Vivant à Cotonou au Bénin depuis une vingtaine d'années, Issaka Sawadogo est juriste de formation, exerçant dans un cabinet d'avocat. Il est aussi le vice-président de l'Association des Burkinabè résidant au Bénin (ABRB). Dans cette interview qu'il a accordée à Sidwaya, le jeudi 20 juin 2024 à Cotonou au Bénin, en compagnie du président de l'Association, Moumouni Singbéogo, il donne un aperçu de la vie des Burkinabè vivant dans ce pays voisin et sa lecture de la situation nationale.
Siwaya (S.) : Quel est le nombre de Burkinabè vivant au Bénin ?
Issaka Sawadogo (I.S.): Les Burkinabè vivant au Bénin étaient environ
300 000 personnes avant la crise sécuritaire que notre pays traverse. Etant donné que le Bénin partage avec le Burkina sa frontière qui est une zone a fort défi sécuritaire, il est évident qu'aujourd'hui, ce nombre a augmenté au regard des déplacements forcés des populations du fait de l'insécurité.
S : Quels sont les différents secteurs d'activités dans lesquels ils exercent ?
I.S : Une bonne partie de nos compatriotes sont installés au nord du Bénin où leur principale activité est l'agriculture. Ils cultivent le maïs, le coton et font également les cultures maraîchères. Ceux qui sont au sud sont dans le petit commerce ou le secteur du transport, ou sont encore des employés des entreprises de transport burkinabè comme TSR, TCV, STI SALI, etc.
Nos compatriotes sont nombreux aussi dans le secteur de la vente de véhicules d'occasion
en tant qu'employés ou intermédiaires indépendants. Nous avons une infime partie dans la restauration, l'artisanat et des employés de maison. Nous avons quelques opérateurs économiques burkinabè et des fonctionnaires régionaux, internationaux, des structures d'Etat burkinabè telles que la Chambre de commerce et d'industrie du Burkina, le Conseil burkinabè des chargeurs, la SONABHY.
Des compatriotes sont également dans des entreprises privées comme EBOMAF et d'autres entreprises de construction et de génie civil. Certains sont dans les entreprises multinationales telles que les banques, les entreprises de communication. Il y a aussi des étudiants dans les universités du Bénin et des stagiaires qui viennent pour des spécialisations.
S : Y a-t-il des cas de nos compatriotes qui sont des « sans-papiers » ?
I.S : Ici au Bénin, il n'existe pas trop de question de papiers avec la police comme ailleurs. Sauf qu'avec les questions de terrorisme sous régionale, les Burkinabè s'enregistrent de plus en plus pour avoir les cartes consulaires et des missions viennent régulièrement
de Ouagadougou pour établir les documents administratifs à nos compatriotes. Notre association sensibilise les Burkinabè à se faire établir les pièces et à adhérer aussi à la seule association en prenant la carte de membre.Malheureusement, certains sont réticents alors qu'avec la lutte contre le terrorisme, les personnes sans pièces d'identité et se trouvant au nord sont très exposées.
La preuve, nous avons des compatriotes qui croupissent dans les prisons pour présomption d'appartenance à des groupes terroristes. En la matière, la procédure judiciaire dure assez parce que les investigations peuvent aller au-delà de deux ans par les juges d'instruction du tribunal spécial créé par les autorités béninoises.
S : Comment cohabitent-ils avec les populations hôtes dans ce pays ?
I.S : Les Burkinabè et autochtones vivent en bonne intelligence et il n'y a vraiment pas de problèmes communautaires en tant que tel. Lors d'une mission récente au nord du Bénin, il nous a été signalé que dans certaines localités, il existe quelques problèmes, essentiellement entre nos compatriotes pour question de
leadership.
Le bureau de l'ABRB a organisé une tournée pour régler ces questions et les encourager à cultiver la solidarité et l'entraide qui est une marque déposée de notre peuple. Nous les sensibilisons à respecter les Béninois. Les Béninois sont très ouverts, accueillants et respectueux des autres peuples qui cohabitent avec eux.
S : Quelles sont les difficultés que rencontrent les Burkinabè ?
I.S : Nous n'avons pas de problème majeur au Bénin. La seule difficulté que nous avons est que le terrain qui nous avait été attribué a été retiré par des autorités béninoises pour raison d'utilité publique. La parcelle a été retirée il y a plus de 5 ans.
