Gabon: Ce que contient le projet de nouvelle Constitution

Adoptée en 1991, plusieurs fois modifiée et depuis longtemps critiquée, la Constitution gabonaise va être entièrement modifiée. Une réforme plébiscitée par la population lors du Dialogue national inclusif organisé en avril 2024. Le 8 mai, la junte au pouvoir a ainsi nommé un Comité constitutionnel national de 21 membres chargé de rédiger un nouveau texte. RFI a pu en obtenir les principales mesures.

Elle compte 150 articles environ, répartis entre une douzaine de titres : la future Constitution du Gabon « sera la plus démocratique de l'histoire du pays, car elle dérive directement des Gabonais eux-mêmes », estime un de ses rédacteurs.

Après la nomination du Comité constitutionnel national le 8 mai par le Comité pour la transition et la restauration des institutions (le CTRI, qui pris le pouvoir le 30 août 2023), il a fallu environ cinq semaines aux panélistes pour accoucher d'une version définitive, bouclée le 13 mai.

« Détailler, articuler, renforcer, corriger mais aussi tenir compte de notre patrimoine constitutionnel »

Les 21 membres, à la fois académiques, politiques, religieux, juristes ou issus de la société civile, ont travaillé « dans un esprit de consensus, avec des décisions prises sur la base du compromis », affirme un des membres. Mais tout n'a pas été facile. Il a d'abord fallu faire de la pédagogie, notamment parce que certains membres ne sont pas du tout spécialistes de droit constitutionnel. « Certains saisissaient mal notre mission. Nous avons donc mis en place un groupe de sept personnes, académiques et magistrats, pour rédiger la première mouture. Elle a ensuite été discutée au cours de séances plénières. Chaque article a été analysé et quelques amendements apportés. Mais il a fallu beaucoup expliquer, certains réfléchissaient avec l'ancien système en tête, alors que nous sommes dans une réforme profonde », indique un des membres.

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Certains éléments ont permis de débloquer les débats. Notamment le fait que certains magistrats du comité soient d'anciens étudiants ou en tout cas proches du milieu enseignant. Certains politiques ont aussi partagé leur expérience pratique, permettant ainsi d'assouplir plusieurs articles et de mieux les adapter à la réalité.

La rédaction n'est d'ailleurs pas partie d'une feuille blanche. Le projet a tenu compte des conclusions du Dialogue national inclusif, même si ces dernières sont « vagues et générales ». « Il a fallu détailler, articuler, renforcer, corriger les incohérences mais aussi tenir compte du patrimoine constitutionnel du Gabon. Nous avons donc repris des dispositions utiles de l'ancien texte », indique un des membres.

Le comité a aussi fait du droit comparé, en s'appuyant sur des sources juridiques extérieures au Gabon, comme les textes fondamentaux d'autres pays. Ainsi les constitutions française, américaine, allemande, espagnole, belge, sud-africaine, ivoirienne, béninoise ou encore sénégalaise, ont été utilisées pour enrichir la réflexion. Les travaux se sont également appuyés sur la jurisprudence de l'ancienne Cour constitutionnelle, certes très décriée, mais « tout n'était pas mauvais ». « Certaines doctrines intéressantes ont pu être reprises », confie un des experts.

Des dispositions de la charte de transition, de traités internationaux africains ou encore de la charte de l'ONU ont également servi de source.

Un régime présidentiel avec garde-fous

Au final, le projet de Constitution consacre un régime présidentiel, mais avec des garde-fous afin d'éviter un chef d'État trop puissant. « Il y a un souci méticuleux de maintenir, de préserver équilibre et la séparation des pouvoirs », analyse un membre du Comité constitutionnel national. Le président de la République disposera ainsi d'un mandat de sept ans renouvelable une fois. Il devra être Gabonais de père et de mère, sans double nationalité. Il sera chef de l'État et du gouvernement. Il n'y aura donc plus de Premier ministre.

Premier garde-fou : le président sera responsable devant le Parlement et donc le peuple. Un système de destitution est ainsi mis en place. Elle sera possible pour haute trahison, violation du serment ou de la Constitution. La haute trahison concernera notamment les crimes de corruption, d'intelligence avec une puissance terroriste, de détournement de deniers publics, etc. Pour être validée, cette destitution devra être votée par au moins deux tiers des parlementaires. Au passage, le même mécanisme pourra aussi viser les ministres, les présidents des hautes cours et les juges de la Cour constitutionnelle.

Autre garde-fou : les rédacteurs ont mis en place un système « anti-tripatouillage ». D'abord, certains articles de la Constitution seront « quasi inviolables » : notamment ceux concernant la durée et le nombre de mandats présidentiels, mais pas seulement. Ce principe est renforcé par une seconde protection : l'article consacrant l'inviolabilité sera lui-même... inviolable. La seule façon de modifier ces articles sera de changer la Constitution.

