Congo-Kinshasa: Indépendance du 30 juin au pays - Repenser le discours discret de Kasa-Vubu !

L'analyse lexicologique et comparée de deux discours de Joseph Kasa-Vubu et Patrice Emery Lumumba du 30 juin 1960 révèle, soixante-quatre ans après, l'immense intérêt scientifique à revisiter la pensée du Premier Président de la République du Congo. Car, celui de Lumumba devenu par après en 1966, héros national a longtemps occulté la pertinence dont les rêves et intentions cachés de Kasa-Vubu sont « cachés » dans ce bref soliloque, mais révélateur pour l'avenir politique de l'ex-colonie.

« Au moment solennel où la République du Congo se présente au monde et à l'histoire, pleinement indépendante et souveraine. Au moment où nous ressentons intensément le caractère irrévocable et définitif du pas que nous franchissons, nous ne pouvons pas nous empêcher de mesurer la gravité de nos responsabilités et, dans une attitude de profonde humilité, de demander à Dieu qu'il protège notre peuple et qu'il éclaire tous ses dirigeants ».

Par ces mots judicieux et non-violents, Joseph Kasa-Vubu, natif de Kuma-Dizi au Kongo central, espérait bien faire entrer le Congo dans le concert des nations. Son intention était de poser les fondements de ce jeune Etat sur l'« humilité » et la « paix », autant que sur des valeurs républicaines et démocratiques. Malheureusement, son intention louable s'est vue balayée par la suite des événements.

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Ayant fait ses études primaires et secondaires respectivement au Petit Séminaire de Mbata-Kiela (Bas Kongo) et au Grand Séminaire de Kabwe (Province du Kasaï Oriental), il faudra le rappeler, le 1er Président du Congo indépendant était destiné à devenir prêtre. Il a vu sa vie basculée dans la politique, malgré lui, en 1939, lorsqu'il fut renvoyé du Séminaire à cause de son « fort esprit d'indépendance et de son esprit critique ».

L'analyse lexicologique et comparée de son discours du 30 juin 1960 à celui d'un P.E Lumumba laisse planer, soixante-quatre ans après, l'immense intérêt scientifique et historique de questionner l'exposé du 1er Président de la République du Congo.

Ses rêves et intentions sont perceptibles dans ce discours bref, mais révélateur. Est-il encore opportun de faire un tel exercice 64 ans après ? Surtout à l'heure où, une certaine opinion a largement qualifié, depuis belle lurette d'ailleurs, ce soliloque de pro-colonisateur, contrairement au discours implacable et tonitruant de P.E Lumumba, son 1er Ministre.

Effectivement, des deux cosmogonies de ces leaders de l'indépendance, l'une transparait et prévalait sur toute autre considération : l'indépendance et la souveraineté nationales.

Rêve audacieux de la liberté et de l'indépendance politique

Ce rêve, Joseph Kasa-Vubu en avait et l'a clairement annoncé en ces termes : « Je voudrais exprimer ici une émotion », enchaine-t-il, « la reconnaissance que nous ressentons envers tous ces artisans obscurs ou héroïques de l'émancipation nationale, à tous ceux qui, partout sur notre immense territoire, ont donné sans compter leurs forces, leurs privations, leurs souffrances et même leur vie pour que se réalise enfin leur rêve audacieux d'un Congo libre et indépendant » (applaudissement).

Contrairement à ce qui est répandu au sein de l'opinion, Joseph Kasa-Vubu n'avait rien caché sur ses ambitions audacieuses et son idéal libertaire en ces termes :« je pense à ces agriculteurs de nos plaines et de nos vallées, à ces intellectuels aussi, à tous ceux, jeunes ou vieux, qui ont senti monter dans leur coeur, un irrésistible idéal de liberté et qui, quoi qu'il pût arriver, ont su rester fidèles à cet idéal et ont su l'accomplir. Je pense à nos femmes aussi qui sans ...faiblir un seul instant, ont su réconforter leurs fils, leurs époux devant leurs luttes magnifiques et souvent même se trouver à leurs côtés au plus âpre du combat ». Et de boucler : « A vous tous et à vous toutes, artisans incomparables de la grandeur de notre patrie, le Congo indépendant que vous avez créé, vous dit avec émotion sa gratitude infinie et vous assure solennellement que jamais vous ne serez oubliés ».

