Ile Maurice: Les 5 péchés capitaux

Le Premier ministre a finalement concédé que malgré une décennie au pouvoir et des promesses répétées, le gouvernement MSM a échoué dans sa mission de transformer Maurice en un pays moderne. Il pense que cinq années additionnelles seront nécessaires "avant que le pays soit modernisé pour tous". Que ce soit en termes de création de nouveaux piliers économiques, d'agriculture bio, d'intelligence artificielle ou de data technology park, de services de santé digitalisés, d'éducation en ligne, d'urbanisme ou de numérisation des services publics, les avancées restent bien en-deçà des attentes suscitées. Cet échec patent s'explique par cinq raisons majeures : une Vision 2030 en trompe-l'oeil, un processus budgétaire opaque et défaillant, la suppression du garde-fou de la dette publique, l'affaiblissement continu des institutions et surtout la perte de la capacité du pays à se réinventer et à se reconstruire.

  1. Une Vision 2030 creuse sans substance ni méthodologie

Le premier écueil du gouvernement MSM aura été son incapacité à définir une véritable Vision 2030 pour le pays. Au lieu d'un exercice rigoureux et participatif basé sur un diagnostic approfondi, une large consultation et des objectifs clairs, mesurables et déclinés en plans d'action, la "Vision 2030" présentée en grande pompe en août 2015 n'était qu'un show médiatique creux. Un simple catalogue de promesses non étayées - 100 000 emplois par-ci, 25 000 postes dans l'économie océanique par-là et pourquoi pas 9 000 PME de plus - sans études d'impact sérieuses ni prise en compte des réalités économiques du pays.

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Pour qu'une Vision 2030 joue véritablement son rôle de boussole stratégique, elle devrait s'appuyer sur une démarche autrement plus rigoureuse. Primo, partir d'un état des lieux sans concession des forces et faiblesses du modèle mauricien, chiffré et comparé aux pays de référence. Cela passerait par un « Livre blanc » fouillé, mobilisant l'expertise indépendante d'universitaires, de think tanks et d'institutions internationales pour établir un diagnostic partagé.

Secundo, lancer une vaste consultation nationale de plusieurs mois, associant tous les segments de la population à travers des canaux multiples : assises thématiques, forums citoyens, plateformes numériques collaboratives. L'objectif : faire émerger une vision commune et incarnée des défis et aspirations du pays à horizon 15 ans.

Tertio, décliner cette vision en un nombre resserré d'objectifs stratégiques mesurables et chiffrés, adossés à des indicateurs de performance et de bien-être. Par exemple : atteindre 50 % d'énergies renouvelables, former 1000 ingénieurs en data science , faire entrer les universités mauriciennes dans le top 500 mondial, réduire le nombre de familles pauvres de 80 % ou la mortalité routière de 60 %.

Enfin, déployer ces objectifs en feuilles de route opérationnelles par grands secteurs, avec des jalons précis, des budgets cohérents et des responsabilités claires. Le tout irrigué par un processus vivant d'évaluation indépendante, de concertation permanente et d'ajustement chemin faisant. Voilà à quoi devrait ressembler une Vision 2030 digne de ce nom, bien loin de l'exercice des voeux creux auxquels s'est livré le gouvernement MSM en Août 2015.

  1. Un processus budgétaire de plus en plus centralisé et opaque

La dérive de la Vision 2030 est allée de pair avec la confiscation progressive du processus budgétaire par le Grand Argentier. Avec l'arrivée de Renganaden Padayachy aux manettes, la préparation du budget, moment crucial des arbitrages de politique publique, est devenue l'affaire quasi-exclusive du ministre des Finances. Fini les discussions avec les ministères sectoriels sur leurs priorités et leurs moyens, fini les consultations avec le secteur privé et la société civile. Le Padayachy show a pris le pas sur la collégialité et l'ouverture, le ministre décidant seul dans son bureau des indicateurs économiques et des mesures au mépris des meilleures pratiques internationales.