Ce sera possible par référendum. Les panélistes n'ont pas pu en déterminer tous les détails, pour cela, il faudra attendre les résultats du prochain recensement de la population. Ils ont donc renvoyé à une loi spéciale qui précisera les chiffres. Mais pour des raisons pratiques, des réformes constitutionnelles « plus légères » seront possibles sans passer par la voie référendaire. « Sinon cela risque de multiplier les consultations populaires, notamment chaque fois qu'un traité international devra être intégré dans la constitution », indique un expert.

Ainsi, pour des questions mineures, le texte pourra être modifié par voie parlementaire, y compris pour l'adapter aux accords internationaux, sauf quand ces derniers toucheront aux questions de souveraineté nationale.

Un passage spécifique a été consacré à l'envoi de troupes à l'étranger. Il sera décidé par le chef de l'État, qui devra en informer les présidents des chambres. Par contre, le Parlement devra donner son accord pour le maintien des troupes hors du Gabon.

Parlement fort avec pouvoir de destitution

Concernant le pouvoir législatif, Assemblée nationale et Sénat seront maintenus, avec des parlementaires élus pour un mandat de cinq ans renouvelable à vie cette fois. Un principe adopté afin d'éviter de multiplier le nombre d'anciens élus et par conséquent d'alourdir les caisses de retraite.

Afin de contrebalancer le pouvoir présidentiel, les panélistes ont voulu conserver un Parlement fort, d'où son pouvoir de destitution. Ils ont également ajouté des mécanismes, notamment pour interpeller le chef de l'État sur des points précis. Le président ou un de ses représentants devra alors venir s'expliquer devant les élus.

Le Parlement disposera aussi d'un pouvoir d'investigation, avec la possibilité de nommer des commissions d'enquête ou de contrôle, de transmettre ces prérogatives à la justice lorsque de simples hauts fonctionnaires seront mis en cause.

Par ailleurs, le principe d'une incompatibilité entre les fonctions de ministre et de député, qui se trouvait déjà dans les recommandations du Dialogue national inclusif, a été maintenu. Si un député accepte d'entrer au gouvernement, il perdra automatiquement son mandat et son suppléant devra le remplacer à l'Assemblée. Accepter un portefeuille comportera donc des risques, car la durée d'un gouvernement reste par essence aléatoire. Le texte suprême cherche ainsi à encourager un élargissement des profils ministériels, notamment aux membres de la société civile, aux cadres, etc.

Limiter l'influence politique sur la justice

Enfin, concernant le judiciaire, les experts ont là encore voulu limiter l'influence du politique. Le Conseil supérieur de la magistrature est maintenu, le président continuera de le diriger, le ministre de la Justice en fera toujours partie lui aussi. Par contre, il n'y aura plus de députés parmi ses membres. Le ministre de la Justice perdra néanmoins certaines prérogatives puisqu'il ne sera plus chef du parquet, renforçant ainsi l'indépendance des juges d'instruction.

Enfin, la Cour constitutionnelle, l'instance suprême qui a été tant critiquée : sa composition a été l'un des points les plus débattus au sein du comité, notamment entre les académiques et les magistrats, les premiers insistant sur le fait que les juges constitutionnels ont besoin de compétences techniques très spécifiques. « On ne comprend pas que des magistrats, même issus de la Cour des comptes, souhaitent y entrer. Sans doute parce qu'il s'agit d'une fonction très exaltante qui procure beaucoup d'avantages », raille un panéliste.

En tout cas, les experts se sont mis d'accord. Les membres de la Cour seront issus d'un savant mélange entre quatre magistrats, trois professeurs de droit constitutionnel, un avocat et un fonctionnaire spécialisé dans le judiciaire.

Ce projet de Constitution doit maintenant être remis au chef de l'État, le général Brice Clotaire Oligui Nguema, puis au Parlement. Des amendements sont possibles. Et si les experts assurent avoir « travaillé en toute indépendance, sans aucune influence extérieure », certains ne cachent pas leurs craintes quant à d'éventuelles modifications a posteriori. « Il y a un dénigrement de certains acteurs politiques. L'opposant Albert Ondo Ossa a rejeté le Dialogue national. D'autres ont dit qu'on rédigeait sous la dictée des militaires », s'inquiète un des rédacteurs.

S'ajoute à cela, la dernière conférence de presse du Premier ministre il y a quelques jours. Raymond Ndong Sima avait indiqué que 47 actions se rapportant à la Constitution devaient être menées. Sans beaucoup plus de précision. « Nous avons répondu que nous avions fini notre travail. Nous n'ajouterons rien de plus au texte. Il nous avait été demandé de respecter les conclusions du DNI et d'enrichir avec notre pratique. Le travail a été réfléchi, pour que les pouvoirs soient équilibrés. Mais nous craignons au final des modifications déséquilibrant cette Constitution », confie un membre du Comité.

Au final, ce sera en tout cas au peuple de trancher puisque le nouveau texte fondamental devra être soumis à référendum à la fin de l'année.

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