Nous avons parlé au consul et à l'ambassadeur qui était de passage. Les Béninois vivant au Burkina Faso ont bénéficié d'une parcelle octroyée par l'Etat burkinabè pour la construction de leur siège. Nous aussi, nous souhaitons avoir une autre parcelle pour construire notre siège. Nous profitons pour demander aux autorités burkinabè d'intervenir pour que cela soit résolu pour nous permettre de construire notre siège afin de mener plus sereinement nos activités.
S : Le Burkina Faso vit une grave crise sécuritaire depuis plusieurs années. Quelle est votre lecture de la situation nationale ?
I.S : Même si nous sommes hors du pays, nous avons des informations sur la situation du pays et surtout cette insécurité qui gangrène toute la sous-région.
Nous avons aussi vu que nos autorités ont pris la question à bras le corps et le combat qui se mène. Nous les accompagnons par nos prières et nos voeux pour qu'on puisse vraiment débarrasser notre pays de ces hors la loi qui sèment la terreur et nous encourageons nos autorités à aller dans le sens qu'ils ont pris.
S : Quelle est la contribution de la communauté burkinabè vivant au Bénin à l'effort de paix ?
I.S : Notre association a toujours soutenu les autorités parce qu'il s'agit de notre pays et de son existence. Nous avons envoyé divers dons au pays au profit des déplacés internes que nous avons remis à l'époque au ministère en charge de l'intégration. Ici au Bénin, une campagne de solidarité a aussi été organisée, il y a un peu plus d'un an pour donner des vivres, des vêtements à nos compatriotes qui ont traversé la frontière et se trouvaient vers Tanguita.
Nous avons été accompagnés par le consulat général pour soulager nos frères, soeurs et parents qui avaient besoin de notre soutien. Les Burkinabè du Bénin se sont mobilisés et nous avons eu plusieurs tonnes de riz et de maïs que nous avons envoyées à nos compatriotes qui sont au nord. Depuis bientôt trois mois, nous avons lancé une activité pour répondre à l'effort de paix. Nous comptons aller remettre cette contribution avant le mois d'août aux plus hautes autorités pour combattre les égarés qui livrent une guerre insensée à notre vaillant peuple.
S : Quelles sont vos attentes de la Transition en cours ?
I.S : Lorsque vous êtes à l'étranger et que vous apprenez que vous n'avez plus de village et que vos parents se sont déplacés, il va de soi que vous ne puissiez pas dormir. Donc nos attentes, c'est la paix pour le pays afin que toutes les localités du territoire soient sous le contrôle et l'autorité du chef de l'état actuel. Nous attendons aussi de nos autorités qu'elles travaillent dans la transparence et la communication, pour que tout le monde sache
ce qui se passe. C'est à ce prix que la population va comprendre et les accompagner.
Aux Burkinabé de l'intérieur et de l'extérieur, je demande leur solidarité et leur soutien. Car, quand vous êtes en situation de guerre, il faut régler cette question d'abord avant de penser à autre chose. Je pense que nous devons être tous unis contre l'ennemi pour atteindre nos objectifs qui sont différents.
Nous encourageons et félicitons les Forces de défense et de sécurités ainsi que les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) pour le travail qu'ils abattent. Nous demandons qu'ils soient plus vigilants. Ils font du bon travail.
Aux autorités, je demande de leur donner en plus de moyens. Parce que si vous n'avez pas de pays, vous n'aurez pas d"autorité non plus. Les autorités doivent également être fermes dans la gestion des ressources et sanctionner les détournements de deniers publics pour avoir le soutien de tous.
S : Quel appel avez-vous vous à lancer aux Burkinabè pour réussir la reconquête du territoire national ?
I.S : Nous faisons confiance à nos autorités et demandons le soutien de tous les compatriotes de l'intérieur et de l'extérieur pour gagner cette guerre qui nous a été imposée. L'heure n'est pas à la division mais plutôt à l'union. De grâce, pour une fois, mettons la politique entre parenthèses pour la reconquête du territoire national.
Nous comprenons que l'activité principale de certains, c'est la politique mais, ils ne pourront pas la faire valablement si le pays est en lambeaux. Pour celles et ceux qui critiquent tout, il faut savoir raison garder. En temps de guerre, on ne dit pas tout. On s'unit pour faire face à l'ennemi commun et après la victoire, on revient à nos moutons.