La logique même d'un budget tourné vers le long terme au service d'une vision d'avenir pour le pays s'est perdue en route. Sans fil rouge stratégique comme aurait dû l'être le plan Maurice 2030, sans éclairage par des analyses prospectives partagées, les exercices budgétaires sont devenus une collection erratique de mesurettes de court terme sans cohérence d'ensemble ni souffle transformateur. Cette approche a favorisé la multiplication de projets mal étudiés, de coups médiatiques sans lendemain et de cadeaux clientélistes, loin d'une gestion responsable et efficiente des deniers publics.

  1. La dette publique explose après la suppression de son garde-fou légal

Les errements de la politique budgétaire sous l'ère MSM ne sont pas étrangers au lâcher de bride sur la dette publique. Jusqu'en 2016, la Constitution fixait un plafond d'endettement de 60 % du PIB, sonnant l'alarme en cas de dérapage. Mais plutôt que de se plier à cette discipline, le gouvernement a trouvé plus facile de supprimer purement et simplement cette contrainte légale. Résultat : la dette est passée de 60 % à plus de 97 % du PIB en l'espace de six ans, franchissant dangereusement la zone rouge.

Délivré du carcan du plafond d'endettement, le gouvernement s'est lancé dans une valse de projets pharaoniques au rapport coût-bénéfice plus que douteux. Rs 19 milliards pour Safe City, un système de surveillance généralisée sans étude d'impact sérieuse. Rs 7 milliards pour le complexe sportif de Côte d'Or, un gouffre sous-utilisé aux coûts d'entretien prohibitifs. Et que dire des Rs 20 milliards de fonds publics qui ont failli être engloutis dans Heritage City, cette chimère de ville administrative sortie de nulle part ? Autant de mégaprojets souvent décidés en catimini et sans contrôle qui illustrent la gabegie et la navigation à vue des finances publiques sous l'ère Jugnauth.

Pour contenir cette dérive inquiétante, le prochain gouvernement devra d'urgence réintroduire un carcan légal sur l'endettement. Cela pourrait passer par une nouvelle règle d'or budgétaire dans la Constitution, plafonnant le déficit structurel à 3% du PIB et la dette publique à 60%. Ces seuils seraient ajustables uniquement en cas de choc exceptionnel (guerre, catastrophe naturelle) et tout dépassement devrait être compensé dans les 3 ans.

Surtout, des mécanismes contraignants doivent être prévus en cas de non-respect : possibilité pour une minorité parlementaire de saisir la Cour suprême , voire dissolution de l'Assemblée et élections anticipées.

Enfin, il faudra renforcer drastiquement la transparence et le contrôle démocratique du budget : publication exhaustive des comptes, évaluation systématique des investissements, débat public en amont, examen minutieux en commission... Le Parlement, le bureau de l'audit et la société civile doivent pouvoir exercer pleinement leur vigilance, loin de l'opacité actuelle.

  1. Des institutions affaiblies sans vision ni capacité stratégique

La qualité des politiques publiques et de l'exécution budgétaire dépend aussi de la solidité des institutions. Or, la décennie écoulée a vu un affaiblissement continu des principaux outils de pilotage stratégique du pays. Au sommet de l'État, la FSC, l'ICAC, la BoM, la MPA, ou encore l'EDB ont vu leur indépendance et leur crédibilité écornées par des interférences politiques répétées, des nominations partisanes et une valse de scandales. Mais ils ont aussi souffert d'un manque criant de vision et de moyens pour jouer leur rôle de vigie et d'aiguillon des réformes.

Sans mandats clairs, sans plans stratégiques robustes, sans ressources à la hauteur de leurs enjeux, ces organismes ont navigué à vue, ballotés par l'actualité et les injonctions politiques court-termistes. Les rares feuilles de route produites sont restées des tigres de papier sans portée opérationnelle, faute de cibles chiffrées, de budgets sérieux et de suivi dans la durée. Les dirigeants nommés, souvent plus soucieux de complaire au pouvoir en place que de transformations structurelles, ont géré les affaires courantes sans impulser le sursaut stratégique nécessaire.

