Soixante-quinze ! C'est le nombre des membres de la nouvelle équipe gouvernementale qui a été mise en place en Afrique du Sud par le président Cyril Ramaphosa, au lendemain des élections générales du 29 mai dernier.
Lesquelles ont vu le Congrès national africain (ANC), le parti au pouvoir depuis les élections multiraciales post-apartheid de 1994 qui avaient porté Nelson Mandela au pouvoir, perdre la majorité parlementaire en ne récoltant que 40% des suffrages. Le fait est que le parti de l'icône de la lutte anti-apartheid, ne cesse de perdre l'estime des Sud-Africains d'année en année, et ce, au regard de ses résultats en chute libre d'élection en élection.
Au point d'être contraint aujourd'hui au partage du pouvoir avec l'opposition à travers la formation d'un gouvernement d'union nationale. Une équipe pléthorique qui donne à l'Exécutif des allures d'un mammouth, et qui reste sans précédent en Afrique du Sud. D'autant que ce nouveau gouvernement est né dans la douleur, après de longues tractations avec d'autres partis, notamment l'Alliance démocratique (DA), le principal parti d'opposition dont les 21% de voix ont été nécessaires, avec celles d'une dizaine d'autres formations politiques représentées dans ce gouvernement, à la réélection du président Cyril Ramaphosa pour un second mandat.
Ce gouvernement d'union nationale traduit l'échec de l'ANC
C'est dire si le locataire des Union Buildings a du pain sur la planche, au regard du caractère hétéroclite de ce gouvernement qui a été formé sur fond de marchandages serrés et dans une volonté du chef de l'Etat nouvellement réélu, de contenter toutes les parties. Autant dire qu'en réussissant à mettre en place un tel Exécutif, l'ANC sauve les meubles.
La question qui se pose est de savoir si la configuration du gouvernement qui se présente comme un pachyderme, est un atout ou un handicap. Déjà, avec un nombre aussi élevé de ministres, le gouvernement s'annonce aussi budgétivore que le président Ramaphosa semble mal parti pour son second quinquennat, en traînant le handicap de ne pas tenir une première promesse : celle de réduire le nombre de ministères, qui ne manquera pas de s'en ressentir sur le train de vie de l'Etat.
C'est dire si le chef de l'Etat sud-africain et son parti ont été rattrapés par la réalité du moment. Toujours est-il qu'en ratissant aussi large et en tenant coûte que coûte à satisfaire tout le monde, le risque est grand, pour le président Ramaphosa, de voir ses ministres se marcher sur les pieds ou empiéter les uns sur les plates-bandes des autres, si chacun doit s'employer à tirer la couverture à soi. Toute chose qui pourrait être à l'origine de rivalités internes de nature à plomber l'action du gouvernement, en lieu et place de l'efficacité recherchée.
Et l'on peut se demander si, à la longue, cela ne va pas créer une crise de confiance entre gouvernés et gouvernants qui semblent d'autant plus attachés à leurs propres intérêts que chacun voulait sa part du gâteau dans la composition du nouveau gouvernement.
Le parti de Nelson Mandela gagnerait à tirer leçon de ses déconvenues électorales
Et dans ce jeu de positionnement et d'intérêts, l'ANC n'est pas en reste puisqu'elle se taille la part du lion en gardant des ministères stratégiques comme celui des Affaires étrangères ou encore celui du Commerce et de l'industrie.
De son côté, avec le ministère de l'Agriculture et celui de l'Intérieur, l'Alliance démocratique (DA), le principal parti de l'opposition, ne s'en tire pas à si mauvais compte en glanant au total une demi-douzaine de strapontins. Huit autres partis parmi lesquels l'Alliance patriotique, le Mouvement démocratique uni, le parti Afrikanner Freedom Front Plus ou encore le parti nationaliste Zoulou Inkhata (IFP), complètent, entre autres, le tableau de ce premier gouvernement d'union nationale extrêmement élargi.
Toujours est-il qu'en se prêtant au jeu et en participant de manière significative à l'action du gouvernement, ces partis seront désormais comptables du bilan de l'ANC. En tout état de cause, « l'union, dit-on, fait la force ». Et c'est le principal atout qui devrait permettre au gouvernement de relever les défis qui se présentent aux Sud-Africains, en termes d'amélioration de leurs conditions de vie. Et pour la cohésion de l'action gouvernementale, chacun devra y mettre du sien.
A commencer par l'ANC qui devra s'employer à créer les conditions d'une bonne gouvernance collégiale et dont les ministres seront attendus au pied du mur et jugés à l'aune de leur exemplarité dans la gestion de la chose publique. Au-delà, ce gouvernement d'union nationale traduit l'échec de l'ANC qui n'a jamais été autant en perte de vitesse et en sursis au point de se chercher des alliés politiques. Mais le parti de Nelson Mandela gagnerait à tirer leçon de ses déconvenues électorales pour redresser la barre d'une gouvernance qui, en trois décennies de pouvoir, peine à répondre aux aspirations des Sud-Africains.