Guinée: Le temps des plaidoiries de la défense

Matthias Raynal est correspondant en Guinée lorsque, le 28 septembre 2022, s'ouvre un procès pour crimes de masse, le premier de l'histoire du pays. 13 ans plus tôt, à la même date, plus de 150 personnes furent massacrées par les forces de sécurité, lors d'un meeting de l'opposition, au stade de Conakry.

Installé dans la capitale guinéenne depuis 2021, où il collabore notamment avec RFI et TV5 Monde, Matthias Raynal consacre une grande partie de son travail à ce procès. Avant de venir en Guinée, il était correspondant en Tunisie et au Maroc.

Au procès du massacre du stade de Conakry, les avocats des accusés se succèdent à la barre depuis le 27 mai 2024. Presque tous les prévenus ont déjà fait l'objet d'une plaidoirie finale. L'ancien président Moussa Dadis Camara, avec ses nombreux conseils, a été au centre de l'attention ces dernières semaines.

Boubou flambant neuf ou costume trois pièces tout juste sorti de chez le tailleur - excepté les tenues des accusés, les jours se suivent et se ressemblent au terme du procès du massacre du 28-Septembre. Jugés depuis vingt et un mois, onze prévenus - un ancien chef d'État et de hauts responsables de son régime putschiste - doivent répondre de la répression d'un meeting de l'opposition dans un stade de la capitale guinéenne, le 28 septembre 2009. Le bain de sang avait fait plus de 150 morts et plus d'une centaine de femmes avaient été violées.

Le 27 mai 2024, la défense a débuté ses plaidoiries. Une vingtaine d'avocats représentent les accusés. Ils sont déjà une quinzaine à être passés à la barre. Salifou Béavogui, avocat de l'adjudant Mamadou Aliou Keita, a été l'un des premiers appelés par le président du tribunal. Face aux magistrats, faisant dos au public, le conseil nie les faits qui sont reprochés à son client. Selon lui, il n'a pas violé Dame Aissatou Barry, l'une des victimes emblématiques de ce dossier. « Il y a erreur sur la personne.

Elle a dû apercevoir Mamadou Aliou Keita de loin. Mais, au demeurant, ça ne peut pas passer devant une Cour, devant un tribunal criminel. Parole contre parole, ça ne pourra pas passer, ce n'est pas possible. Mamadou Aliou Keita sera acquitté », assure-t-il, préfigurant la ligne de défense des avocats qui vont se succéder à la barre. Tous plaident l'innocence de leurs clients.

Vient la plaidoirie de l'avocat de Blaise Goumou, ancien élément des services spéciaux, considéré comme un exécutant. Le gendarme est soupçonné d'avoir participé à la tuerie au stade et le ministère public a requis contre lui l'emprisonnement à perpétuité. L'argumentaire de Me Yaramo-Cé Saolomou développe plusieurs thèmes que ses confrères continueront d'explorer par la suite. Il dénonce l'illégalité de la requalification des faits en crimes contre l'humanité, qui est demandée par le parquet et sur laquelle le tribunal a décidé de se prononcer seulement au moment du verdict.

Une requalification que certains avocats jugent « opportuniste » et qui montre, d'après eux, l'absence de preuve dans le dossier. « Le ministère public devrait avoir le courage, l'honnêteté intellectuelle et même professionnelle de reconnaître son échec. La loi même vous donne la possibilité de requérir à décharge lorsque vous constatez qu'il n'existe aucun élément, aucune pièce à conviction de nature à établir la culpabilité des accusés », déclare sur un ton péremptoire Me Saolomou.

Victimes accusées

Face à ce dossier qu'ils considèrent comme insuffisamment solide, nombreux sont les avocats à estimer qu'une condamnation de leur client résulterait d'une « chasse aux sorcières ». Certains font référence au procès de Laurent Gbagbo et Charles Blé-Goudé, l'ancien président et l'ancien ministre de la Jeunesse ivoiriens jugés et acquittés devant la Cour pénale internationale (CPI).

