tananarive française ». En outre, ils défient les tenants traditionnels, ils iront plus loin, transgresser la valeur ancestrale. Puis une nouvelle couche se forme, la classe moyenne.

Elle sera l'émetteur d'une idéologie. Elle impose avec charisme sa pensée. En fin de compte, le petit peuple en déduit que les zanatany instruits étaient totalement formatés par l'école tananarivienne. Au lieu de venir en aide à leur semblable, ils se rangent du côté des Merina et des Français. La déception se ressent. En 1945, l'ambiance politique dans les colonies françaises, Madagascar en particulier, a pris une autre dimension.

Le moment est venu pour les intellectuels malgaches de monter à un certain niveau. Des partis politiques ont vu le jour en l'espace d'une année. Les plus mentionnés dans les ouvrages scolaires étaient le Mouvement Démocratique de la Rénovation Malgache (MDRM) et le Parti des Déshérités de Madagascar (PADESM). Si le premier, malgré son ambiguïté, est réputé pour sa détermination pour l'indépendance du pays, alors que le second affiche sa fidélité à la mère patrie. Bien entendu, l'intelligentsia se scinde en deux. Dans les provinces comme dans la ville du Nord, la création de ces deux grandes associations politiques est enfin une opportunité...

Le cas de Diego-Suarez

Il est à noter qu'un groupe de personnes se sont inscrites à l'école que fréquentaient les zanatany. On les appelle les tompontany, les fils du terroir. Pendant que les « adoptifs » répandent leur idéologie progressiste en critiquant indirectement la doctrine conservatrice des roitelets, les tompontany diplômés n'ont pas pu réagir quoiqu'ils aient timidement riposté entre les années 1920 et les années 1940.

D'ailleurs, le double jeu des jeunes progressistes était très astucieux. Et comme Diego-Suarez était le foyer par excellence du cosmopolitisme, la population suit sans hésitation leurs consignes, car selon eux, l'impérialisme n'était guère la domination de la France, mais plutôt les souverains devenus Suzerains depuis la deuxième moitié du XIXème siècle. Cette affirmation irrite les notables et les nobles.

Suite logique, ces derniers se placent sur l'échiquier des pro-coloniaux. C'est ainsi que la majorité adhèrent au PADESM. Les tompontany, alimentés par l'ire, avancent des propos ethnicistes comme suit : « Ce sont des fils de migrants et d'immigrés. Ils ne respectent pas la tradition. Ils bafouent les lois de cette terre sacrée ». Le désaccord s'est endurci lors de la campagne électorale à la course législative en 1946...

L'insurrection du 29 mars 1947 était un prétexte pour arrêter les zanatany. Les archives D475 de Tsaralàlana témoignent que bon nombre d'entre eux avaient les chefs d'accusation suivants : atteinte à la sûreté de l'État, fauteur de trouble. Les notables et les nobles considèrent la décision de la France comme une punition exemplaire. Intimidée, la génération montante n'ose plus nager à contre courant !

Le conflit entre zanatany et tompontany se concrétise sur le plan politique, depuis la colonisation. Cela se manifeste par des discours disproportionnés, des récits truffés de mensonges. Le cas d'Antsiranana n'est qu'un petit aperçu de ce qui se passe dans les quatre coins de la Grande île. Quoique l'on dise, l'ethnicisme demeure un outil sociopolitique. Une stratégie jugée efficace pour évincer l'adversaire. Toutefois, dans la vie de tous les jours, le peuple, même s'il entend des paroles haineuses professées par les politiciens, se contente de remplir son assiette !

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