Burkina Faso: Pr Anselme Dabilgou, chef de service de Neurologie au CHU-YO - « L'épilepsie n'est pas du tout contagieuse »

interview

L'épilepsie est un trouble neurologique chronique caractérisé par des crises récurrentes. Ces crises sont causées par des décharges électriques anormales dans le cerveau. L'épilepsie peut affecter n'importe qui, quel que soit l'âge, le sexe ou l'origine ethnique. Le Pr Anselme Dabilgou, chef de service de neurologie au Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo (CHU-YO) et par ailleurs président de la ligue burkinabè contre l'épilepsie explique.

Sidwaya (S.) : Comment définissez-vous l'épilepsie ?

Anselme Dabilgou (A.D.) : l'épilepsie est une maladie neurologique chronique qui est caractérisée par la répétition des crises. Ces crises peuvent survenir au moins deux fois au-delà de 24 heures.

S. : quels sont les symptômes de cette maladie ?

A.D. : Les symptômes sont nombreux. On peut avoir dans la crise tonico-chronique, une perte de connaissance avec morsure de langue et des secousses musculaires au niveau des membres. C'est la forme la plus connue. Mais il y a d'autres formes telles que l'absence qui est plus fréquente chez l'enfant. Au niveau de cette forme, on voit une attitude figée de l'enfant pendant quelques secondes avant de reprendre ses activités.

Cette crise est généralement remarquée par la maitresse d'école. Par ailleurs, en fonction de l'aire du cerveau impliquée dans la crise épileptique, nous aurons par exemple, des manifestations motrices si c'est le lobe frontal qui est touché. On aura ainsi des manifestations sensitives brèves (baisse de sensibilité tactile) lorsque c'est le lobe pariétal qui est touché, etc.

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S. : Quelles peuvent être les complications de l'épilepsie ?

A.D. : Il y a plusieurs complications. La première complication, c'est au moment même de la crise. Le patient peut se blesser et avoir des accidents de la voie publique pendant qu'il fait sa crise. On aura des traumatismes crâniens qui peuvent être graves. La crise peut se répéter de façon rapprochée et entrainer le coma. C'est ce qu'on appelle état de mal épileptique. Cette situation peut conduire rapidement à la mort du patient. Après la crise, il peut aussi avoir d'autres complications, surtout à long terme.

On peut avoir des troubles anxieux, la dépression et les troubles cognitifs comme la perte de la mémoire, la démence. Ces troubles vont entrainer des problèmes de communication des patients avec leur entourage. Ces problèmes peuvent aboutir dans quelques rares cas à des gestes suicidaires.

S. : Quelles peuvent être les facteurs de risque de cette maladie ?

A.D. : Les facteurs de risque de cette maladie sont nombreux. Il y a les traumatismes crâniens qui exposent à une épilepsie. Il y a des facteurs liés aussi à la mauvaise prise en charge de la grossesse telles que la souffrance foetale, les infections néonatales et les malformations cérébrales.

Un patient qui a fait un Accident vasculaire cérébral (AVC) peut aussi avoir une épilepsie. Il faut ajouter qu'une atteinte quelconque du cerveau (infection, traumatisme, AVC, tumeur ect ...) peut exposer le patient à une épilepsie.

S. : Quelle est la prévalence de cette maladie au Burkina ?

A.D. : Il faut dire que les études de prévalence sont rares au Burkina. La seule étude réalisée en 1993 a montré une prévalence de 10 pour 1000 habitants. C'est à dire que 10 personnes sont touchées sur une population de 1000 habitants. Par rapport aux données des pays développés, c'est quand même important.

S. : Quelles sont les personnes les plus touchées par ce mal ?

A.D. : Ailleurs en Europe et dans les pays développés, on voit qu'il y a deux tranches d'âge qui sont touchées. Les enfants et les sujets âgés. Cela est dû au fait que chez les enfants, le cerveau est encore immature donc vulnérable aux agressions diverses. Chez le sujet âgé par contre, le cerveau qui est en train de vieillir est touché par beaucoup de maladies, notamment les tumeurs et les AVC.

Mais en Afrique, du fait de la fréquence des facteurs de risque comme les traumatismes crâniens et les infections cérébrales, on a une évolution plutôt linéaire. En plus, il faut y ajouter le fait que plusieurs patients ne bénéficient pas d'une prise en charge médicale et ne fréquentent pas les centres de santé.

S. : Comment procédez-vous pour diagnostiquer l'épilepsie chez un patient ?

A.D. : Le diagnostic de l'épilepsie est avant tout clinique. C'est la répétition d'au moins 2 crises espacées de 24 heures. L'interrogatoire du patient et de son entourage suffit pour poser le diagnostic. La crise se répète selon des fréquences variables, une fois par semaine, une fois par mois, tous les deux mois, etc...

On n'a donc pas besoin de faire des examens pour diagnostiquer l'épilepsie. Dans certains cas difficiles (enfant, sujet agé), on peut avoir recours à la vidéo des téléphones portables pour mieux voir les crises. L'examen physique et l'imagerie cérébrale (Scanner, IRM) permettent de rechercher la cause de la maladie. L'Electro-encéphalogramme (EEG) est un examen bénin du cerveau qui permet de voir le fonctionnement du cerveau. Il est très utile pour la mise en route du traitement antiépileptique et la surveillance des crises sous traitement. En gros, il permet de savoir si le traitement est efficace ou pas.

