CONAKRY — Mohammed Souare, un entrepreneur guinéen âgé d'une trentaine d'années, a développé une machine intelligente capable de détecter la présence des élèves à l'école et de renseigner leurs parents.
L'innovation, dénommée « Smart School », est semblable à un portique de sécurité installé à l'entrée de l'établissement scolaire. Les élèves doivent passer à travers ce dispositif pour entrer dans l'enceinte de l'établissement. Ils sont identifiés grâce à un badge qu'ils portent sur eux.
Une fois que l'élève franchit la machine, un système sans fil, doté d'une intelligence artificielle, détecte sa présence et une alerte est instantanément envoyée à ses parents. Pour recevoir des notifications, les parents doivent avoir fourni au préalable des contacts téléphoniques qui sont stockés dans une base de données. Ils doivent également installer des données sur leur téléphone.
"Quand un élève quitte l'école à 14 H, il ne peut plus dire à sa maman ou à son papa à la maison qu'il est sorti à 16 H, car un message est déjà parti pour les informer "Mohamed Kéita, chef du projet « Smart School »
« Smart School » a été conçu dans le but de soutenir le système éducatif guinéen en proie à de nombreux problèmes, explique Mohamed Kéita, l'associé de Mohammed Souare et chef du projet « Smart School ».
« Les parents se battent du matin au soir pour la scolarisation de leurs enfants, mais ces enfants trompent la vigilance de leurs parents en leur faisant croire qu'ils sont à l'école, mais en réalité ils n'y sont pas. D'autres, quand on les dépose à l'école, ils empruntent d'autres chemins », déclare-t-il.
Mais grâce à ce système, cette pratique est quasiment impossible, dit-il. « Quand un élève quitte l'école à 14 H, il ne peut plus dire à sa maman ou à son papa à la maison qu'il est sorti à 16 H, car un message est déjà parti pour les informer », ajoute l'intéressé.
De la même manière, si l'enfant a pris une autre destination et ne s'est pas rendu à l'école, il ne pourra pas dire à ses parents le contraire. Car, ceux-ci n'auront pas reçu de message. « Notre vocation est de tuer un peu ce qu'on appelle l'école buissonnière », précise Mohamed Kéita.
Le dispositif fonctionne sans connexion Internet. Outre le français, les notifications sont aussi envoyées aux parents dans plusieurs langues locales telles que le Soussou, Maninka, Poular (Peul), Guerzé, etc.
École Buissonnière
À Conakry, « Smart School » est déjà installé à l'entrée de plusieurs établissements scolaires et les résultats sont probants, comme le confie Aboubacar Barry, le directeur du groupe scolaire La Fraternité.
« Depuis que cette application a été installée dans notre école, ça aide les responsables d'école à être en contact permanent avec les parents d'élèves. Grâce à cette machine, les mouvements des enfants tels que les sorties aux heures inappropriées sont mieux contrôlés », assure-t-il.
Il ajoute que la machine a contribué à mettre un terme à la pratique de corruption des surveillants par certains élèves.
En effet, explique Aboubacar Barry, « un enfant qui voulait sortir venait donner 10 000 francs guinéens [1,1 dollar] au surveillant pour le laisser partir, parfois d'autres élèves pouvaient donner 100 000 francs guinéen [11,6 dollars] pour toute la semaine. Ces derniers pouvaient alors entrer et sortir quand ils veulent. Mais avec l'application, c'est impossible parce que les élèves ne sont pas en contact permanent avec un individu direct, c'est désormais avec la technologie. »
Pour le porte-parole du ministère de l'Enseignement pré-universitaire et de l'alphabétisation de Guinée, Mohamed Ansa Diawara, Smart School est « un plus pour les parents d'élèves ».
« Nous contrôlons les enfants quand ils sont dans les enceintes scolaires, mais quand ils sont en dehors, nous ne pouvons rien faire. [...] S'il y a une telle application qui peut guider les parents, et par la même occasion les aider à savoir si leurs enfants ne sont pas arrivés à l'école, je pense que c'est un plus à saluer et à encourager tant au niveau des autorités éducatives qu'au niveau des parents », dit-il.
Il rappelle que développer une application qui permet de contrôler la fréquentation, la régularité, la ponctualité et l'assiduité des élèves dans les établissements scolaires « vient à point nommé pour que l'école buissonnière puisse aussi prendre fin... ».
« C'est un excellent projet innovateur parce que la problématique de l'école buissonnière est un frein pour notre système éducatif », renchérit Kabinet Kéita, vice-président de l'Association scolaire et estudiantine de Guinée (ASEG).
« Est-ce la faute des autorités ? Je dirais non ! Je pense que les parents sont parfois responsables. Ça ne va quand-même pas plaire à nos papas et mamans, mais je me suis toujours dit que s'ils avaient un temps pour contrôler leurs enfants, on n'aurait pas connu ce qui affecte dangereusement notre système éducatif », soutient-il.
De nombreux parents d'élèves apprécient cette initiative. C'est le cas de Bernadette Lamah. « Depuis que je l'ai installée, j'ai un contrôle sur les va-et-vient de mon enfant à l'école. Ce n'était pas facile au début. J'ai souffert parce qu'il fallait tout le temps appeler à l'école pour savoir s'ils sont sortis, quand est-ce qu'il faut aller la chercher, cela m'épuisait énormément non seulement en énergie, mais aussi en crédit. Mais maintenant, je sais à quelle heure elle sort », témoigne-t-elle.
Détermination
La volonté et une détermination inébranlable ont rendu possible la concrétisation de ce projet, relate Mohamed Keita qui souligne que les débuts n'ont pas été faciles.
« Avec la détermination, on s'est fixé un objectif : mettre fin à l'école buissonnière. Nous avons commencé la conception. Après nous avons mis la machine en place et une fois que cela a été fait, nous sommes passés par des personnes de bonne volonté du pays qui nous ont donné un coup de main pour lancer ce projet [...] Nous avons une équipe constituée en ce qui concerne la fabrication et l'installation des machines. Pour ce qui est du coeur du système, c'est nous qui le faisons. », raconte le chef de projet.
Il faut débourser des dizaines de millions de francs guinéens pour l'acquisition de cette machine. Toutefois, face aux difficultés financières auxquelles sont confrontés les établissements scolaires, un accord est conclu entre les établissements demandeurs et les promoteurs de « Smart School ».
« C'est une machine qui vaut entre trente et trente-cinq millions de francs guinéens [entre 3 500 et 4 000 dollars environ]. Mais vu la situation en Guinée, ce n'est pas facile. Nous avons conclu un partenariat direct avec ces établissements....
Pour le Syndicat national de l'éducation de Guinée, les conditions doivent être réunies pour la pérennisation de ce projet.
Mohamed Keita et son associé sont conscients des défis à relever pour pérenniser le projet. Mais dans l'immédiat, leur objectif est de produire un grand nombre de machines « Smart School » afin de les proposer aux établissements scolaires situés à l'intérieur du pays.