Ile Maurice: La diaspora mauricienne en France redoute la violence

«Ça y est. Les valises sont prêtes», lance Yvan en forme de boutade. Mais il ne rigole qu'à moitié. Choqué par la percée du Rassemblement National (RN), le parti d'extrême-droite, qui a recueilli 34 % des suffrages au premier tour des législatives françaises, ce Parisien d'adoption et originaire de Grand-Baie, mobilise familles et amis pour voter et tenter de lui faire barrage au deuxième tour, qui a lieu ce dimanche. Selon les derniers sondages, le parti lepéniste, qui a fait de l'étranger le bouc-émissaire de tous les maux français et qui prône ouvertement la discrimination, n'a jamais été aussi proche du pouvoir. Au total, 577 sièges sont en jeu.

Yvan, employé dans un hôtel 4-étoiles, a quitté sa petite île pour le grand Hexagone, il y a 30 ans, en quête d'un meilleur avenir. «En réalité, même si l'extrême-droite l'emporte, je ne la vois pas déporter tous les étrangers et encore moins ceux qui sont naturalisés comme moi», se rassure-t-il. «En revanche, je crains qu'un climat délétère, instable, imprévisible et violent s'installe dans le pays.» Avec la montée en puissance du RN ces dernières années, le nombre d'agressions physiques, d'insultes, d'intimidations et de provocations contre les étrangers, plus particulièrement contre les Africains et les Arabo-musulmans, se multiplie.

Mercredi, même la ministre et porte-parole du gouvernement Prisca Thevenot, d'origine mauricienne, a été agressée par les gorilles du RN lors d'un collage d'affiches de campagne électorale. La police a pressenti un dimanche soir chaotique et a mobilisé plus de 30 000 gendarmes pour éviter toute casse.

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Ouvertement racistes

Yvan, qui est grand-père, craint cette violence gratuite et les intimidations dont ses petits-enfants pourraient être victimes à l'école, dans le métro ou ailleurs. «Désormais, les jeunes nationalistes-intégristes ne se cachent plus et exhibent leur racisme au grand jour.» En cas de victoire de l'un ou de l'autre camp, dimanche, il craint des ralliements monstres, des contre-manifestations, et n'exclut pas des affrontements à Paris et dans les grandes villes. Et d'ajouter: «En famille, entre amis et au travail, nous ne parlons que de cette violence qui nous mettra sur le qui-vive en tout temps.»

Notre compatriote Nathalie, mère de deux jeunes fils et habitante de la capitale française, est plus sereine. À 57 ans, elle rêve déjà de la retraite. Le parti lepéniste a promis ce régime à 60 ans pour tous les Français qui ont commencé à travailler tôt. «Je me réjouis donc que le RN remporte les législatives car tous les derniers gouvernements de gauche ou de droite n'ont pas répondu aux attentes de la population», affirme cette collaboratrice au sein d'une assurance-retraite. Selon elle, les Mauriciens qui sont des travailleurs acharnés et qui sont plutôt bien intégrés dans le tissu social français n'ont pas à craindre la politique dure que prône le RN envers les étrangers. «J'attends le changement avec quiétude. Je vais prendre ma retraite dans trois ans, en espérant que le RN ne va pas s'attaquer aux étrangers car le pays a d'autres priorités.»

Covilen Narsinghen, le président de la Mauritius Global Diaspora, est basé à Londres. «Je reçois de nombreux appels ces derniers jours de la part de nos compatriotes installés à Paris, Marseille, Bordeaux, Lille et Strasbourg», signale-t-il. «Ils expriment tous le choc de la percée électorale de l'extrême-droite en France et craignent l'après 7 juillet. Nous avons appelé nos membres à la vigilance, à ne pas répondre aux provocations et surtout à rester solidaires au sein de la communauté.» Il dit particulièrement ressentir l'inquiétude des parents pour l'avenir de leurs enfants et petits-enfants. Selon lui, les Mauriciens, quelque 100 000 en France, mais aussi tous les étrangers installés dans le pays, redoutent un racisme exacerbé et décomplexé, ainsi qu'une violence accrue sur les places publiques si l'extrême-droite remporte les législatives.

Indispensables migrants

La presse française ressent aussi cette peur. En collaboration avec les syndicats et autres organisations sociales et culturelles, certains titres appellent à y faire barrage. Le quotidien Le Monde relève que les binationaux se sentent particulièrement vulnérables. Le RN a affirmé à plusieurs reprises que ces derniers ne seront pas autorisés à occuper des postes à responsabilité.

Pour prendre le contre-pied du RN en matière de politique migratoire, le même journal a justifié, chiffres à l'appui, l'indispensable présence de la main-d'oeuvre étrangère pour faire tourner l'économie française. Les migrants occupent en moyenne un emploi sur dix mais ils sont indispensables dans l'hôtellerie et la restauration (60 %), comme employés de maison (39 %) et dans le gardiennage (28 %). «Soyons lucides», avait déclamé le président Emmanuel Macron dans Le Parisien en novembre 2022. «Est-ce qu'on pense sincèrement que la restauration, l'agriculture et d'autres secteurs tournent sans immigration ?» En 2021, la France comptait sept millions d'étrangers, soit 10 % sur une population de 68 millions d'habitants.

L'extrême-droite gagne en europe

Alors que la France prend une tournure radicale vers l'extrême-droite, plusieurs pays européens sont déjà dirigés par les ultraconservateurs. À l'issue des législatives de ce dimanche, le RN devrait émerger comme la principale formation politique. Les Pays-Bas, pour leur part, viennent d'opter pour un gouvernement de coalition droite/extrême droite. Les quatre formations en présence sont liées par un engagement : combattre l'immigration. En Italie, quatre partis conservateurs, ayant tous la même obsession, règnent depuis 2022. À la tête, Giorgia Meloni, leader du parti fasciste Fratelli d'Italia et petite fille de Benito Mussolini.

En Finlande, l'extrême-droite fait partie de la coalition gouvernementale tandis qu'en Suède, elle soutient le régime de l'extérieur. En Hongrie, le souverainiste Victor Orban, régulièrement dénoncé pour ses dérives autoritaires, est au pouvoir depuis 2010. En Slovaquie, la gauche s'est alliée avec le parti nationaliste. La montée de l'extrême-droite a été particulièrement manifeste lors des élections européennes de juin. En France, le RN compte désormais 58 eurodéputés contre 49 lors de la précédente législature et la Fratelli d'Italia 83 contre 69. La percée a été notable pour les populistes de l'Alternative pour l'Allemagne, qui a fait élire 15 députés. En termes de suffrages, ce parti ouvertement raciste a dépassé les Sociaux-Démocrates du chancelier Olaf Scholz. Dans l'ensemble, le courant nationaliste-conservateur occupe 160 sur les 720 sièges au Parlement européen.

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