Burkina Faso: Le régulateur des médias du pays s'attaque aux médias critiques

communiqué de presse

L'épée de Damoclès de l'autorité de régulation des médias du Burkina Faso s'est abattue sur plusieurs organes de presse, entraînant en moins de 24 heures la suspension de deux d'entre eux.

Le 19 juin 2024, le Conseil supérieur de la communication (CSC) a annoncé la suspension du journal d'investigation bimensuel L'Évènement suite à un article publié le 10 juin 2024. Cet article accusait un certain capitaine Prospère Boena, présenté comme proche du chef militaire du Burkina Faso, le capitaine Ibrahim Traoré, de détournement de 400 millions de FCFA (environ 651 436 dollars).

Le CSC estime que l'article contenait des allégations non fondées et des insinuations diffamatoires sans preuve évidente, en violation de l'article 122 de la loi 057-2015/CNT, qui régit la presse écrite au Burkina Faso. En conséquence, il a suspendu le journal pour un mois sur tous ses supports de diffusion.

En réaction, L'Évènement a publiquement condamné cette sanction, la qualifiant de grotesque, injuste et abusive, et a annoncé son intention de contester la décision devant les tribunaux.

Le même jour de la suspension de L'Evènement, le CSC a également suspendu pour deux semaines l'émission « 7 Infos » de la chaîne de télévision privée BF1. Cette suspension fait suite à une séquence au cours de laquelle le chroniqueur Kalifara Séré s'interrogeait sur la date de diffusion d'images montrant le chef de l'État en train de donner son sang. Le CSC a jugé ces propos diffamatoires, invoquant un manquement à la déontologie pour justifier la suspension, et a ordonné le retrait des parties de l'émission jugées offensantes des plateformes de BF1.

%

Entre-temps, M. Séré a disparu après avoir été convoqué pour un interrogatoire. BF1 a exprimé son inquiétude quant à sa disparition, déclarant qu'il était devenu injoignable, et sa famille a confirmé qu'elle n'arrivait pas non plus à le joindre.

Le même jour, le CSC a ordonné au journal en ligne Lefaso.net de retirer immédiatement un article intitulé « Meeting de soutien à la transition : 'Nous ne voulons pas entendre parler d'un autre président, celui que nous connaissons, c'est Ibrahim Traoré' ».

Le CSC a mis en accusation deux autres articles pour « des faits non vérifiés et tendant à la désinformation » et a reproché au journal de ne pas modérer les commentaires des utilisateurs, incitant à la haine et publiant des informations non vérifiables. Le 5 juin 2024, les représentants de Lefaso.net ont reconnu ces problèmes et se sont engagés à améliorer leurs processus éditoriaux et leurs pratiques de modération, après une convocation par le CSC pour expliquer les lacunes identifiées.

Ces sanctions surviennent un jour après la suspension, le 18 juin 2024, de l'organe de presse français TV5 Monde-Afrique pour une durée de six mois, en raison de la publication présumée de « propos tendancieux frisant la désinformation ».

La récente suspension de TV5 Monde-Afrique, associée à des mesures similaires prises à l'encontre d'autres médias locaux, est particulièrement préoccupante.

La liberté de la presse au Burkina Faso est en net recul, comme le souligne le rapport 2024 du Centre national de presse Norbert Zongo, qui attribue au pays la note la plus basse de son histoire (1,96 sur 4).

Il est crucial que tous les acteurs agissent avec modération en ces temps difficiles, en plaçant l'intérêt supérieur du peuple burkinabé au coeur de leurs actions. Il est urgent de créer un environnement propice à des relations productives entre les médias et l'État afin de préserver les valeurs démocratiques et les droits humains fondamentaux. Afin de renforcer la liberté de la presse au Burkina Faso et d'assurer un environnement médiatique plus démocratique, la Fondation des Médias pour l'Afrique de l'Ouest (MFWA) formule les recommandations suivantes :

  • Que le CSC annule immédiatement toutes les suspensions prononcées à l'encontre de tous les médias.
  • Que les autorités enquêtent sans délai sur la situation de Kalifara Séré.
  • Créer des forums officiels où les représentants du gouvernement et des médias peuvent discuter des différends et établir une confiance mutuelle, en veillant à ce que les préoccupations des médias soient entendues et traitées rapidement.
  • Réformer les lois existantes qui restreignent la liberté de la presse, telles que celles utilisées pour justifier les récentes suspensions de médias, et inclure les professionnels des médias dans le processus législatif afin de garantir des réglementations plus équitables.
  • Soutenir les médias indépendants et promouvoir le journalisme d'investigation afin de renforcer la transparence et la responsabilité.
  • Restructurer le CSC pour qu'il fonctionne indépendamment de l'influence du gouvernement, en se concentrant sur la protection de la liberté de la presse et en assurant une surveillance équilibrée des médias.

AllAfrica publie environ 600 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.