Mali: Crise dans le foot malien - «C'est une honte internationale», estime l'ex-international Brahim Thiam

interview

Un sélectionneur qui apprend son limogeage par les réseaux sociaux, des joueurs qui menacent de boycotter l'équipe nationale et un président de fédération toujours en prison, la sélection malienne de football est en « plein marasme », selon Brahim Thiam. L'ancien défenseur des Aigles tire la sonnette d'alarme et charge vigoureusement les dirigeants de la Femafoot, seuls « responsables de la situation ».

L'équipe nationale du Mali est dans la tourmente depuis quelques jours avec comme point d'orgue la menace de boycott des joueurs de la sélection. Comment en est-on arrivé là ?

Quand on veut diriger une fédération ou le football de son pays et qu'on a envie de faire passer ses intérêts personnels avant les intérêts de la nation, on se retrouve dans cette situation. Ça veut dire que l'homme, incompétent, mais honnête, va masquer ses incompétences en mettant tout au service d'une nation pour qu'elle puisse avoir des résultats.

Et peut-être, dans un second temps, se servir du Mali plus qu'il ne sert le Mali. Mais on a tout vu dans le foot malien, on a toujours mis la charrue avant les boeufs. Ça veut dire que les hommes qui profitent de ce système-là, y compris des gens qui ne sont même pas du football, qui n'ont jamais joué au football à un haut niveau, sont ceux qui dirigent le football depuis des années.

J'ai très tôt joué pour le Mali et on a toujours eu ce genre de problèmes. On s'est battu contre ce système-là qui perdure, alors que des moyens colossaux sont mis à la disposition de la fédération. La Femafoot touche de l'argent avec les subventions de la Fifa pour des projets qu'on ne voit jamais. En résumé, on aurait dû avancer dans le mieux, mais aujourd'hui, on a avancé dans le pire.

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Vous indexez en quelque sorte un problème de gestion globale, mais surtout financière de la part de la Femafoot ?

C'est un tout, parce que c'est la fédération qui dirige le football malien sous couvert de l'appui financier de la part de l'État. On ne peut pas dédouaner la fédération. En fait, depuis 2017 et le passage de relais du général Diarra (Boubacar) comme président de la fédé - paix à son âme -, les choses se sont dégradées avec l'arrivée de « Bavieux » (Mamoutou Touré). Et cela continue.

Aujourd'hui, on est même dans une situation ubuesque, dans la mesure où le président de la fédération foot du Mali a été élu depuis une cellule de prison. C'est un fait sans précédent dans le football, peut-être, africain. Et cela entraîne quoi ? Des gens qui dirigent le football à sa place. Là, je viens de voir un communiqué, une convocation du capitaine des Aigles signée d'un ancien arbitre (NDLR : Sidi Békaye Magassa) qui a été banni à vie de la CAF, et on ne sait même pas s'il a eu un mandat ou s'il a été élu par la Femafoot. Pour nous, c'est une honte internationale.

Communiqué des joueurs de l'équipe nationale du Mali 🇲🇱🦅Les joueurs, à l'unanimité ( 31 ) , ont décidé de monter au créneau face aux incompétences et incohérences de la fédération malienne de football. pic.twitter.com/abZm2xd4li-- Brahim Thiam (@thiam_brahim) June 21, 2024

Est-ce que vous entrevoyez une solution, et par quoi pourrait-elle passer ?

Le premier souci est que l'État ne peut pas interférer dans la gestion d'une fédération. Ça, c'est malheureusement un gros problème, parce que je pense qu'il y a des décisions bienvenues que pourrait, par exemple, prendre le président de la transition. Il y a déjà eu les rénovations au niveau des stades, aussi au niveau du centre d'entraînement.

On en aurait presque besoin, mais ça, c'est impossible. Ce qui est sûr, c'est qu'on ne peut pas laisser la Femafoot diriger toute seule la sélection malienne. Ils viennent de créer des barrières avec les joueurs. Aujourd'hui, le communiqué a été rédigé par tous les joueurs et a été repris par plus d'une quarantaine de joueurs. On ne peut pas dire que c'est un fait isolé.

