Ile Maurice: Statue de SAJ - Un art de ressemblance

La statue de sir Anerood Jugnauth a été dévoilée au Port-Louis Waterfront, il y a une semaine, le samedi 15 juin. Depuis, une avalanche de critiques s'est abattue sur l'oeuvre du sculpteur Devanand Bungshee. Dans son atelier-galerie de Pointe-aux-Piments, l'artiste explique que la ressemblance avec le modèle et le «body language» de la statue étaient d'importance primordiale.

Devanand Bungshee est l'artiste mauricien ayant été le plus sévèrement critiqué au cours de la semaine écoulée. Depuis le dévoilement de sa statue de sir Anerood Jugnauth au Port-Louis Waterfront, le samedi 15 juin, la ressemblance - ou pas - de l'oeuvre avec son modèle a déclenché une avalanche de commentaires.

Les moins flatteurs estiment que le visage de la statue ne rappelle pas exactement celui de l'ex-Premier ministre et ex-président de la République. Qui plus est, défunt père de l'actuel Premier ministre, qui a dévoilé la statue, en famille. D'autre part, que l'oeuvre est affligée d'une certaine raideur, avec les bras placés le long du corps. Les plus persifleurs soulignent la quantité d'argent public dépensée par le ministère des Arts et du patrimoine culturel, pour une statue qui ne fait pas l'unanimité. Si la dotation budgétaire l'an dernier pour l'item erection of monuments était de Rs 15 millions, des sources indiquent que la statue aurait coûté Rs 13,5 millions.

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Imposante présence dès l'entrée dans l'atelier-galerie de Devanand Bungshee à Pointe-aux-Piments.

Nous marquons un temps d'arrêt à l'entrée de l'atelier-galerie de Devanand Bungshee, l'Ananta Art Gallery, à Pointe-aux-Piments. Une imposante statue empaquetée dans du plastique, attend. Elle a les jambes enfoncées dans le sol de la galerie, un mètre au-dessous de nous. Le sculpteur confirme. Oui, c'est bien le moule en argile et plâtre de Paris de la statue du bolom. Ce moule sera détruit, affirme le sculpteur. «Cet argile sera recyclé.»

Rencontré le jeudi 20 juin, Devanand Bungshee prend la précaution d'expliquer longuement qu'il doit respecter des clauses de confidentialité du ministère des Arts et du patrimoine culturel. Il se montre très réticent à dévoiler le moule ayant servi à l'oeuvre en bronze, qui a rejoint les statues de sir Seewoosagur Ramgoolam et du professeur Basdeo Bissoondoyal au front de mer, la semaine dernière.

Le sculpteur explique que la statue représente SAJ tel qu'il était entre 60 et 65 ans.

Mais l'envie d'expliquer son travail et de répondre aux détracteurs, finit par l'emporter. «La critique d'art est acceptable. Par exemple, si c'est un autre artiste avec sa vision et son expérience qui critique mon travail et que cela m'aide à me perfectionner, sa mo kapav dakor. Il y aura un débat autour de l'art, parski kapav monn fer enn erer.» Par contre, pour Devanand Bungshee, «quand ce sont les profanes qui n'ont jamais vu comment on façonne une statue, qui n'ont pas de notions de l'art, qui critiquent, ceux-là, je les ignore. Zot koz ninport». Drapé dans sa dignité, le sculpteur cite Shakespeare : «what great ones do, the less will prattle of», une réplique de la pièce Twelfth Night.

Des fissures lézardent la matière molle du moule en argile. Preuve que le temps a passé depuis que le ministère des Arts a passé la commande de la statue de SAJ, à Devanand Bungshee, «vers fin décembre 2023». La dimension requise : une statue en bronze de 3,6 mètres de haut qui est posée sur un socle de pierre taillée, dont la réalisation a été «sous traitée à un tailleur de pierre», indique le sculpteur.

Après avoir longuement expliqué qu'il doit respecter les clauses de confidentialité du ministère des Arts, Devanand Bungshee accepte de dévoiler le moule en argile et plâtre de Paris de la statue de SAJ.

La statue, exige le ministère, doit aussi montrer la posture de SAJ quand il était debout, avec les mains des deux côtés du corps. Pour ce qui est de la physionomie de la statue, «le ministère m'a fourni une dizaine de photos». Spécification : la statue doit représenter SAJ «ni trop jeune ni trop vieux. La statue le montre quand il était âgé d'environ 60 à 65 ans», précise le sculpteur. Ajouté à cela, le sculpteur affirme qu'il a fait ses propres recherches, qu'il a consulté «des photos et vidéos sur Google, pour arriver à la similitude avec le modèle. La ressemblance est très importante. C'est la même technique que j'utilise pour toutes les statues de personnes ayant existé, que j'ai réalisées».

Avoir le moule d'argile presque à hauteur d'yeux - ce qui est impossible au front de mer - montre un visage avec un demi-sourire. «Tro serie li pa bon», dit le sculpteur. Un visage souriant, «sa li pou donn enn pli bon mesaz», explique l'artiste. «Dans plusieurs photos de SAJ que j'ai étudiées, il affiche ce sourire.» Devanand Bungshee rappelle que le modèle de la statue a «travaillé au développement du pays. La statue devait refléter sa personnalité». A-t-il aussi traduit une forme d'autorité ? «Oui, c'est important. Même si vous ne voyez pas totalement le visage de quelqu'un, son body language dit beaucoup de choses.»

