Ile Maurice: Vagues à la CWA

L'hôtel du gouvernement suit de près les tensions entre les fonctionnaires et la direction de la Central Water Authority (CWA). «L'In-House Pipe Replacement Program ne ferait pas plaisir à certains politiciens et fonctionnaires qui avaient développé des liens très étroits avec les contracteurs.»

À qui profite cette levée de boucliers ? Au ministère des Finances, l'on affirme soutenir la lutte contre le gaspillage des fonds publics.«Les contracteurs du privé réclamaient Rs 500 millions pour un projet de remplacement de tuyaux, mais la direction de la CWA en utilisant les ressources internes a pu rabaisser le coût à environ Rs 100 millions. C'est une grosse économie pour la CWA, mais c'est aussi un gros manque à gagner pour ceux qui profitaient du système d'où le mécontentement des uns et des autres», explique une source aux Finances, qui connaît bien le dossier.

Interrogé, Prakash Maunthrooa, qui n'a pas souhaité divulguer les détails, a confirmé toutefois que le manque à gagner qui se chiffre en centaines de millions provoque pas mal de remous au sein de la CWA. Il nous a promis de nous en dire plus ultérieurement. Selon son entourage, «Maunthrooa compte aller jusqu'au bout de son mandat (qui finit dans deux mois) et ne va pas baisser les bras puisqu'il a le soutien de ceux qui l'ont mis là-bas pour mettre un bon ordre. C'est clair qu'il est devenu le mal aimé de cette situation parce qu'il est l'empêcheur de tourner en rond.»

%

Au ministère des Services publics et dans les couloirs de l'hôtel du gouvernement, on évoque les relations tendues entre le ministre de tutelle et le DG de la CWA - ce qui envenime les choses.

C'est après la démission de la Chief Internal Auditor, Yousra Lalmohamed, que les choses se seraient corsées. Cette démission ne serait pas la seule. «Il y a eu celle de l'IT Director, du Deputy General Manager Technique et de cinq Zone Managers.» Il y en aura sans doute encore, nous dit-on. Ces derniers évoquent, pour leur part, des actes de victimisation, d'humiliations et de mises au placard.

On apprend par la même occasion qu'un groupe d'employés compte engager une action forte pour «protester contre des insultes subies».

Des pressions sont-elles exercées pour améliorer la performance et offrir un meilleur service aux consommateurs ? Non ! nous répond-on. «C'est pour laisser faire un clan à sa guise, qui ne veut qu'accorder des contrats aux prestataires privés.» Car la CWA serait devenue une sorte de distributeur de contrats au lieu de distributeur d'eau.

Ce serait paradoxalement l'In-House Pipe Replacement Program qui est à l'origine de tout. En principe, comme son nom l'indique, ce sont les employés de la CWA qui devraient se charger du remplacement des tuyaux.

On justifiait ce choix après qu'un membre du board ait déclaré qu'avec «le track record de certains contracteurs...», il fallait privilégier la main-d'oeuvre interne. On précisait cependant que les employés de la CWA ne sont concernés que pour «les petits remplacements dans les rues latérales». Et que, première exception, les remplacements moyens seront effectués par des PME et, deuxième exception, les gros contrats alloués aux gros entrepreneurs.

Et la qualité des travaux ? «Les contracteurs n'ont fait que poser les tuyaux à même le sol sans qu'ils ne soient enterrés à au moins un mètre et demi sous terre, laissant ces tuyaux en PVC vulnérables aux incendies - nous en avons vu au bord de champs de canne - et aux roues des véhicules, entre autres.» Il semblerait que les travailleurs ne veulent pas piocher. «C'est dur!», nous dit-on. Ou alors l'employeur ne veut pas y mettre le prix. Utiliser une tractopelle pour creuser un mètre et demi n'est pas pratique et risque de causer des dégâts, même avec la petite pelle de l'engin.

Remplacement de bons tuyaux

Le comble, certaines nouvelles conduites d'eau n'ont même pas été connectées ! «Les contrats aux prestataires privés ne concernant que le remplacement des conduites d'eau, alors, on remplace, c'est tout.» De plus, parfois beaucoup de ces tuyaux remplacés étaient en bon état et n'ont pas été récupérés ; ils ont été abandonnés sous terre. «Ils devaient durer 80 ans mais ont été remplacés au bout de moins de 30 ans.» Aucun contrôle pour savoir si ces «vieux tuyaux» sont rouillés ou abîmés? «Non. Certains de ces tuyaux ont été vendus aux marchands de ferraille. Un vrai gaspillage !»

Gaspillage de tuyaux et de travaux sans compter les coupures d'eau lors des travaux jugés parfois inutiles. Car c'est connu, beaucoup de coupures d'eau sont attribuées aux travaux. L'on sait aussi combien de ruptures de conduites sont causées par de mauvaises connexions.

Ou par des vannes trop ouvertes et exerçant une trop forte pression, faisant exploser les conduites. Le plus inouï, des conduites en bon état et en surface, donc au vu et au su de tous, ont été remplacées, laissant les anciennes sur place. Un plombier de la CWA nous dit s'être trompé de tuyau en recherchant une fuite, croyant que l'ancien transportait de l'eau.

Inflation de 400 %

Cinq cents kilomètres de conduites d'eau sont en cours de remplacement à travers l'île. De 2015 à 2023, Rs 3,5 milliards ou Rs 4,56 milliards, c'est selon, ont été dépensées. Ce qui avait interpellé Ritish Ramful et Reza Uteem au Parlement. Un budget additionnel de Rs 900 millions a été alloué en 2023 par le ministère des Services publics à la CWA, dont Rs 350 M auraient déjà été déboursées. Certains entrepreneurs auraient été payés les yeux fermés et pour la totalité de leurs réclamations, alors que d'autres n'ont même pas perçu la première tranche de leurs réclamations, alors qu'ils ont déjà exécuté le contrat.

L'un d'entre eux a même abandonné le chantier en pleine exécution du contrat, ayant eu marre d'attendre ses roupies. D'autres plus chanceux, dont un connu comme le préféré de certains à la CWA, ont présenté des factures parfois quatre fois plus élevées que le coût budgété et ont été payés sans problème. En raison de ces surfacturations et des travaux incomplets qui ont nécessité d'autres déboursements, les Rs 350 M ont été épuisées en un rien de temps.

Résultat : la CWA a besoin des Rs 550 M restantes pour terminer la pose de ces 500 km de tuyaux. Or les élections arrivent... et la promesse de distribution 24/7 doit être exaucée. Cela, même si les tuyaux ont été juste posés ! L'autorisation donnée à un haut cadre de payer, sans passer par le board, des montants de Rs 20 M n'a fait qu'aggraver les finances.

Le plus grave : la plupart de ces contrats ont été accordés sous la procédure d'urgence avec seulement des restricted biddings. Quelle urgence ? Élections ? Réponse : «Peut-être, mais ce serait surtout l'urgence d'accorder des contrats en excluant d'emblée certains contracteurs avec l'In-House Pipe Replacement Program.»

AllAfrica publie environ 600 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.