Cap vers l'avenir

« Tournons-nous maintenant vers l'avenir », avance Joseph Kasa-Vubu. Et de rappeler que « l'aube de l'indépendance se lève sur un pays dont la structure économique est remarquable bien équilibrée et solidement unifiée. Mais, l'état d'inachèvement de la conscience nationale parmi les populations a suscité certaines alarmes que je voudrais dissiper aujourd'hui en rappelant tous les progrès qui ont déjà été accomplis en ce domaine et qui sont les plus sûrs garants des étapes qui restent à parcourir ».

Ce leader Kongo cimentait déjà l'unité nationale qui s'est effritée par la mutinerie du 05 juillet 1960, soit 5 jours après l'indépendance politique annoncée. Elle sera suivie par la proclamation, le 11 juillet, de l'indépendance du Katanga par Moïse Tshombe.

D'une sensibilité discrète, il aborde ce jour de l'indépendance en déclarant ce qui suit : « Que de différences, en effet, lors de la fondation de notre pays, entre des populations que tout contribuait à maintenir écartées les unes des autres sans souligner les diversités des langues, de coutumes ou des structures sociales, rappelons simplement les distances énormes qui nous séparaient et le manque de moyens modernes de communication de la fin du siècle passé. Pour se reconnaître, il a fallu se rencontrer ».

Et d'imputer « Bon nombre de populations vivant aux confins de ce vaste pays se sentaient peu proches les unes des autres. Vous avez bien voulu rappeler, Sire, combien le progrès de moyens de déplacement contribua heureusement à enserrer le pays dans un réseau d'échanges qui a servi aussi et, grandement, à rapprocher les hommes.

Le développement économique de son côté amena la création de cités de travailleurs et de centres où les ressortissants de différentes ethnies apprirent à vivre ensemble une certaine osmose s'opéra. Les échanges se multipliant, les régions devinrent petit à petit complémentaires les unes des autres renforcèrent aussi leur collaboration.

Avant d'ajouter : « le développement de l'instruction, la création et la diffusion des journaux et périodiques, la multiplication des postes-radio, tout cela contribua à la naissance dans les villes d'abord, dans les milieux ruraux, ensuite, d'une opinion publique d'où petit à petit de dégagèrent les éléments d'une véritable conscience nationale ». Le voilà envisageant d'aiguiser la conscience historique, rappelant au roi des Belges ses innovations sur l'ancienne colonie.

La métropole chargée

Mais contrairement aux idées reçues, le leader de l'ABAKO n'a pas mis une chape sur les méfaits de la puissance colonisatrice. « La Belgique eut alors la sagesse de ne pas s'opposer au courant de l'histoire », annonce-t-il, avant de démontrer que « comprenant la grandeur de l'idéal de la liberté qui anime tous les coeurs congolais, elle a su, sans précédent dans l'histoire d'une colonisation pacifique, faire passer directement et sans transition notre pays de la domination étrangère à l'indépendance dans la pleine souveraineté nationale » (applaudissements).

Et de continuer « Mais, si nous pouvons nous réjouir de cette décision, nous ne devons pas oublier que c'est à nous à désormais à prendre le relais et à rassembler les matériaux de notre Nation dans l'union et dans la solidarité ». Un véritable appel à la responsabilité pour la jeune République.

Mais, continua-t-il, « Nous disposons pour cela d'un large éventail de moyens, mais il faudra que nous les utilisions avec sagesse, sans hâte ni lenteur avec le souci de s'adapter harmonieusement au rythme normal des choses, sans essouffler les populations par une marche trop rapide qui les laisse hors d'haleine sur le bord de la route mais sans se complaire non plus dans une administration béate de ce qui est déjà.

La conscience nationale pousse depuis longtemps les populations congolaises vers plus de solidarité ; nous aurons à favorise plus que jamais ce mouvement de rapprochement national ».

Et de rajouter « un rôle tout spécial sera dévolu, dans cette recherche d'une grande cohésion nationale aux institutions centrales du pays et surtout à l'action des Chambres Législatives.

Certains d'entre nous, Messieurs les Sénateurs et Messieurs les Députés ont pour la première fois, sans doute côtoyé des élus venant d'autres provinces. Grande a été leur surprise de constater que votre idéal et vos préoccupations étaient si proches les uns des autres. J'ai la conviction que vous ferez de ces assises le véritable creuset d'une conscience nationale toujours plus développée ».