Ça veut dire que tout le monde est unanime aujourd'hui sur le même bilan. Cela vient corroborer tout ce que je dis depuis des mois et des mois. On ne revendique aucune place, nous les anciens. Cédric Kanté, le plus proche collaborateur et ancien joueur qui était à côté de « Bavieux », a été trahi par le même président. Ça veut dire que toutes les bonnes âmes ont essayé d'apporter leur pierre à l'édifice.

Mais tous les anciens qui ont envie d'aider leur pays, non pas pour gagner de l'argent, mais pour continuer à amener cet élan de patriotisme, ont été écartés. Parce qu'il ne faut pas ramener des gens compétents et professionnels dans la fédération, ce serait mettre des loups dans la bergerie.

Vous pensez que la menace de boycott des joueurs peut faire avancer la situation ?

Ils ont pris la bonne décision. Nous, les anciens joueurs, on les soutient et on va les accompagner, parce qu'ils ont un ras-le-bol avec tout ce qui se passe depuis des mois. Arriver au centre d'entraînement de Kabala sous la chaleur et sans climatisation pour préparer les éliminatoires de la Coupe du monde, vous vous rendez compte ? On a vécu ça nous aussi.

À notre époque, on allait à Kabala, où il y avait de l'eau un jour sur deux. On avait des lits en bois qui mesuraient 1,75m, alors qu'on fait 1,90m. On était obligé de payer l'hôtel nous-mêmes et venir à Kabala juste pour l'entraînement. Aujourd'hui, même si le centre a été rénové par l'État, on est dans une situation où il y a encore des problèmes alors que ce sont des joueurs de haut niveau.

On ne les a jamais entendus, parce que ce sont des joueurs patriotes, alors que ça fait des mois qu'ils ont des problèmes. Donc à un moment donné, ils disent « stop, on ne peut plus continuer comme ça ». Surtout avec une fédération dont le président est en prison et qui fait diriger la fédé par ses sbires.

La goutte d'eau qui a fait déborder le vase, c'est ce déplacement en Afrique du Sud lors des éliminatoires du Mondial 2026, dont les joueurs ont beaucoup parlé...

Un déplacement, ça se prépare en amont. On dirige une sélection, on sait qu'on va se déplacer, il y a forcément des réunions préparatoires pour bien aborder le match. Je garde une réserve, comme le ministre des Sports a promis de « situer les responsabilités de chacun ». Il faut savoir que les joueurs sont allés deux ou trois fois à l'aéroport en pensant qu'ils allaient prendre l'avion avant de retourner à Kabala.

Moi, à leur place, je ne serais même pas parti à Johannesburg. Faire un voyage de plus de 10 heures pour arriver le jour du match et jouer dans la foulée, c'est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Les joueurs avaient déjà des griefs contre la fédération, mais comme le Malien est bien éduqué et n'aime pas les histoires, ils ont toujours étouffé un petit peu.

Vous savez, il y a toujours eu des binationaux de notre génération qui avaient un peu la grande gueule, mais nos coéquipiers, qui sont nés et ont grandi au Mali, ont une culture un peu plus réservée, et n'ont pas l'habitude de s'exprimer en public pour ne pas créer la zizanie. Cela prouve aujourd'hui vraiment que cette décision de boycott fait l'unanimité.

Ça veut dire qu'il y a un vrai problème, au point de ne plus vouloir jouer avec le Mali, qui est pour nous la chose la plus importante pour nous. On aime tous le Mali. Mais je reste convaincu qu'on ne pourra jamais avancer tant que cette fédération-là, dirigée par « Bavieux », est en place. Il est dans le giron de la fédération depuis plus de 20 ans puisque c'était déjà lui le porte-drapeau d'Amadou Diakité lorsqu'il était mon président. Comme on dit chez nous « a banna », c'est fini ! On ne peut plus continuer comme ça.

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