La statue de SAJ, ce sont six mois de travail. Qu'est-ce qui a pris le plus de temps ? C'est par la tête que commence le sculpteur, en façonnant le visage sur un plateau tournant. Un travail en 3D d'après étude de photos prises sous divers angles. «Il faut prendre du recul, corriger, recommencer, c'est pour cela que cela a pris environ un mois de travail rien que pour la tête.» La statue a le regard droit devant. «C'était dans la personnalité de SAJ.»

Le moule d'argile tient grâce à une armature de fer. Les deux mois suivants après la fabrication de la tête ont servi à façonner le reste du corps en argile. Etape suivante : le moulage du plâtre qui devient le négatif. Le plâtre est enduit de «12 millimètres de cire pour 12 millimètres d'épaisseur de bronze». C'est la technique de la cire perdue. L'intérieur de la statue de bronze est creux.

Suit le procédé technique de fonderie, dans le four alimenté par un feu de bois pendant 48 heures, pour évacuer l'eau qui est dans le plâtre. Et faire fondre la cire. Dans un autre fourneau au charbon, c'est le bronze qui est fondu à son tour. «Il a fallu trois tonnes de bronze pour la statue de SAJ. Il y a environ 12 % du matériau qui devient déchet parce qu'il est brûlé. C'est comme chez le bijoutier.»

La statue en bronze n'a pas été coulée en une seule pièce. Pour SAJ, il y a dix parties en comptant la base en bronze qui est posée sur le socle en pierre taillée. Les parties ont été assemblées à la soudure pour bronze. A chaque étape, «il y a quatre à 12 personnes qui ont travaillé», fait ressortir le sculpteur. Pour la patine, c'est une couleur tirant sur le marron qui a été choisie. Contrastant avec la patine noire des statues de SSR et du professeur Basdeo Bissoondoyal.

La statue de SSR, c'est encore Devanand Bungshee

Record de présence au Port-Louis Waterfront pour le sculpteur Devanand Bungshee. Il a à son actif trois statues à la suite. En plus de SAJ, c'est lui qui a réalisé la statue de sir Seewoosagur Ramgoolam qui est à côté de son oeuvre dévoilée le 15 juin. À côté de la statue de SSR, celle du professeur Basdeo Bissoondoyal, c'est encore lui.

En sus de SAJ, le sculpteur a aussi façonné les visages de SSR, sir Satcam Boolell, sir Veerasamy Ringadoo, entre autres.

En face du front de mer, plusieurs de ses oeuvres peuplent la Place d'Armes. La statue de sir Satcam Boolell est signée Devanand Bungshee. Tout comme celle de Sookdeo Bissoondoyal. Il a également réalisé le buste du docteur Maurice Curé et celui de sir Veerasamy Ringadoo.

Au jardin de la Compagnie, le monument représentant le planisphère du cartographe arabe Al Idrissi a été réalisé par Devanand Bungshee.

À la gare routière de Vacoas, il a signé une statue du pandit Sahadeo.

Le projet de jardin de sculpture

L'atelier-galerie où l'artiste aménage patiemment un jardin de sculptures.

Un jardin de sculpture est en cours d'aménagement derrière l'Ananta Art Gallery à Pointe-aux-Piments. C'est le projet d'une vie que porte Devanand Bungshee. D'un terrain plat, il en a fait un espace avec des montées et pentes douces. Des coins à l'ombre d'un immense banian. «Cet arbre est beau, mais le désavantage c'est que rien d'autre ne pousse en dessous.» Devanand Bungshee a déjà rassemblé une pépinière qu'il compte mettre en terre au fur et à mesure que fleurit son jardin de sculpture. Une cascade est à venir, annonce-til. Tout comme des espaces dédiés à l'histoire de Maurice, avec le clin d'oeil à l'esclavage, un autre à l'engagisme. Au fond, un dôme en béton figure la forme d'une pieuvre, «mais pas avec huit pattes sinon visuellement ce serait lourd».

Un autre pan de l'histoire dans le jardin de sculpture de Devanand Bungshee.

Parcours: d'enseignant à travailleur indépendant

Devanand Bungshee a été formé aux beaux-arts à la Maharaja Sayajirao University of Baroda en Inde. Après ses études, il a enseigné pendant 16 ans au département des beaux-arts du Mahatma Gandhi Institute, de 1985 à 2001. «Mais on ne peut pas avoir les pieds dans deux bateaux», répond-il quand on lui demande pourquoi il a démissionné comme enseignant après 16 ans de carrière. «Je voulais avoir plus de liberté.»

Ce qui le motive davantage à se consacrer à la sculpture, c'est qu'il reçoit à la même époque la commande pour la statue de SSR qui est au Port-Louis Waterfront. D'autres commandes suivent. «J'avais déjà pris des congés du MGI pour honorer ces commandes. Ce n'était plus possible de continuer comme cela.» Mais surtout, l'artiste tire davantage de satisfaction de la réalisation de ces oeuvres que de la routine de prof.

Après 16 ans comme enseignant au MGI, Devanand Bungshee démissionne pour sculpter à plein temps.

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