Chose étonnante est cette quête d'assimilation sollicitée. Aux historiens et politistes d'en juger la gravité : « Nous aurons également dans tout le pays développer l'assimilation de ces quatre-vingts ans de contact avec l'Occident nous a apporté du bien ; la langue qui est l'indispensable outil de l'harmonisation de nos rapports, la législative qui insensiblement a influencé sur l'évolution de nos coutumes diverses et les a lentement rapprochées et, enfin et surtout, la culture.

Une affinité fondamentale de la culture rapproche déjà tous les Bantous, aussi le contact de la civilisation chrétienne et les racines que cette civilisation a poussées en nous, permettront aux sangs anciens revivifiés de donner à nos manifestations culturelles une originalité et un éclat tout particulier. Nous aurons à coeur de favoriser l'éclosion de cette culture nationale et d'aider toutes les couches de la population à en percevoir le message et à en approfondir la portée. Nous aurons là une mission essentielle à remplir. Car, la culture sera le ciment de la Nation ».

« Cette recherche », insista-t-il, « ainsi que la mise en place des matériaux dessinés à notre unité nationale, doit devenir la préoccupation dominante de tous. Aucun habitant de ce pays ne peut se refuser de participer à cette oeuvre capitale ».

Et d'achever par ces mots : « Nous saurons pour cela, dans ce vaste chantier de quatorze millions d'hommes, qui est notre pays, éclairer et guider tous ceux qui y oeuvrent dans l'enthousiasme 'est cette communauté d'efforts, de peines et de travail qui achèvent le plus sûrement s'unir tous les congolais en une grande, seule et solide Nation. Nous montrerons ainsi au monde, par nos actes, que nous sommes dignes de la confiance que le peuple a placé en nous, et que de nombreux pays nous témoignent déjà ».

« Nous ne les décevrons pas » (applaudissements).

(La finale prévue dans le texte polycopié qui fut distribué à la presse, ne fut pas prononcée.

L'éloge du bourreau ?

Sire,

Discours de charme, il l'a fait en ces termes : « a présence de votre Auguste Majesté aux cérémonies de ce jour mémorable constitue un éclatant et nouveau témoignage de votre sollicitude pour toutes ces populations que vous avez aimées et protégées. Elles sont heureuses de pouvoir dire aujourd'hui à la fois leur reconnaissance pour les bienfaits que vous et vos illustres prédécesseurs leur avez prodigués et leur joie pour la compréhension dans laquelle vous avez rencontré leurs aspirations ».

Cet encensement, il le continua envers d'autres pays en ces termes : « elles ont reçu votre message d'amitié avec tout le respect et la faveur dont elles vous entourent et garderont longtemps dans leur coeur les paroles que vous venez de leur adresser en cette heure émouvante ».

Avant de conclure qu'« elles sauront apprécier tout le prix de l'amitié que la Belgique leur offre et elles s'engageront avec enthousiasme dans la voie d'une collaboration sincère ». Et de dire : « Messieurs les Représentants des pays étrangers nos joies et vous nous avez fait honneur de venir nombreux célébrer avec nous ces journées historiques. Aussi des relations d'amitié seront-elles faciles à nouer demain entre notre pays et chacun des Etats que vous présenterez ».

Enfin, « Vous qui voyez autour de vous l'immense enthousiasme qui s'est emparé de toute la Nation vous qui sentez notre désir de réussir et de bien faire connaître au monde cette image ». Avant d'annoncer finalement « Je proclame, au nom de la Nation, la naissance de la République du Congo ».

Ce discours, soixante-quatre ans, résonne dans la mémoire populaire comme un speech aux intentions cachées. A la suite de l'article du Prof Yoka (2021) qui alertait pour la première fois sur l'intérêt de s'intéresser avec une équité scientifique aux deux discours Congolais du 30 juin respectant la portée politique de chacun. La question que l'on peut se poser est celle de savoir pourquoi le discours de Kasa-Vubu a été longtemps mis aux calendes grecques par rapport à celui de Lumumba P.E Lumumba qui, on le sait maintenant, l'avait lu avant et avait déjà préparé sa réplique et au discours présidentiel et au discours royal ?

Quelle serait notre avenir politique si ce discours n'eût été « rebiffé » par celui de P.E Lumumba ? Quelle aurait été la trajectoire du nouvel État indépendant si nous en étions restés là, au seul discours de Kasa-Vubu ?

Le Congo indépendant, pour finir, est né malheureusement d'une sorte de quiproquo, d'intrigue, de suspicion et de désunion, le Président ne sachant pas que son premier Ministre préparait sa propre algarade malheureusement, avec les toutes les enchainements inouïs hérités actuellement.

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