Me Saolomou appelle ainsi le tribunal à la raison :« A l'instar des juges de la Cour pénale internationale qui se sont laissés guider uniquement par la loi pour restituer la vérité historique par l'acquittement de ces deux accusés, vous pourrez en faire autant, monsieur le président. » Pour appuyer ses propos, le conseil brandit le tabou de ce procès sans précédent en Guinée : l'affaire aurait une dimension ethnique.

« Il y en a qui pensent que ce procès est dirigé contre une communauté », lance-t-il, suggérant ainsi qu'une condamnation viendrait confirmer cette opinion. « La décision du tribunal ne doit souffrir d'aucune fin communautariste, ethnique, régionaliste ou religieuse », conclut-il.

Dans la même veine, Me Pépé Antoine Lamah, avocat de Moussa Dadis Camara, chef de l'État au moment du massacre, dénonce un procès politique. « Puisqu'il faut juger pour juger, éventuellement distribuer des peines parce qu'il faut procéder à l'exécution d'un schéma politique qui, pour certains, entre dans le cadre de la réconciliation nationale, c'est pour ça qu'on supporte tout ça.

Sinon, si on veut faire un procès sérieux, on recherche véritablement les responsables. » Il accuse certaines victimes d'avoir menti, de s'être enrichies, comme l'Avipa, l'association des victimes, proches et amis du 28-septembre. « Demandez à cette ONG de faire le bilan comptable de ses activités de 2010 à nos jours, vous verrez les traces de milliards !

Pendant que les vraies victimes sont là, à souffrir, les autres empochent des milliards, construisent des maisons, envoient leurs enfants étudier dans des grandes écoles à l'étranger », affirme-t-il. Mais ces attaques dirigées contre les parties civiles sont poussées à leur paroxysme par un autre avocat de Dadis, Me Jean-Baptiste Jocamey Haba.

La théorie du complot

Celui-ci bat tous les records, monopolisant la parole durant plus de trois jours. A la barre, il reprend le dossier dans ses moindres détails, développant, comme jamais avant lui, le thème du complot. Selon lui, le massacre a été organisé par les ennemis de Dadis pour le faire chuter. Il fallait mettre sur la touche cet homme qui gênait « les prédateurs de l'économie guinéenne », parce qu'il s'était attaqué aux narcotrafiquants, à la corruption, aux intérêts des Occidentaux...

Le 18 juin, lors de son deuxième passage à la barre, il va encore plus loin. Il dénonce le rôle joué, dit-il, par la France et cite des personnalités qui aurait eu intérêt à éliminer Dadis : Bernard Kouchner, alors ministre français des Affaires étrangères, le président français Nicolas Sarkozy et l'opposant guinéen Alpha Condé.

La théorie se précise, mêlant des faits avérés - les liens d'amitié anciens entre Kouchner et Condé - à de simples suppositions. L'avocat voit ainsi dans le départ de Condé, la veille de la manifestation, une preuve de son implication. Il savait qu'un massacre allait avoir lieu et il est parti se mettre à l'abri à l'étranger, estime le conseil. L'avocat reprend ici à son compte des rumeurs qui circulent depuis des années à Conakry, sans apporter davantage de preuves.

Selon ces rumeurs, les leaders politiques guinéens et leurs alliés ont sciemment organisé leur meeting pour provoquer le massacre et déstabiliser Dadis. C'est une petite musique que l'on a souvent entendue au procès, du côté de la défense. Ces leaders politiques seraient les vrais responsables du bain de sang qu'ils auraient engendré par leurs provocations. Par ce jeu de renversement, l'avocat rejette la responsabilité du crime sur les victimes.

Le procès va-t-il pouvoir se terminer avant août et les vacances judiciaires, comme le souhaite le président du tribunal ? Tout dépendra du passage des derniers avocats de la défense. Ils sont une demi-douzaine à ne pas avoir plaidé, dont les conseils d'Aboubacar Diakité, dit « Toumba », l'ancien aide de camp de Dadis qui accuse son ancien patron d'avoir ordonné le massacre. Ils pourraient décider, en réplique à Me Haba, de s'éterniser à la barre pour équilibrer les temps de parole.

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