Cameroun: Théâtre - Ana Lorvo tient son cœur

8 Juillet 2024

La comédienne française a donné deux spectacles inoubliables les 5 et 6 juillet derniers à l'Ifc de Yaoundé et à Othni, interprétant le rôle de Marianne dans la pièce dramatique écrite et mise en scène par Kouam Tawa.

Deux salles combles, les 5 et 6 juillet derniers : respectivement l'arène de l'Institut français du Cameroun (Ifc) et l'antre d'Othni. Comme à l'Ifc, la pièce Tiens ton coeur, pièce écrite et mise en scène par Kouam Tawa fait le plein d'oeuf à Othni.

Le monologue d'Ana Lorvo, dans le rôle de Marianne, fait courir du beau monde. Des spectateurs en quantité et en qualité : entre professionnels de théâtre (comédiens, metteurs en scène, dramaturges) et communauté estudiantine (étudiants, enseignants et administrateurs d'instituts).

Ana Lorvo brille sous le feu des projecteurs du régisseur lumières, Roch-Amedet Banzouzi ; joue et fait chanter les mots sur la musique d'Abraham Nerl Kwemy ; étale sa parfaite maîtrise du jeu d'acteur sur la mise en scène de Kouam Tawa (diction irréprochable, parfaite occupation de la scène, émettrice d'émotions ...).

Sur la scène, Ana Lorvo joue. Elle joue au point où l'on peut croire que c'était son dernier spectacle. Elle joue comme personne, sans s'économiser ; elle est trempée de sueur, se roule comme une Africaine éplorée sur la terre rouge du village de Sikati son mari, mort dans des circonstances troublantes. Marianne (Ana Lorvo) joue comme elle ne l'avait jamais fait. Elle pleure, ensuite rit. Chante, danse, slam, déclame. Elle joue ce texte dramatique comme si c'est une scène qu'elle vient de subir et dont elle relate. Elle joue avec les mots pour soigner ses maux.

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Marianne touche les âmes. A l'image des larmes qui dégoulinent des yeux de l'étudiante en art et spectacle à l'Uy1 qui n'en pouvait plus. Elle porte en elle, les souffrances de Marianne, l'amie de l'ami Sikati, l'épouse de l'époux Sikati. Les autres étudiants gardent leur souffle et l'on entend à la fin des expressions telles que « mince, pas possible, mon Dieu » ou encore des interrogations « on peut jouer comme ça ? » ou bien encore « je suis venu, j'ai vu, j'ai appris ».

Marianne porte le poids de plusieurs angoisses, meurtrie par moult regrets, humiliée par une tradition africaine déshumanisante : elle vient de perdre son époux, « l'ami », Sikati. Elle ne peut pas porter le deuil, car la communauté, même les personnes qui la chérissaient quand elle est arrivée au village, dans sa belle-famille, l'accusent d'être à l'origine de la mort de leur frère, de leur fils. Pourtant Marianne n'avait que Sikati et rien que lui. Son crime c'est d'avoir, après toutes les tentatives avérées vaines du village, de conduire son mari, l'ami, dans un hôpital. Il est atteint lui, par une maladie mystique alors qu'il était engagé après avoir quitté le pays des Blancs, de développer son village. Un projet de très mauvais goût pour les notables conservateurs.

C'est eux qui décident d'emmener Sikati chez les tradipraticiens, et finalement Marianne en s'affairant de tenter la voie de la médecine moderne, l'ami est agonisant, fait ses adieux, en disant à son épouse d'une voix désespérée, Tiens ton coeur, une fois, deux fois, et trois fois. Après palabre, Marianne est condamnée à quitter le village, laissant tout derrière elle : des souvenirs avec l'ami, la tombe de l'ami où elle ne donnait aucune chance à la moindre herbe de pousser aux alentours. Marianne rentre étant bannie par tous. Elle crie ses angoisses, porte ses peines, cristallise ses malheurs, mais après ne garde aucune rancune envers ceux et celles qui l'ont calomniée. Elle rentre avec de la poussière prise près de la tombe de Sikati et qui maintient les liens avec son époux.

Réactions

Martin Ambara : « C'est une pièce qui a un très grand avenir »

C'est du théâtre et du théâtre tel que Kouam Tawa sait en faire ; dans sa posture d'auteur et qui essaye parfois de transposer dans la langue française toutes les langues africaines, surtout celles qu'il maîtrise le plus dont le Baham. On a toute la poétique de l'onomastique, des proverbes qui sont retranscrits en français qui donnent toute cette magie de la parole qu'on a vu aujourd'hui. C'était tout simplement impressionnant. La pièce est sur les rails qu'il faut. C'est-à-dire dans le circuit des instituts français. Donc, cela veut dire que la pièce va aller loin. Mais techniquement au niveau du travail de l'acteur et de l'actrice et de tous ceux qui y ont travaillé, il n'y a rien à dire, c'est une pièce qui a un très grand avenir. Nous, notre espace a été créé justement pour travailler sur l'esprit d'élaboration, sur comment est-ce que se fabrique un théâtre tant dans la pratique avec la mise en scène que l'écriture scénographique.

Guy Francis Tami Yoba, enseignant en art et spectacles à l'Uy1 : « Ana Lorvo est une bonne comédienne qui connaît le métier »

Après les deux représentations de Tiens mon coeur, mes impressions sont plutôt bonnes. Chacune de ces représentations sont en réalité des espaces didactiques et de formation pour mes étudiants. Dans le cadre de certaines de mes activités avec l'institut français, j'ai emmené mes enfants à savoir lire et comprendre un spectacle. A Othni, je me suis rendu compte que la comédienne avait l'air relaxe et elle a joué ce qu'on appel dans notre jargon un rôle de composition, du point de vue du déplacement scénique, du rendu du texte, de la diction, de la manipulation des émotions, de l'intégration des autres moyens d'interprétations scéniques dans son jeu et c'était extraordinaire. Ana Lorvo est une bonne comédienne qui connaît le métier.

Elle sait se déplacer sur une scène ; dire et incarner le texte. Pour mes étudiants, c'est une formation en actorat et en direction d'acteurs qui ont été données et pour eux ça a été un exercice très important et intéressant cela a enrichi leur bagage intellectuel dans le domaine de l'actorat. Ce que je recherche dans leur compte rendu c'est ce qu'ils pensent du jeu de la comédienne puisqu'on est dans le cadre d'un mono théâtre est-ce qu'elle incarne l'idéologie et les notes de mise en scène ? Comment est-ce qu'elle bouge ? Comment est-ce qu'elle porte le texte ? Comment est-ce qu'elle défend l'idéologie du metteur en scène ? Et comment est-ce que le metteur en scène a combiné les moyens d'interprétations scéniques avec le jeu de la comédienne c'est-à -dire son, lumière, scénographie, maquillage et autres.

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