Ile Maurice: Bernard Maigrot déclaré coupable Chronique d'une incroyable saga judiciaire

Après 23 ans de mystères et de rebondissements, Bernard Maigrot, âgé de 62 ans, a été reconnu coupable du meurtre de la styliste Vanessa Lagesse. Les jurés de la cour d'Assises ont rendu un verdict de culpabilité à une majorité de sept voix contre deux.

Ce procès, qui a duré presque un mois cette fois, a confronté les membres du jury à divers témoignages et preuves. Bien que du côté de la poursuite l'on estime que justice a été faite, pour les avocats de Bernard Maigrot, la bataille juridique pour prouver son innocence se poursuit. Malgré ce verdict, des questions persistent sur cette affaire complexe. Nous avons essayé de trouver des réponses aux éléments qui ont conduit au verdict de culpabilité de Bernard Maigrot.

Comment les membres du jury sont-ils appelés à délibérer ?

Lors d'un procès devant les Assises, les jurés sont en fait des «judges of facts», non des «judges of law». Les jurés se laissent guider par les directives du juge siégeant lors du procès et rendent leur verdict en se basant uniquement sur les preuves et témoignages présentés. Ils ne sont pas appelés à appliquer les lois et encore moins à décider de la sentence en cas de verdict de culpabilité. Le juge a souligné que l'homme d'affaires n'a aucune obligation de prouver ou de réfuter les accusations portées contre lui, ni de témoigner en sa défense.

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Dans son exposé, le juge Aujayeb a précisé que la charge de la preuve incombe à la poursuite, qui doit démontrer trois éléments essentiels pour établir la culpabilité de Bernard Maigrot dans le cadre d'une accusation de meurtre : l'acte d'infliger des blessures à la victime, que ces blessures aient directement conduit à la mort de la victime, et enfin, l'intention de tuer. Les témoignages ainsi que les preuves scientifiques soumises au tribunal ont été examinés de près pour déterminer s'ils pouvaient établir de manière concluante les trois éléments requis pour une condamnation pour meurtre. Le verdict de sept voix contre deux démontre que les membres du jury ont dû peser des éléments contradictoires et ont probablement eu des opinions divergentes sur la culpabilité de l'accusé.

Les preuves

La poursuite s'est basée sur des preuves scientifiques. D'ailleurs, c'est sur la base de cellesci que Bernard Maigrot a fait face à un nouveau procès. La directrice du Forensic Science Laboratory (FSL), Madhubala Madhub-Dassyne, lors de son témoignage en cour, avait affirmé qu'un seul échantillon de sang avait été prélevé sur Bernard Maigrot. Cet échantillon avait été envoyé à Bordeaux le 23 juillet 2010. Le Pr Doutremepuich, qui avait effectué les analyses, avait affirmé que l'ADN de Bernard Maigrot avait été retrouvé sur des draps de Vanessa Lagesse, lesquels contenaient de nombreuses traces de sang. Me Glover, l'avocat de Maigrot, avait contesté la production de ces rapports.

L'accusé avait, lui, sollicité l'expertise de deux scientifiques, le Dr Susan Pope et le Profes- seur Christophe Champod, pour examiner les rapports du Professeur Christian Doutremepuich du laboratoire d'hématologie médicolégale de Bordeaux, mandaté par la police mauricienne. Le Dr Pope a conclu que la quantité d'ADN recueillie étant faible et les éléments obtenus étant limités, il est impossible de déterminer l'heure et les activités qui se sont déroulées sur la scène de crime. Pour le Pr Champod, l'ADN ne peut pas indiquer l'heure de la présence de Bernard Maigrot sur les lieux, ni ses activités au moment du meurtre, ni s'il a été déposé plus tôt ou au moment du crime. Par ailleurs, le rapport médico-légal et les photos prises par la police ont démontré que les bles- sures infligées à la victime avaient pour but de la tuer.

