Afrique Australe: Un investisseur mauricien cherche réparation depuis 20 ans

Ajaye Jogoo, le directeur d'une compagnie dans la construction de bâtiments écologiques, Green East Master Ltd, se bat depuis 20 ans pour obtenir réparation après avoir été expulsé de Zanzibar, une région semi-autonome de la Tanzanie. Il y avait un contrat pour un projet qui a été annulé en 2003. Qualifié d'«immigrant interdit», il a été expulsé sans possibilité de défense, ni d'explication.

Son expulsion de Zanzibar a bouleversé la vie Ajaye Jogoo, le privant non seulement de son foyer mais aussi de son identité. Après avoir essuyé un revers au tribunal de la SADC, il a obtenu gain de cause à l'African Court of Human and Peoples' Rights. Depuis deux ans, l'entrepreneur tente désespérément d'obtenir la compensation ordonnée par le tribunal. Malheureusement, il se heurte à l'indifférence totale des autorités tanzaniennes. Il a sollicité la Commission des droits de l'homme et le ministère des Affaires étrangères de Maurice, recherchant l'aide diplomatique pour faire avancer sa cause.

Son calvaire commence en 1999, quand le ministre de la Planification économique de Zanzibar invite les entreprises mauriciennes à investir dans l'île. Ajaye Jogoo répond à cet appel en soumettant un projet ambitieux d'EPZ Township, semblable à la zone franche de Maurice, à la National Development Cooperation (NDC) en Tanzanie. Sur cette base, il fonde Cimexpan (Zanzibar) Ltd pour gérer le projet Kibaha, avec l'accord des autorités locales. Auparavant, il avait déjà travaillé sur un projet avec la Tanzanie pour la construction d'un duplex qui sert de quartiers pour l'armée de Zanzibar.

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Cependant, en 2003, le gouvernement de Zanzibar annule brutalement le contrat pour l'EPZ township, invoquant des raisons administratives. Ajaye Jogoo et sa famille sont réveillés en pleine nuit par une dizaine d'hommes armés de fusils, couteaux et machettes. Sa famille est battue et il est arrêté, traité comme un immigrant illégal. Emprisonné pendant une semaine, il subit des mauvais traitements, bien que sous surveillance médicale quotidienne.

Il est finalement expulsé, laissant derrière lui sa famille et les biens de son entreprise. Avec le statut d'«immigrant interdit» inscrit sur son passeport, Ajaye Jogoo ne peut plus remettre les pieds en Tanzanie. Déterminé à obtenir justice, il porte son cas devant le tribunal de la SADC à Windhoek, en Namibie, en 2009, et demande l'annulation de l'ordre de déportation. Le gouvernement tanzanien réagit en contestant la compétence du tribunal et en arguant qu'il n'a pas épuisé les recours locaux disponibles, argument que le tribunal accepte.

Absence de «locus standi»

Le tribunal de la SADC s'est appuyé sur l'article 1 de la Convention contre la torture de 1984 pour sa définition de la torture et a réaffirmé que les normes juridiques internationales étaient plus qu'un simple point de repère dans sa jurisprudence. Néanmoins, le tribunal a estimé qu'il ne relevait pas de sa juridiction de rendre une décision préliminaire sur la légalité d'un ordre d'expulsion en raison de l'absence de locus standi (le droit ou la qualité pour agir en justice), car le Mauricien n'avait pas épuisé les voies de recours internes et n'a pas pu démontrer par des preuves l'allégation de torture. Malgré son expulsion, le tribunal a estimé qu'Ajaye Jogoo aurait pu avoir accès à des tribunaux nationaux et contesté l'ordre d'expulsion à travers ses représentants légaux.

Bien que le gouvernement tanzanien ait fait valoir que «le droit d'admettre ou d'expulser un étranger relève exclusivement de sa souveraineté», les juges ont affirmé que l'exercice de cette discrétion doit se faire «dans le respect des normes minimales en matière de droits de l'homme pour le traitement des étrangers», qui se trouvent dans la Déclaration de l'ONU sur les droits des individus qui ne sont pas ressortissants du pays où ils vivent.

Débouté par le tribunal de la SADC, Ajaye Jogoo ne se décourage pas. En 2018, il porte son affaire devant l'African Court of Human and Peoples' Rights, où il allègue de multiples violations de ses droits fondamentaux - à un procès équitable, à l'accès à l'information, à la non-discrimination, à l'égalité devant la loi, à la santé physique et mentale, et à la propriété. La cour africaine lui donne gain de cause, condamnant le gouvernement tanzanien pour violation de ses droits et lui ordonnant de lui verser une compensation pour pertes de revenus et préjudices subis.

L'indifférence des autorités tanzaniennes

Malgré une décision favorable du tribunal africain des droits de l'homme, le combat pour la justice d'Ajaye Jogoo se heurte à l'indifférence totale des autorités tanzaniennes et la réalité reste cruelle pour lui. Depuis deux ans, il a entamé des démarches avec ses hommes de loi à Maurice pour faire respecter ce verdict mais, jusqu'ici, il n'a obtenu aucune réponse des autorités tanzaniennes. Il a sollicité les autorités à Maurice mais ses démarches n'aboutissent pas.

Incapable de retourner en Tanzanie en raison de son statut d'expulsé, Ajaye Jogoo se retrouve aujourd'hui dans une impasse. Il explique que les autorités tanzaniennes ne l'ont jamais informé de l'issue de son procès et que sa demande de dérogation pour retourner en Tanzanie et faire appel de la décision n'a jamais été accordée. Ses équipements professionnels sont restés bloqués à Zanzibar et sa famille continue de souffrir des conséquences de ces événements.

Son histoire met en lumière les défis auxquels font face de nombreux investisseurs étrangers dans des pays où la bureaucratie et les abus de pouvoir sont monnaie courante. Cette situation, dit-il, montre comment des investissements bien intentionnés peuvent se transformer en cauchemars juridiques et personnels, laissant des familles divisées et des entrepreneurs ruinés. Il évoque aussi la nécessité de protéger les droits des investisseurs mauriciens dans des pays africains et l'application des décisions de justice internationales. Aujourd'hui, Ajaye Jogoo attend toujours que la Tanzanie respecte les décisions de la cour africaine et lui accorde la réparation qu'il mérite.

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