Paris — Une étude publiée en mai 2024 dans le Tropical Medicine and Infectious Disease préconise l'intégration du sevrage tabagique dans le traitement de la tuberculose après avoir mis en évidence une prévalence « significative » du tabagisme chez les patients souffrant de tuberculose pulmonaire dans deux pays d'Afrique de l'ouest, à savoir le Burkina Faso et le Bénin.
Menée de décembre 2021 à septembre 2022 sur une cohorte de 1 399 patients âgés de 15 à 90 ans souffrant de tuberculose pulmonaire, l'étude révèle que cet échantillon compte 40,30% d'anciens fumeurs, avec une différence entre les deux pays : 49,6% pour le Burkina-Faso contre 30,90% pour le Bénin. Elle montre aussi que la prévalence de fumeurs actuels est de 28% (33% au Burkina-Faso contre 23% pour le Bénin).
Ces travaux ont aussi mis en évidence le fait que la consommation de la cigarette est la forme de tabagisme la plus concernée avec 86% des patients tandis que ceux qui utilisent le tabac sans fumée et la chicha ne représentent que 9% des patients...
"Le tabagisme figurant parmi les principaux facteurs de risque pour la tuberculose, cette importante étude produit des leçons nécessaires à la perspective d'intégration de l'aide au sevrage tabagique dans la pratique de routine de nos centres de diagnostic et de traitement de la tuberculose"Adjima Combary, Programme national tuberculose, Burkina-Faso
L'étude relève de ce fait que la proportion des fumeurs parmi les patients souffrant de tuberculose est 3,4 à 6 fois supérieure à la proportion des fumeurs dans la population générale dans les deux pays. Ce qui rejoint la situation de l'Afrique du Sud où on compte 56% de fumeurs parmi les patients souffrant de tuberculose contre 19,4% dans la population générale.
L'on apprend encore que dans les rangs les patients qui continuent de fumer, six personnes sur 10 sont de gros fumeurs avec au moins 10 cigarettes fumées quotidiennement. Certains, au Burkina Faso notamment, dépassant même 20 cigarettes par jour...
« La prévalence du tabagisme est élevée chez les patients tuberculeux, avec des facteurs associés tels que le milieu de vie (semi-urbain), les hommes, les personnes de 25 à 59 ans », observe Adjima Combary, coordonnateur du Programme national tuberculose du Burkina-Faso et un des auteurs de cette étude.
Une étude qui relève du projet CETA (Contribuer à l'élimination de la tuberculose en Afrique), mené par L'Union internationale contre la tuberculose et les maladies respiratoires (L'Union) en association avec huit pays de la sous-région : Bénin, Burkina-Faso, Cameroun, Guinée, Niger, Centrafrique, Sénégal et Togo.
Ce projet vise à « améliorer le dépistage, la prévention et l'offre de soins, tout en renforçant les programmes nationaux de lutte contre la tuberculose dans ces huit pays », confie le médecin de santé publique Kobto Koura, co-auteur de l'étude et directeur du département tuberculose auprès de cette ONG.
« Cette étude est motivée par le manque de statistiques biomédicales sur le tabagisme chez les tuberculeux de l'Afrique subsaharienne », mais également par « les observations cliniques qui ont induit le besoin d'objectiver les modes de tabagisme des patients », explique Kobto Koura.
Leçons
Adjima Combary renchérit en disant que « le tabagisme figurant parmi les principaux facteurs de risque pour la tuberculose, cette importante étude devait produire des leçons apprises nécessaires à la perspective d'intégration de l'aide au sevrage tabagique dans la pratique de routine de nos centres de diagnostic et de traitement de la tuberculose ».
Ce dernier ajoute que « les programmes nationaux de lutte contre la tuberculose en ont besoin dans notre marche vers l'élimination de cette maladie conformément aux Objectifs du développement durable (ODD) ».
Si l'on considère que les personnes souffrant de tuberculose ne devraient pas fumer, l'importante proportion de fumeurs parmi les patients a amené les soignants à élargir leur palette de soins, afin de faire face à cette addiction au tabac.
C'est ainsi que la méthode ABC (Ask, Brief advice, Cessation support[1]) mise au point par l'Union et appliquée à une partie de la cohorte de cette étude afin de faciliter le sevrage tabagique, fera l'objet d'une prochaine publication.
En attendant, l'Unité de sevrage tabagique basée à Ouagadougou (Burkina Faso) procède d'ores et déjà à « une recherche systématique de la consommation du tabac chez les nouveaux cas de tuberculose, avec une attention particulière pour les 25 - 59 ans », selon les propos du pneumologue et tabacologue Georges Ouédraogo, chef de cette unité, qui préconise l'usage de substituts de nicotine.
Sevrage tabagique
Une recommandation qui rejoint la démarche de Serge Adé, chef de service de pneumologie à l'hôpital de Parakou au Bénin. Laquelle consiste à « proposer un sevrage tabagique avec des substituts nicotiniques qui bénéficieraient d'un subventionnement à l'échelle nationale afin de permettre que le sevrage se poursuive après la fin du traitement de la tuberculose ».
Dans un entretien avec SciDev.Net, ce dernier souhaite que davantage de mesures soient prises pour renforcer les connaissances des infirmiers, des assistants sociaux et des psychologues dans la gestion du sevrage tabagique en insistant sur le lien entre tabac et tuberculose mais aussi avec d'autres comorbidités non encore prise en compte dans la lutte contre cette maladie, à l'instar de l'alcoolisme et du diabète.
Pour Gisèle Badoum, professeur de pneumologie à université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou, « les résultats de cette étude permettront de mieux cibler les actions futures dans la lutte antituberculeuse. L'âge et le sexe sont deux facteurs intervenant dans l'épidémiologie de la tuberculose et il était important de faire une comparaison avec l'épidémiologie du tabac ».
A en croire Jean-Louis Abena, conseiller tuberculose par intérim auprès de la région Afrique de l'OMS, a estimé à plus de 10 millions le nombre de cas de tuberculose dans le monde en 2022, « avec 2 millions et demi de cas en Afrique dont les 29% qui ne sont pas diagnostiqués continuent à propager la maladie ».
A l'échelle mondiale, les dernières données disponibles publiées par l'OMS en 2021 indiquent pour l'Afrique un taux de réussite des traitements antituberculeux de 88%, meilleur que celui de la région des Amériques (72%) et de la région européenne (68 %).