« Faut-il créer un titre de champion olympique et paralympique de débat universitaire ? » En d'autres termes, le débat universitaire doit-il figurer, à l'avenir, parmi les disciplines représentées aux JO ? Cette question, c'est la problématique autour de laquelle les deux équipes finalistes de la compétition internationale universitaire d'art oratoire organisée aux Pays-Bas, devront s'affronter ce 20 juin 2024. Un duel final opposant cette année l'Université catholique de Lille à l'Université catholique de Madagascar pour lequel cette dernière s'est préparée ardemment. Reportage.
Dans une petite salle de l'Université Catholique de Madagascar (UCM), les trois finalistes et leurs coaches commencent à lister les différents arguments. Ils ont été informés il y a une heure par les organisateurs du concours, du thème imposé du débat. Ils ne connaîtront la position qu'ils doivent défendre que 5 minutes avant le début de la compétition.
« Il y a aussi la question d'injustice, lance Mihaja Ramanantsoa, étudiante en droit privé des affaires, au sujet de la future thématique. Certains sports ne font déjà pas partie des JO. Alors pourquoi le débat, qui ne remplit pas les critères olympiques, serait intégré aux JO ? »
Mihaja Ramanantsoa s'est révélée au fur et à mesure du concours, aiguisant semaine après semaine son argumentaire et ses techniques oratoires : « Le but, c'est de convaincre. C'est savoir défendre en fait tes propres convictions face à des gens et de savoir les transmettre. J'ai vraiment compris le sens de ce qu'on appelle la liberté d'expression. On te donne une scène et on te donne la parole, tu exposes tes idées et tu peux parler librement. Si on m'avait demandé quelques mois plus tôt si j'étais capable de tout cela, j'aurais dit que je n'avais pas les épaules pour faire ce genre de choses. Mais quand on se donne à fond, on peut réaliser des choses incroyables. »
Une vraie épopée, raconte son coéquipier, Ny Avo Razafindrazaka. L'étudiant en sciences politiques nous confie quelles sont les motivations qui ont permis à son équipe de se renouveler sans cesse : « Sur ces 4 mois d'affrontement, ça n'a pas été facile, nuit blanche, stress, toujours trouver l'inspiration pour chaque match ... Mais là, sur cette dernière ligne droite, on continuera de se surpasser. On ne le fait pas seulement pour nous, mais aussi pour notre institution, l'Université catholique de Madagascar, pour Madagascar et surtout pour l'Afrique. »
Pour des raisons administratives, l'équipe n'a pas pu s'envoler pour La Haye. Elle débattra donc ce jeudi après-midi par visioconférence. C'est la deuxième année consécutive que l'UCM participe à cette compétition. Et la deuxième année aussi que l'équipe réalise un brillant parcours. L'an dernier, ses membres étaient arrivés en demi-finale.
«L'art oratoire s'utilise dans divers contextes de la vie du Malgache» À Madagascar, les joutes oratoires et monologues en public - aussi appelés Kabary - font partie intégrante de la vie des gens. Un art d'ailleurs inscrit au Patrimoine mondial immatériel de l'Unesco depuis 2021.
Gaël Rafidison est le coach de l'équipe de l'UCM et président national de la Fédération des clubs d'art oratoire. S'il réfute l'idée que l'éloquence est devenue au fil des siècles un attribut malgache, il explique qu'assister à des joutes oratoires depuis l'enfance contribue probablement au goût des débats d'idées sur la Grande Île : « C'est une compétence universelle que tout un chacun peut développer. Par contre, ce qu'on peut dire, c'est qu'il y a certaines habitudes qui vont faire que, nous, historiquement et dans nos traditions, on a déjà en fait quelque part, si ce n'est pas de l'aisance innée, l'acquisition de cette pratique-là de l'éloquence, au travers justement de certaines activités culturelles, et notamment et surtout le kabary. »
Gaël Rafidison poursuit : « C'est une pratique assez traditionnelle, qui reprend les codes de l'art oratoire. Ici, à Madagascar, le kabary accompagne le quotidien des Malgaches depuis des générations et des générations, donc depuis des siècles en fait. C'est une forme très codifiée de prise de parole. Ça va s'utiliser dans divers contextes dans le parcours de vie du Malgache. En allant de de la demande en mariage jusqu'à la prononciation de voeux. Et même pour ouvrir n'importe quel événement, donc c'est quelque chose qui s'utilise à la fois dans les cérémonies officielles mais aussi dans toutes les interactions sociales qui sont teintées de formalisme. Et c'est peut-être pour ça qu'on n'est pas si mauvais à ce type de compétitions internationales. »