Sénégal: Grégoire Junod, syndic de la ville de Lausanne (Suisse) - «J'espère qu'il y'aura suffisamment d'intelligence du gouvernement, de respect des Institutions, pour que les villes puissent exercer leur autonomie»

interview

Le syndic (maire) de la ville de Lausanne, en Suisse, Grégoire Junod, a accueilli une quarantaine de ses collègues, du 22 au 24 mai 2024.

C'était à l'occasion du 44e Congrès de l'Association internationale des maires francophones (AIMF). L'édile de Dakar, Barthélémy Dias, était parmi les présents. Il a été élu Secrétaire général de l'association. Dans cet entretien qu'il nous a accordé, au début du mois de juin, au Vaudoise Arena, un complexe sportif de sa ville, le maire de Lausanne, Grégoire Junod, revient sur le choix du maire de Dakar et la portée de son poste. Il évoque aussi les rapports que doivent avoir les États et les Villes. Enfin, il nous parle des préparatifs des Jeux Olympiques de la Jeunesse (JOJ) Dakar 2026, et la prise de position de l'AIMF dans le dossier juridique de l'ancien maire de Dakar, Khalifa Ababacar Sall.

Dans le passé, il y a eu une divergence entre l'Etat, dirigé par le président Macky Sall, et le maire de Dakar, Khalifa Ababacar Sall ; ce qui a abouti au blocage de plusieurs projets. Quels doivent être, selon vous, les liens entre les gouvernants actuels et le maire Barthélemy Dias ?

C'est difficile de vous répondre parce que je suis un peu la politique sénégalaise. J'ai beaucoup suivi les élections, mais je n'en suis pas un spécialiste de la question. Je pense que, du point de vue partisan, idéologique et des projets, il y a quand-même deux à trois convergences du gouvernement et la politique de la mairie. J'espère qu'il y aura suffisamment d'intelligence du gouvernement, de respect des Institutions, pour que les Villes puissent exercer leur autonomie, qu'il n'y ait pas de différence idéologique comme il en a souvent été le cas parce que ce n'est pas le même parti qui dirige la Ville. Je suis d'un pays (la Suisse) où on a la culture du consensus et de la discussion permanente. On n'est pas du tout habitués à ces bisbilles, mais c'est un gros enjeu.

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Barthélémy Dias était un des participants au 44e congrès de l'Association internationale des maires francophones, tenu à Lausanne, capitale olympique, du 22 au 24 mai 2024. La ville dont il est le maire reçoit les JOJ en 2026. Avez-vous évoqué les préparatifs de cette compétition ?

Oui, bien sûr ! Avec Barthémy Dias, on a parlé des Jeux Olympiques de la Jeunesse (JOJ) de Dakar 2026 ; un des enjeux pour la Ville de Dakar, c'est d'avoir la main sur les jeux. Au Sénégal, c'est une affaire qui s'est faite avec le gouvernement au départ et ça c'est très important. Il est hyper important que les autorités locales, co-pilote du projet, soient impliquées. Barthélémy, il sait sans doute beaucoup mieux que le gouvernement et le Comité olympique ce qui sera utile et nécessaire pour la population de Dakar, dans la durée. Il y a des enjeux majeurs en termes d'activation sportive. Il y a aussi de grands enjeux sur la natation avec des piscines très peu existantes. Ce sont des opportunités, au-delà des jeux, de développer les politiques sportives aussi dans une dimension éducative qui puissent s'inscrire dans la durée.

On a parlé de l'organisation et on va continuer à le faire. Il a participé au Forum des Villes olympiques l'année dernière. Toutes les villes qui organisent des jeux s'y réunissent pour échanger sur les politiques sportives. Les vrais enjeux, c'est inscrire les jeux dans la durée. C'est à la fois faire un événement festif. Je n'ai aucun doute qu'en Afrique ce sera le cas. Il y a eu de très gros succès des jeux de la francophonie qui ont été organisés dans plusieurs villes africaines, de faire de ce moment-là une grande fête, mais d'en faire des outils publics dans la durée parce que le sport, c'est un outil en matière d'éducation, d'apprentissage du respect ; c'est un outil formidable en termes d'égalité homme-femme. C'est aussi un outil d'intégration de populations très différentes.

Peut-on s'attendre à une aide de Lausanne à la Ville de Dakar pour les JOJ Dakar 2026 ?