Pour redonner du muscle stratégique à nos institutions économiques, une refonte en profondeur de leur gouvernance s'impose. Prenons l'exemple de la Banque de Maurice : il faudrait consacrer son indépendance opérationnelle dans la Constitution, confier la nomination du gouverneur à un panel d'experts internationaux, imposer des mandats longs et non-renouvelables, la doter d'un conseil de surveillance fait de personnalités irréprochables.

Son mandat devrait être recentré sur la stabilité monétaire et financière, avec obligation d'une feuille de route chiffrée, d'une communication régulière et d'un reporting annuel devant le Parlement. Ses prérogatives de régulation et de supervision bancaires seraient transférées à une nouvelle Autorité autonome, sur le modèle des meilleures pratiques internationales (Bank of England, BCE).

La FSC, chargée des services financiers, verrait sa gouvernance refondée autour d'un conseil d'administration indépendant resserré, d'une présidence détachée du pouvoir politique et des membres du conseil sélectionné par un chasseur de têtes international.

Sa mission serait recentrée sur la compétitivité et l'intégrité de la place mauricienne, avec des pouvoirs accrus d'investigation et de sanction, des moyens humains et technologiques considérablement rehaussés. Elle devrait produire une stratégie quinquennale ambitieuse avec des cibles (rang dans les classements, nombre d'acteurs, infrastructures de marché...).

L'EDB, bras armé de la promotion économique du pays, doit elle aussi gagner en envergure stratégique et en autonomie. Cela passerait par un conseil d'administration de haut niveau, faisant la part belle aux entrepreneurs et experts étrangers, un directeur général choisi pour son carnet d'adresses mondial et un triplement de ses moyens, provenant en majorité du secteur privé.

Surtout, l'EDB devrait produire et décliner une véritable stratégie d'attractivité mauricienne par grand secteur, avec une force de frappe pays par pays et des objectifs ambitieux d'investissements, de joint ventures et d'exportations.

Résultat de 10 ans de governance MSM : des institutions affaiblies et désorientées, incapables de réguler efficacement les marchés, d'attirer les investissements productifs, de définir une vision compétitive pour nos secteurs clés et de repérer les risques systémiques.

Cette atrophie de l'intelligence stratégique de l'État a un coût économique lourd, mais elle mine aussi la confiance des citoyens et des acteurs économiques dans la capacité des pouvoirs publics à préparer l'avenir du pays. Sans des institutions fortes, indépendantes et visionnaires, c'est la trajectoire de développement même de Maurice qui a souffert.

  1. Une perte inquiétante de la capacité à rebondir et à se réinventer

Le récent rapport du FMI sur l'économie mauricienne souligne avec force un mal plus profond encore : l'érosion de la capacité de notre pays à faire face aux chocs et à se transformer. Quand les experts de Washington martèlent à huit reprises que Maurice doit d'urgence "reconstruire" ses marges de manoeuvre budgétaires et extérieures, c'est notre résilience même qu'ils questionnent. Après une décennie de laisser-aller, nos fondamentaux économiques se sont dangereusement dégradés, notre modèle de croissance s'est essoufflé sans qu'un nouveau souffle stratégique ne soit insufflé.

La crise Covid puis la guerre en Ukraine ont mis en lumière ces vulnérabilités structurelles : déficit abyssal, dette publique record, réserves de change insuffisantes et compétitivité en berne. Faute d'avoir investi dans la transformation productive de l'économie, dans la montée en gamme de notre capital humain et dans la résilience de nos infrastructures, Maurice se retrouve bien mal armée pour affronter les défis du monde d'après.

Réchauffement climatique, transition numérique, vieillissement démographique, autant de chocs qui menacent de faire dérailler une économie déjà fragile si rien n'est fait pour la reprendre en main.

