Tchad: Deby fils vise par une enquête en France pour soupcons de biens mal acquis - Quel impact sur les relations entre Paris et Ndjamena ?

Et voilà une autre affaire de biens mal acquis d'un chef d'Etat africain, qui fait les choux gras de la presse internationale. Cette fois-ci, il ne s'agit pas d'un de ces vieux crocodiles de la faune politique africaine, usé par le pouvoir jusqu'aux os, mais bien d'un jeune chef d'Etat frais émoulu, qui a réussi à troquer son treillis contre le boubou en se faisant élire au terme d'une transition plutôt mouvementée.

Laquelle transition, entamée au lendemain de la mort brutale de son père en avril 2021, s'est achevée le 6 mai 2024 par l'élection présidentielle qui signait le retour du pays à l'ordre constitutionnel. Mahamat Idriss Deby Itno, puisque c'est de lui qu'il s'agit, fait l'objet d'une enquête préliminaire ouverte en France depuis janvier dernier par le parquet national financier pour « détournement de fonds publics et recel ».

En cause, des dépenses somptuaires dans l'achat de vêtements de luxe dans l'Hexagone, qui ont éveillé les soupçons des enquêteurs suite aux révélations d'un Journal d'investigation. Et selon la presse, les recherches pourraient être élargies au patrimoine immobilier détenu par la famille Déby et son entourage en France.

L'indépendance de la Justice française n'est pas remise en cause

Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'après les Bongo au Gabon, les Sassou au Congo, les Obiang en Guinée équatoriale, les Biya au Cameroun, la liste des familles de chefs d'Etat africains épinglées par la Justice pour biens mal acquis, s'allonge avec l'ouverture de cette enquête préliminaire contre le président tchadien.

Et il faut d'autant plus espérer que la Justice française fera la lumière dans cette affaire qu'il s'agit d'un présumé détournement de fonds publics s'élevant à plusieurs centaines de milliers d'euros, englouties dans des dépenses extravagantes pour satisfaire les folies vestimentaires d'une tête couronnée. Passe encore si ces biens ont été acquis sur fonds personnels.

Mais si c'est sur des deniers publics, le fait mérite d'être dénoncé et puni. C'est en cela que cette enquête préliminaire ne pouvait pas mieux tomber pour éclairer l'opinion africaine sur un continent où le bien public est loin d'être sacré et où les caisses de l'Etat se confondent bien trop souvent aux poches des dirigeants. Cela dit, pour une enquête ouverte en France contre le président tchadien, la question qui se pose est de savoir l'impact que cela pourrait avoir sur les relations entre Paris et Ndjamena.

La question est d'autant plus fondée que pour Déby fils, cette affaire relève d'une cabale politique ourdie par un ex-proche tombé en disgrâce. Et le timing de la médiatisation de l'affaire qui intervient quelques semaines après la visite du ministre russe des Affaires étrangères au Tchad, ne manque pas d'interroger sur le pourquoi du maintenant, alors que l'enquête a été lancée depuis le mois de janvier dernier. Bien entendu, l'indépendance de la Justice française n'est pas remise en cause. Et tout le mal qu'on lui souhaite, c'est de parvenir à démêler l'écheveau pour que si Deby fils est reconnu coupable, il soit puni à la hauteur de son forfait aux yeux de l'opinion publique.

Il faut craindre que Deby fils ne finisse par prendre définitivement ses distances avec Paris

Mais s'il est innocent, qu'il soit blanchi. Toutefois, au-delà de la Justice, on peut se demander si cette affaire n'a pas aussi des relents politiques dans un contexte où la France cherche à contrer l'influence grandissante de la Russie en Afrique. En tout cas, le récent rapprochement de Deby Fils avec Moscou pourrait d'autant plus inquiéter Paris que la France est aujourd'hui en perte de vitesse sur le continent noir où l'Ours russe ne cesse de gagner du terrain dans la basse-cour du Coq gaulois.

Et c'est peu dire que la France n'a jamais digéré la façon dont ses troupes ont été éconduites du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Des pays du Sahel dirigés par des régimes militaires qui sont dans une logique de diversification de leurs partenaires et qui se sont tous orientés vers Moscou au grand dam de Paris dont Ndjamena reste pratiquement le seul partenaire privilégié dans cette partie de l'Afrique.

De là à penser que ce dossier judiciaire pourrait être une façon ou une autre pour l'Elysée, de tenir en laisse Deby fils que le président Emmanuel Macron était allé soutenir au lendemain de la mort du père à qui le fiston a succédé dans les conditions que l'on sait, il y a un pas que beaucoup pourraient franchir. Et si tel est le cas, il faut craindre qu'à force de se sentir importuné par un dossier judiciaire aux allures d'épée de Damoclès, l'homme fort de Ndjamena ne finisse par prendre définitivement ses distances avec Paris, pour jeter son dévolu sur des partenaires beaucoup plus accommodants.

En tout état de cause, ce n'est pas la première fois qu'un chef d'Etat africain est épinglé par la Justice française dans des dossiers de détournement de fonds publics. Et on attend de voir de quoi accouchera cette affaire d'acquisition de vêtements de luxe européens dont le mis en cause dit ne pas être « adepte » et auxquels il dit largement préférer les habits traditionnels de son pays.

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