S. : Est-ce qu'il existe un traitement contre l'épilepsie ?

A.D. : Il existe des traitements qui sont efficaces. Le seul problème que nous avons, est l'indisponibilité de la plupart des médicaments dans notre contexte. Il y a aussi le problème de cherté des produits qui se pose aussi. On rencontre aussi des ruptures thérapeutiques. Le phénobarbital est difficile à avoir pour nos patients.

S. : Pourquoi cette inaccessibilité du phénobarbital ?

A.D. : Le produit n'est pas fabriqué ici. Aussi, ce médicament peut être utilisé à d'autres fins, notamment non médicales. C'est pourquoi, il faut forcément une ordonnance d'un médecin à jour, pour la délivrance du médicament par les pharmaciens. Le produit n'est plus fabriqué dans les pays développés car, ils ont d'autres produits efficaces qui ont moins d'effets secondaires donc mieux tolérés par les patients.

S. : Quels sont les défis liés à la disponibilité et l'accessibilité de ces produits ?

A.D. : Nous avons remarqué qu'il y a très peu de médicaments pour les enfants (en sirop).Aussi une étude que nous avons menée a révélé que tous les médicaments essentiels n'étaient pas disponibles. Ce qui fait que pratiquement nous sommes en train de faire des ajustements thérapeutiques chez nos patients. Les produits ne sont pas les

mêmes, les effets indésirables non plus. Cela nous amène souvent à faire ce qu'on peut pour trouver les médicaments, ce qui n'est normal. En plus, cette situation expose nos patients à faire des crises graves (état de mal épileptique) et à avoir de nombreux effets indésirables souvent graves conduisant à une hospitalisation, à des séquelles physiques ou à la mort du patient.

S : Quels sont les effets indésirables liés à l'utilisation de ces produits ?

A.D. : Les effets indésirables sont des effets non bénéfiques suite à l'utilisation des médicaments. Dans le cas des antiépileptiques, on a les allergies qui se manifestent souvent par les maladies dermatologiques dont certaines sont graves. Il y a aussi d'autres effets indésirables comme les troubles de la vigilance qui sont dangereux pour la personne qui conduit.

S. : Au regard de ces effets indésirables, est-ce que vous observez une adhérence au traitement ?

A.D. : Les patients adhèrent au traitement antiépileptique. Avant la mise en route du traitement, on explique aux patients la pathologie, les possibilités thérapeutiques qui existent, les effets indésirables possibles du médicament, la disponibilité pour le traitement et le coût du traitement. Car il ne sert à rien de mettre un traitement pour un mois et puis après le patient abandonne alors que le traitement doit durer au moins deux ans.

S. : L'épilepsie est-elle contagieuse ?

A.D. : Je suis formel. L'épilepsie n'est pas du tout contagieuse. Ni par la salive, ni par le sang, ni par les rapports sexuels.

S. : Pourquoi souvent les populations ont-elles peur des épileptiques ?

A.D. : La grande crise tonico-chronique généralisée est tellement spectaculaire que ça peut faire peur quand vous regardez. Aussi, la crise survient chez la personne de façon soudaine. Le patient qui fait sa crise, s'agite, tombe, se débat, puis a des troubles de la conscience. On a même l'impression que le patient est mort. Mais quelque temps après, on voit le patient se réveiller sans aucune séquelle.

S. : Quelles sont les autres types de crises épileptiques ?

A.D. : La grande crise fait au moins 80 % des crises épileptiques. Mais il y a aussi l'épilepsie absence ou le petit mal, car il se manifeste chez l'enfant d'âge scolaire de 10 à 13 ans. A l'école, on l'interroge on voit qu'il est figé, muet. Il regarde le tableau, il ne bouge pas du tout et puis subitement, il reprend conscience et il continue.

S'il était en train d'écrire, il s'arrêté et subitement, il recommence à écrire. Il y a d'autres formes qui sont liées à la décharge, c'est à dire là où nait la crise épileptique. Si la crise épileptique nait au niveau des aires qui s'occupent du langage ou au niveau des aires qui s'occupent de la mémoire, on va avoir des troubles de la mémoire pendant quelques secondes.

S. : Est-ce que ces patients sont sujets à la stigmatisation ?

A.D. : La stigmatisation est fréquente et est liée à la méconnaissance de la maladie par la population. Elle peut aussi venir des soignants qui ont parfois peur d'examiner le malade. Il y a un véritable intérêt de faire des campagnes de sensibilisation à l'endroit des populations, des enseignants et des agents de santé, surtout ceux qui sont au niveau périphérique. Egalement, le patient a peur d'être indexé, d'aller à l'hôpital et ce dernier est isolé. Ils ont même peur de se marier. C'est une maladie qui est vraiment stigmatisante.

S. : Est-ce qu'on peut prévenir ce mal ? Comment ?

A.D. : Oui, il y a une prévention. Nous avons parlé tantôt de certaines causes de l'épilepsie, notamment les causes traumatiques. Il faut porter le casque en circulation, il faut également manger sain, car des parasites peuvent se localiser au cerveau. Lorsqu'on mange la viande de porc mal cuite, on peut avoir une maladie appelée la neuro cysticercose qui est à l'origine de l'épilepsie. Il faut également un bon suivi de la grossesse pour qu'il y ait moins de souffrance foetale.

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