Deux sommets présidentiels se tiennent ce week-end en Afrique de l'Ouest : le premier samedi à Niamey avec les régimes militaires sahéliens et le second dimanche, à Abuja, entre les autres pays d'une région divisée.
Celui de samedi rassemble les présidents de l'Alliance des Etats du Sahel (AES), une organisation créée en septembre 2023 qui réunit le Burkina, le Mali et le Niger, tous gouvernés par des régimes militaires et en proie à des violences jihadistes récurrentes.
Le général Abdourahamane Tiani a d'abord accueilli vendredi après-midi son homologue burkinabè le capitaine Ibrahim Traoré dans la capitale nigérienne, puis le colonel malien Assimi Goïta samedi matin.
Après plusieurs rencontres bilatérales, c'est la première fois que les trois hommes forts du Sahel se réunissent depuis leur arrivée au pouvoir par des coups d'Etat entre 2020 et 2023.
Selon la présidence burkinabè, "la lutte contre le terrorisme" et la "consolidation des relations de coopération" seront notamment au menu. Et l'alliance entre les trois pays devrait samedi se transformer en "confédération". Le projet avait été finalisé par les ministres des Affaires Etrangères en mai mais doit encore être adopté par les chefs d'Etat.
"C'est avant tout un évènement politique. L'objectif est de montrer qu'il s'agit d'un projet sérieux avec trois chefs d'Etat engagés et qui marquent leur solidarité", estime Gilles Yabi, fondateur du groupe de réflexion ouest-africain Wathi.
Les pays de l'AES ont fait de la souveraineté une ligne directrice de leur gouvernance. Ils ont tourné le dos à la France, ex-puissance coloniale, dont ils ont tour à tour chassé les soldats engagés dans la lutte antijihadiste de leur sol.
En janvier, ils ont ensuite quitté la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'ouest (Cedeao) - qui avait notamment sanctionné économiquement pendant plusieurs mois le Niger - l'accusant d'être instrumentalisée par Paris et de ne pas assez les soutenir dans la lutte contre les jihadistes. Ils se sont également tournés vers d'autres pays comme la Russie, la Turquie et l'Iran, qu'ils qualifient régulièrement de "partenaires sincères".
Samedi, l'organisation Reporters sans Frontières (RSF) a alerté sur le fait que ce sommet intervient "dans un contexte difficile pour les médias" dans les pays de l'AES, où plusieurs journalistes ont été arrêtés ces derniers mois, au Mali et au Burkina notamment.
"Ce sommet ne doit pas occulter la question des libertés fondamentales de plus en plus réprimées depuis l'arrivée des militaires au pouvoir", estime Sadibou Marong, directeur du bureau Afrique subsaharienne de RSF.
Les chefs d'Etat de la Cedeao doivent tenir quant à eux un sommet dimanche à Abuja, où la question des rapports avec l'AES sera sur la table. Plusieurs présidents ouest-africains ont appelé ces dernières semaines à trouver une solution pour renouer le dialogue entre les deux camps.
Parmi eux, le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye avait jugé fin mai possible une réconciliation entre la Cedeao et les trois pays du Sahel. En juin, son homologue mauritanien Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, qui vient d'être réélu, avait appelé les pays d'Afrique de l'Ouest à s'allier à nouveau face à l'expansion du jihadisme.
Début mars, Mali, Burkina et Niger avaient annoncé la création d'une force conjointe antijihadiste, dont les contours et les effectifs n'ont pas été précisés. Ils font face depuis des années à des violences jihadistes meurtrières, en particulier dans la zone dite des "trois frontières", où des groupes liés à Al-Qaïda et l'Etat islamique tuent civils et soldats dans des attaques et entraînent le déplacement de millions de personnes.
La tenue de ces deux sommets le même week-end laisse craindre une crispation des positions entre AES et Cedeao. "Je ne vois pas les pays de l'AES chercher à revenir à la Cedeao. Je crois que c'est plutôt la Cedeao qui doit mettre de l'eau dans son vin", estime Djibril Abarchi, juriste nigérien, auprès de l'AFP. Car si l'AES est pour l'heure une coopération économique et de défense, ses trois pays membres ont affiché plusieurs fois leur volonté d'aller plus loin.
Fin juin, le colonel Goïta avait assuré que la coopération au sein de l'AES avait pris "un chemin de non-retour", lors d'une visite à Ouagadougou. Iront-ils jusqu'à proposer la création d'une nouvelle monnaie commune, hors du franc CFA qu'ils utilisent actuellement tout comme plusieurs de leurs voisins?
"On ne sort pas d'une zone monétaire facilement. Tout pays peut changer de monnaie mais cela prend beaucoup de temps et ça demande un choix politique clair ainsi qu'un processus de préparation technique et financier notamment", tempère Gilles Yabi.