Pour engager ce changement de modèle, et surtout la mobilisation collective qu'il requiert, le prochain gouvernement devra impérativement enclencher quelques chantiers prioritaires pour préparer l'avenir et projeter Maurice dans le monde d'après.

Le nouveau modèle de développement mauricien devra aussi impérativement se construire autour de la valorisation du capital « bleu » et « vert » de l'île. Cela passe d'abord par un plan d'investissement massif dans les infrastructures résilientes (protection des côtes, gestion de l'eau, smart grids, transports propres...) qui pourrait mobiliser des partenariats public-privé et des financements climat.

Il faut ensuite engager la mue écologique de nos moteurs économiques traditionnels - sucre, textile, tourisme, océan - en misant sur l'innovation verte, l'économie circulaire et les certifications exigeantes. Enfin, faire émerger 2-3 filières d'excellence décarbonées (agroécologie, biotechs, écoconstruction, énergies marines...), véritables accélérateurs de croissance et d'emploi.

Mais rien ne sera possible sans une transformation profonde de l'État lui-même, pour le rendre plus stratège, agile et redevable. Au coeur de ce nouveau contrat social, la révolution numérique des services publics autour d'une gouvernance de la donnée ouverte et sécurisée. La dématérialisation à 100% des démarches administratives et leur regroupement sur des plateformes uniques par événement de vie (naissance, scolarité, création d'entreprise, retraite...) permettrait des gains massifs en efficience et transparence.

Plus que jamais, Maurice a besoin d'un électrochoc pour enclencher un vaste chantier de reconstruction économique et sociale. C'est un véritable changement de modèle de gouvernance que le FMI appelle de ses voeux, combinant assainissement des finances publiques, réformes structurelles ambitieuses et investissement massif dans les moteurs de la croissance de demain.

Le message est clair : il y a urgence à agir, chaque jour perdu nous rapproche un peu plus du précipice. Le prochain gouvernement n'aura plus le luxe de naviguer à vue et de reporter les décisions qui fâchent. C'est une mobilisation générale des forces vives du pays qui est nécessaire autour d'un projet collectif et d'une vision partagée.

Conclusion : des réformes profondes impératives pour sauver l'avenir du pays

En définitive, le lourd passif de la décennie MSM appelle une réponse forte et rapide. Pour remettre Maurice sur les rails d'un développement durable et inclusif, il faudra plus qu'un ravalement de façade. Le prochain gouvernement devra impérativement lancer des réformes structurelles de grande ampleur pour redresser les comptes publics, rétablir la confiance et libérer les énergies créatrices.

Cela passe d'abord par un changement complet du cadre stratégique et budgétaire. Refonder la Vision 2030 sur un vrai diagnostic partagé des défis et des atouts du pays, des objectifs chiffrés et un plan d'action solide. Sanctuariser des règles de bonne gestion pour contenir la dérive de l'endettement et responsabiliser les décideurs. Mais aussi associer étroitement la société civile, les partenaires sociaux et les citoyens à l'élaboration et au suivi des politiques pour renouer le fil du dialogue et recréer du commun.

C'est cette vision transformatrice, en prise avec les enjeux du 21ème siècle et les énergies citoyennes, que devra incarner le prochain gouvernement. Il ne s'agit pas d'un programme de plus, mais d'un véritable projet de refondation nationale, appelant un leadership d'un nouveau type. Visionnaire et rassembleur, radicalement réformiste et éthiquement exemplaire.

L'avenir n'attend pas et tout concourt à la nécessité d'un électrochoc salvateur pour la nation arc-en-ciel. Aux forces vives du pays de se hisser à la hauteur de ce rendez-vous historique pour tourner enfin la page des illusions perdues et libérer l'avenir. Les Mauriciens aspirent à redevenir acteur de leur destin partagé. Osons ensemble cette mue refondatrice !

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