Les ministres des Affaires étrangères de l'Alliance des Etats du Sahel (AES) ont séjourné du 26 au 30 juin 2024 en Belgique, dans le cadre du Forum Crans Montana qui réunit chaque année les leaders du monde pour plancher sur les problématiques majeures et les préoccupations du moment. Une tribune mise à profit par la délégation de l'AES pour porter la bonne information à l'opinion internationale, dans un contexte de manipulation des masses. Le ministre des Affaires étrangères, de la Coopération régionale et des Burkinabè de l'extérieur, Karamoko Jean Marie Traoré, a également mis à profit son séjour pour s'entretenir avec des autorités et personnalités politiques.
Présidée par le Président des Iles Comores, Azali Assoumani, l'édition 2024 du forum Crans Montana dont le thème central est : « Face aux crises multiples, le monde à la recherche de son avenir », ne pouvait pas mieux cadrer avec les défis actuels des populations de la zone de l'Alliance des Etats du Sahel (AES).
D'où la présence effective des ministres des Affaires étrangères du Burkina Faso, du Mali, ainsi que de l'ambassadeur du Niger à Bruxelles, représentant son ministre. C'était aussi la première sortie officielle d'une délégation de l'Alliance hors du continent africain.
Le forum a prévu un panel dédié aux Etats de l'AES et co-animé par les ministres des Affaires étrangères, Karamoko Jean Marie Traoré, Abdoulaye Diop et l'ambassadeur Alhassane Idé. « Nous sommes là pour expliquer et non pas pour nous justifier. Les justifications, nous ne les devons qu'à nos populations », a tenu à préciser d'entrée le ministre Diop. Il poursuit que les Etats du l'AES ne sont pas des antidémocrates. « La démocratie ne peut exister que dans un Etat. Et nous, nous n'avions plus d'Etat. Notre préoccupation est de reconstruire nos Etats et nos interlocuteurs, eux, sont en train de préparer des élections. On ne pouvait pas se comprendre », a-t-il précisé.
Le ministre Traoré s'est employé à expliquer la logique qui a abouti à la naissance de l'AES. « Longtemps, les Etats du Sahel ont crié. Ils n'ont pas été entendus. Quand ils ont été entendus, les réponses apportées ont été très inappropriées. Nos Etats ont fini par comprendre que rester dans cet espace équivalait à accepter de disparaitre.
Les trois pays ont compris également, suite à leur appel au secours resté lettre morte, qu'il fallait qu'ils s'organisent eux-mêmes pour se prendre en charge », a laissé entendre le ministre des Affaires étrangères du Burkina Faso. Abondant dans le même sens, son homologue du Mali martèle : « le sort de nos Etats ne va plus se décider à Bruxelles, à Paris, à Washington, mais à Bamako, à Ouagadougou, à Niamey ».
Prendre au sérieux les positions de l'AES
Intervenant au cours des échanges, Ndiaye Mankeur, ancien ministre des Affaires étrangères du Sénégal, a exprimé ses regrets de voir les trois Etats quitter la CEDEAO. « Si je dis que j'applaudis votre sortie de la CEDEAO, j'ai menti. Je reste optimiste que vous allez revenir à la maison », a-t-il indiqué.
Le ministre Traoré s'est étonné que le débat se focalise sur le retour des trois pays au sein de la CEDEAO. « J'observe que la CEDEAO ne se remet pas en cause. Elle n'est même pas dans une posture d'autocritique, c'est désolant », a-t-il lancé. Pour le ministre malien, la question ne se pose plus.
Il appelle les partenaires à prendre au sérieux les positions de l'AES. « Le Président Goïta a dit que nous sommes sur un chemin de non-retour, prenez-en acte », a-t-il ajouté. La ministre des Affaires étrangères de la Guinée-Bissau (2016-2023), Suzi Carla Barbosa, présidente du Conseil des ministres de la CEDEAO avoue que les organes délibérants de la CEDEAO, au plus haut niveau, n'ont pas fait droits aux avis des ministres. « Les Etats touchés par l'insécurité ont réellement tapé à la porte de l'organisation pour demander assistance. Les ministres ont émis des avis favorables mais les chefs d'Etat qui ont la décision finale ont fait la sourde-oreille », a révélé la ministre Barbosa.
Les trois panélistes ont épinglé l'Union européenne (UE) pour avoir refusé de vendre des armes léthales aux Etats du Sahel au motif que ses textes le lui interdisent. Et le ministre Diop d'interroger : « en vertu de quel principe livrez-vous alors des armes léthales à l'Ukraine ? La vie d'un Ukrainien est-elle mieux que celle d'un Sahélien ? C'est du deux poids deux mesures ». L'ambassadeur du Niger a dénoncé le soutien de l'UE aux « sanctions cyniques » de la CEDEAO à l'encontre de son pays tandis que le ministre Traoré fait constater que l'Union européenne continue de réclamer des signaux positifs comme gage de reprise de la coopération.
