Cameroun: Marchés publics - «Quand on regarde de près, on se demande où va l'argent», s'interroge l'activiste Remi Tassing

interview

Membre du mouvement citoyen Stand up for Cameroon, Remi Tassing, ingénieur, consacre une partie de son temps libre à l'étude des attributions de marchés publics au Cameroun. Un travail solitaire qu'il décrit volontiers comme « ingrat et austère », sur la base des documents mis en ligne par les institutions camerounaises. Face aux « anomalies » repérées et dénoncées sur le réseau social X, il rêve d'une prise de conscience collective. Le 1eᣴ juin 2024, il y a publié une liste de 203 agents, contractuels et fonctionnaires, bénéficiaires de marchés publics dans son pays. Entretien.

Remi Tassing, comment en êtes-vous arrivé à vous intéresser aux marchés publics ?

Dans le cadre du mouvement citoyens Stand Up for Cameroon, nous travaillons sur les questions de gouvernance et de corruption. Pour ma part, j'ai développé la plateforme Katika en 2018 sur laquelle j'ai, par exemple, recensé les incidents dans les régions anglophones.

Dans le cadre du « Covid Gate », quand le Fonds monétaire international (FMI) a exigé du Cameroun la publication de la liste des bénéficiaires des budgets, j'ai commencé à m'intéresser aux marchés publics. Ce n'est pas mon métier. J'ai donc appris le Code des marchés publics, le Code de transparence et de bonne gouvernance dans la gestion des finances publiques, un document important, mais malheureusement qui n'est pas respecté.

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Le Cameroun a des difficultés de pays pauvres. Mais quand on regarde les budgets, les montants, on se demande « où va l'argent ? ». Avec les marchés publics, il y a une petite traçabilité, insuffisante certes, mais une partie de l'iceberg est visible.

Comment travaillez-vous ?

Sur ce sujet, je travaille seul, très tôt le matin, vers 4h ou 5h, ou le soir et le week-end, en dehors de mes heures de travail. Je travaille uniquement à partir de documents accessibles, mis en ligne sur le site de l'Agence de régulation des marchés publics (ARMP) : les appels d'offres, les attributions, les communiqués. Je croise les informations avec les données des services des impôts camerounais. Je recense les anomalies, les cas de surfacturations, de conflits d'intérêts et je publie sur X en indiquant aussi précisément que possible les noms, les coordonnées, les identifiants.

Ce n'est pas un travail de journaliste, c'est un travail de lanceur d'alerte. Je mets à disposition des journalistes, des ONG, des institutions, des informations, les plus détaillées possible, que j'indique aussi sur la plateforme katika, plus lisible que le site de l'ARMP.

Quel type d'« anomalies » dans le cadre des marchés publics, rencontrez-vous ?

Je pourrais en parler toute une journée. Il y en a tellement. L'un des schémas les plus récurrents, c'est l'achat de véhicules à des prix exorbitants. Par exemple, un recteur d'université lance un appel d'offres en procédure « d'urgence » pour un véhicule à 100 millions de Francs CFA [environ 150 000 euros, NDLR]. Dans un pays où certaines écoles n'ont pas de salle de classe, certaines pas de toilettes, c'est indécent.

Autre exemple : des marchés publics attribués à des entreprises inconnues, qui ne déclarent pas de revenus auprès de l'administration et ne paient pas d'impôt, ou des marchés attribués par des élus locaux à des entreprises... qui leur appartiennent. Une fois, j'ai trouvé une entreprise bénéficiaire de marchés publics dont les coordonnées étaient celles du RDPC [Rassemblement démocratique du Peuple Camerounais, parti majoritaire au Cameroun, NDLR]. Ce genre de cas devraient susciter un tollé général !

Qui prend le relais de votre travail d'alerte au Cameroun ?

C'est ça qui est douloureux. C'est comme un trou noir. Des institutions comme les ministères, la Chambre des comptes, le Consupe (Contrôle supérieur de l'État), la Conac (Commission nationale anti-corruption) et, bien sûr, la justice, notamment le TCS (Tribunal criminel spécial) devraient s'emparer de ces dossiers. Mais il ne se passe quasiment rien.

Les journalistes pourraient prendre davantage le relais. Mais, au Cameroun, ils travaillent dans un contexte répressif. Résultat : cela ne suscite pas les réactions attendues.

Dans notre pays, les marchés publics sont utilisés pour redistribuer des prébendes aux membres du parti au pouvoir, le RDPC, par la surfacturation et les rétrocommissions. Cela fait des années que cela dure, mais c'est devenu disproportionné, hors de contrôle.

Moi, je fais à mon échelle ce travail d'alerte pour mes followers. Mais je n'ai ni le temps ni l'énergie de faire cela à plus grande échelle.

Est-ce que vous saisissez vous-mêmes les institutions ?

Non, je tague [identifier numériquement sur Internet quelqu'un ou quelque chose, NDLR] les ministères et les institutions concerné(e)s sur X. Je mets les données à disposition et je réponds aux questions des journalistes quand ils me sollicitent. Récemment, j'ai sorti une liste de 200 agents publics et fonctionnaires repérés dans des marchés publics. Un travail de recensement sur ces trois dernières années. Et je continue d'en trouver...

En principe, au Cameroun, tous les marchés publics de plus de 5 millions de francs CFA doivent être déclarés à l'Agence de régulation des marchés publics (ARMP), sauf dans des cas vraiment spécifiques, minoritaires. Mais, au fil du temps, j'ai remarqué que certaines institutions n'apparaissent jamais sur le site de l'ARMP : la présidence de la République, les services rattachés à la présidence, les services de la Primature, le Sénat, l'Assemblée nationale. Pourtant, ces institutions devraient montrer l'exemple. Tous leurs achats ne sont pas « secret défense », il me semble.

Est-ce que vous recevez un soutien financier pour ce travail ?

Non, aucune organisation ne me soutient. Et quand des privés proposent des contributions, je les renvoie vers le mouvement Stand up for Cameroon.

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