L'alibi

Bernard Maigrot avait un alibi. Sa femme Isabelle et son amie d'enfance, Martine Desmarais, avaient soutenu que le soir du meurtre, les Maigrot avaient dîné au restaurant Paparazzi à Grand-Baie, avant de partir prendre un verre chez les Desmarais. Ils étaient arrivés chez Martine Desmarais vers 21 h 45 avant de quitter les lieux vers 00 h 45 et de rentrer chez eux à Cap-Malheureux. La poursuite a argué que l'alibi de Bernard Maigrot ne tient pas la route car, selon l'ex-chef du département médico-légal, le Dr Satish Boolell, le meurtre de Vanessa Lagesse aurait été commis entre minuit et 2 heures du matin le 10 mars 2001. «Bernard Maigrot had ample time and opportunity to drive from his place at Cap-Malheureux to go to Grand-Baie at Vanessa Lagesse's house after he reached his place around 1 a.m», avait soutenu la poursuite. Isabelle Maigrot, l'épouse de l'accusé, avait consommé du vin dans la soirée du 9 au 10 mars 2001 et n'avait pu justifier où se trouvait son mari entre 1 heure et 2 heures du matin, avait-elle affirmé dans sa déposition.

Questions sans réponses

L'affaire est une suite inexorable de doutes», avait déclaré Me Gavin Glover. Il a souligné que de nombreuses questions demeurent sans réponses, notamment: qui a déplacé le cadavre de Vanessa Lagesse de la baignoire et qui a fermé le robinet? Son observation de la scène de crime est que les carrés de marbre, les bords de la baignoire et le rideau de douche étaient tous propres, sans aucune trace de sang. L'amie de la défunte, Elizabeth Hennesch, n'avait pas été appelée à la barre. Idem pour l'Allemand qui était entré dans la maison de la victime et avait vu le cadavre en premier. La poursuite n'a pu établir la présence de ces personnes au bungalow de Vanessa Lagesse ce jour-là car ils n'étaient pas des témoins au procès. Durant ces 23 ans écoulés, des témoins sont morts et d'autres sont introuvables.

Prochaines étapes

Après le verdict de culpabilité, les avocats de Bernard Maigrot ont signifié leur intention de poursuivre la bataille juridique pour prouver son innocence. Les plaidoiries sur la sentence auront lieu le 16 juillet et, après que la cour a prononcé la sentence, Bernard Maigrot disposera de 21 jours pour faire appel. Son avocat pourrait demander qu'il soit relâché sous caution en attendant que son appel soit entendu. En cas de jugement défavorable en appel, Bernard Maigrot peut recourir au Privy Council.

Pourquoi le procès a duré si longtemps

Bernard Maigrot avait été arrêté le 23 avril 2001 sous une accusation de meurtre. Une enquête préliminaire avait débuté le 7 mai 2003 devant la cour de district de Mapou et s'était prolongée pendant trois ans. Le 28 novembre 2007, le magistrat avait décidé de renvoyer Bernard Maigrot aux Assises. Cependant, le 2 juin 2008, le Directeur des poursuites publiques (DPP) avait choisi de classer l'affaire. Le 4 juillet 2008, l'enquête policière fut relancée avec l'aide des autorités françaises, et des preuves furent envoyées en France pour des tests ADN. Le 18 mai 2012, Bernard Maigrot fut à nouveau accusé d'homicide. Le juge Prithviraj Fekna, qui devait présider ce procès en cour d'Assises, décéda le 6 août 2019, et le procès reprit le 5 septembre 2019 sous la direction du juge Benjamin Marie Joseph.

En 2021, à la suite d'une motion de la défense, le juge Marie Joseph décida que les nouvelles preuves scientifiques venant de France ne pouvaient être utilisées par la poursuite, car l'accusé n'avait pas eu l'occasion d'y être confronté lors de l'enquête policière, compromettant ainsi l'équité du procès. Le juge rejeta également une motion de la poursuite visant à référer cette question à la cour d'appel le 19 janvier 2022, conduisant le DPP à abandonner une deuxième fois les poursuites.

En février 2022, le Central Criminal Investigation Department avait convoqué Bernard Maigrot à plusieurs reprises, avec un rapport du laboratoire d'hématologie médico-légale de France. Le 21 février 2022, une nouvelle accusation fut portée contre Bernard Maigrot par le DPP. Par la suite, la défense déposa trois motions pour abus de procédure afin de soutenir une demande de suspension permanente des poursuites. Le juge Aujayeb avait alors estimé que l'affaire devait se poursuivre étant donné la gravité du meurtre. Avec, à la clé, un verdict de culpabilité pour Maigrot...

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