Pour les conseils, très volontiers ; mais une aide financière, non ! Ce n'est pas le rôle de la Ville. Toutefois, on est ouvert à Dakar sur des projets de collaborations spécifiques dont certains pourraient s'inscrire dans le sport. On avait aussi évoqué des projets en lien avec la natation. Ce sont des possibilités pour les jeux. On est très à disposition pour donner des conseils pour expliquer comment on a fait et ce qui pourrait être repris.

Quelle est la place du Sénégal dans l'Association Internationale des Maires Francophones ?

Une chose importante à dire et qui est spécifique à l'AIMF est qu'elle a la particularité de faire dans la collaboration. Ça veut dire qu'elle a de gros bailleurs de fonds, l'Union Européenne (UE) notamment et des gouvernements. Il y a aussi la Fondation Bill Gates qui donne pas mal d'argent à l'AIMF pour la coopération. Et ça, c'est vraiment la particularité de notre association. On peut nouer des collaborations par des fonds de l'AIMF pour des projets de coopération. On peut aussi faire des coopérations inter-Villes, avec le soutien de l'AIMF.

Le Sénégal, c'est aussi un pays de l'Afrique francophone important. Dakar joue un rôle important dans le réseau. Khalifa Ababacar Sall a été pendant très longtemps le Secrétaire général de l'AIMF. L'actuel maire de Dakar, Barthélémy Dias, vient de lui succéder. Il est élu Secrétaire général lors du congrès du mois mai dernier. Le Sénégal a une place très importante en Afrique de l'Ouest. Et puis, aujourd'hui, c'est une période très importante. Il y a une remise en cause de la France par la jeunesse dans les pays du Sahel, mais largement dans toute l'Afrique de l'Ouest. C'est pourquoi, à mon avis, l'AIMF doit se positionner comme un réseau de coopération multilatérale, y compris parfois entre Villes africaines, avec le français comme langue de partage. Reconnaissons aussi que le français a une histoire différente selon les pays. Ce n'est plus un outil de la France-Afrique, c'est un réseau de coopération ouvert, c'est comme ça qu'il faut concevoir l'AIMF.

Après Khalifa Sall, Barthélémy Dias vient d'être élu Secrétaire général de l'AIMF. Quel est le sens de ce poste ?

C'est une reconnaissance importante du rôle de Dakar au sein du réseau des maires francophones. Au-delà de ça, Barthélémy Dias est une personnalité qui a de l'envergure. C'est un vrai leader. De ce point de vue-là, personnellement, je suis très content qu'il soit Secrétaire général de l'AIMF. C'est une voix qui porte aussi. C'est quelqu'un qui est autonome, indépendant, qui a des idées qui les exprime et les défend ; c'est positif.

L'emploi des jeunes reste un défi majeur pour les pays africains. Est-ce que l'AIMF prévoit une coopération dans ce domaine ?

Les projets de coopération sont initiés par les Villes et c'est à elles de proposer des projets à l'AIMF et à d'autres Villes du réseau. Il y a plein de choses qui peuvent être faites. Évidemment, les gros enjeux, c'est l'échange de compétences. On ne finance pas que les infrastructures. Il faut aussi qu'on puisse assurer un développement autonome.

Il a été constaté un soutien de l'AIMF à l'ancien maire de Dakar, Khalifa Ababacar Sall, quand il a eu des problèmes avec la justice sénégalaise. Est-il récurrent d'avoir cette posture au sein de l'AIMF ?

Ce n'est vraiment pas un enjeu en Europe ni au Canada, mais c'est un enjeu évident en Afrique ; la question d'autonomie des maires et leur protection juridique. Vous avez cité Khalifa, il y en a eu d'autres, des maires au Sahel, qui ont été emprisonnés... L'AIMF a voulu se mobiliser avec ce petit observatoire, une petite cellule, pour soutenir ceux qu'on a appelé les maires en danger, c'est-à-dire ceux qui ne sont pas capables d'exercer leur fonction parce qu'ils font l'objet de procès en bonne partie politique. C'est dans ce cadre-là qu'on s'était mobilisé pour soutenir Khalifa Sall. On a maintenu le contact pour l'appuyer. On a fait des démarches au niveau de l'AIMF auprès de gouvernements, du Conseil fédéral en Suisse. C'était important, entre maires, de défendre le pouvoir d'action et l'autonomie des Villes. Il n'y pas de pouvoir d'action et d'autonomie des Villes s'il n'y a pas la sécurité des maires.

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