« Quand des populations par milliers sont réinstallées et des écoles s'ouvrent, cela n'est-il pas un signal positif. Quel autre signal voulez-vous ? », s'est-il interrogé. Emanuela del Re, Représentante spéciale de l'Union européenne pour le Sahel, est intervenue pour souligner que malgré tout, l'Union européenne reste dans la région aux côtés des Etats pour les accompagner face aux défis sécuritaires et économiques.
Bientôt, une mission de l'UA dans les pays de l'AES
En marge du forum, la délégation de l'AES a rencontré le Groupe africain des ambassadeurs (GAAB) à Bruxelles. Cadre informel, ce groupe existe pour permettre aux diplomates d'échanger, de partager et de s'accorder sur des questions d'intérêt commun.
« Nous sommes venus vous donner des clés de lecture de ce qui arrive dans la région du Sahel », a introduit Abdoulaye Diop, ministre malien des Affaires étrangères. « Vous êtes des relais sûrs ici dans vos juridictions de compétences mais également dans vos pays. Trop de choses se disent. Et on assiste à une campagne médiatique mensongère dont le destin est de polluer l'opinion internationale.
La dernière en date est relative à la pseudo-mutinerie et l'imaginaire fuite du Président du Faso. Un grossier montage que des puissances étrangères ont fait, croyant ainsi nous déstabiliser. Sachez que ce n'était qu'un tissu de mensonge », a souligné le ministre burkinabè. Le Représentant permanent de l'Union africaine (UA) auprès de l'Union européenne, Awad Sakine, a salué la démarche de l'AES. « L'UA ne laisse pas ses Etats membres à l'écart.
Elle est certes attachée aux valeurs démocratiques, mais quand elle est obligée de prendre des sanctions, le fil du dialogue n'est pas rompu. Dans les prochains jours, l'UA projette de dépêcher une mission dans les pays en question pour renouer avec le dialogue », a-t-il précisé. Outre cette rencontre, le ministre Traoré a eu un carnet d'audiences fourni. Il a été reçu en audience par le ministre d'Etat et président honoraire du Parlement belge, André Flahaut, un homme d'expériences et averti des questions socio-politiques et sécuritaires de la région du Sahel.
« J'ai vu en lui quelqu'un qui a un sens de l'écoute très élevé, un homme qui se préoccupe de la situation du Burkina et dont le souhait est de voir les choses évoluer positivement », résume le ministre Traoré. Il se dit confiant de ce que le ministre d'Etat continuera à porter le message dans l'intérêt des populations du Sahel et celles du Burkina Faso en particulier. Egalement, le ministre des Affaires étrangères du Burkina Faso a eu des échanges « fructueux » respective- ment avec Emanuela del Re, représentante spéciale de l'Union européenne pour le Sahel et Long Trans, envoyé spécial du Secrétaire général de l'OE-ACP pour la coopération avec l'Asie.
La diaspora attendue sur le terrain de la lutte contre la pollution médiatique
Le séjour a aussi été marqué par deux rencontres que le ministre a eues avec le personnel de l'ambassade du Burkina Faso à Bruxelles et la communauté burkinabè de la juridiction. Dans un premier temps, le ministre Traoré a échangé avec le personnel de l'ambassade. Au centre des préoccupations, figurent la situation sécuritaire au Burkina Faso et les défis à relever dans le cadre des missions assignées à la représentation diplomatique du Burkina Faso. Le ministre a adressé ses appréciations et félicitations, ainsi que celles du gouvernement, à l'ensemble du personnel de l'ambassade qui donne le meilleur de lui-même, en dépit de conditions souvent difficiles.
La seconde rencontre a concerné la communauté burkinabè de la juridiction. Première rencontre du genre avec le chef du département en charge des affaires étrangères, elle a mobilisé la communauté venue du Luxembourg, des Pays-Bas, du Royaume-Uni, de la Grande Bretagne, d'Irlande du Nord et de la Belgique. La situation sécuritaire a occupé une bonne place dans les échanges.
Le ministre n'a pas manqué de rassurer. Il a surtout confié une mission aux membres de la communauté : « Ces derniers temps, la diaspora a été victime de pollution médiatique car c'est elle et les populations européennes qui en étaient la cible. Nous avons saisi l'occasion pour apporter la bonne information et également remercier la diaspora pour tout le soutien patriotique qu'elle apporte. Et leur dire que nous sommes toujours preneurs de tout apport venant d'elle. L'apport, ce n'est pas toujours du numéraire. La diaspora est attendue sur le terrain de la sensibilisation, de l'information, celui d'aider à lutter contre toute source de pollution médiatique ».