Cameroun: E. Salaberry-Duhoux - ' Nous travaillons sur les collections africaines pour des études de provenance'

10 Juillet 2024
interview

Emilie Salaberry-Duhoux, directrice de Maam- Musées, archives et artothèque de la ville d'Angoulême en France s'exprime sur l'exposition intitulée « Septentrion : dynamique entre passé et présent » dans laquelle le directeur du Musée national, Hugues Heumen Tchana, et elle sont co-commissaires.

Pourquoi et qui est à l'initiative de cette exposition qui ira du 12 juillet au 15 décembre 2024 au Musée national ?

Le point de départ c'était un dossier qui m'occupe depuis 12 ans qui est un dossier de pièces archéologiques qui viennent des régions du Nord et de l'Extrême-nord ; et issues des fouilles menées par un archéologue originaire de France, Jean Gabriel Gauthier. Ce dernier a travaillé en coopération avec le Cameroun pendant 50 ans pour fouiller plusieurs sites de la région et une partie du matériel de l'archéologie a été envoyée au laboratoire de l'Université de Bordeaux où il était enseignant et ce matériel est sorti avec les autorisations de sortie du territoire. Ce matériel est resté en France et n'a pas été renvoyé sur le sol camerounais. Quand la famille Gauthier s'est rapprochée de moi pour un projet de donation, j'allais tout de suite alerter sur le fait que les pièces archéologiques n'entreront pas l'inventaire du musée parce que c'est du matériel qui est une propriété du Cameroun.

J'avais commencé des démarches auprès des autorités camerounaise pour savoir quoi faire de ce matériel archéologique, quel pouvait être son devenir. Ça a mis beaucoup de temps avant d'aboutir à quelque chose, j'ai passé pas mal d'années sans réponse. On n'était pas dans le contexte qu'on a aujourd'hui celui de la restitution, on est sur une démarche de retour physique et matérielle. C'est grâce à toute la dynamique qui s'est enclenchée puis le discours du président français, Emmanuel Macron à Ouagadougou et la rencontre avec le directeur de l'Institut français du Cameroun, Yann Lorvo, au Sommet Afrique-France à Montpellier il y a deux ans qu'on a repris ensemble le dossier en main avec l'appui de l'ambassade de France au Cameroun, du ministère de la culture en France.

Dans le cadre de ce dialogue qui s'est instauré particulièrement avec le Musée national du Cameroun il y a eu l'idée de matérialiser le retour physique des pièces, d'organiser une exposition du focus sur les civilisations. J'avais trouvé étrange de faire une exposition monographique étant donné qu'il n'y a pas trop de passifs dans le Musée national de ce type d'exposition et on est parti dans l'idée de parler du Grand Nord et ça s'est adoubé dans notre projet qui était celui de faire une salle dans laquelle on va exposer de manière permanente. Tout ça part d'un statut de collection qu'est-ce qu'on fait ? C'est quoi le devenir ? Comment travailler autour de ces fonds ?

Y a-t-il une portée historique, symbolique et artistique de ces oeuvres que vous allez retourner ou il y avait juste la volonté de vous débarrasser de ces pièces qui encombrent votre musée ?

Le matériel en tout c'est une cinquantaine de caisses, nous avons par ailleurs la documentation scientifique de ce chercheur et une collection ethnographique qui est un peu un témoignage de la production matérielle des familles sur cinquante ans, en gros la deuxième moitié du 20e siècle. J'ai trouvé intéressant de garder l'intégrité du scientifique du fond mais c'était impossible sans l'aval du Cameroun. Ma démarche n'était pas pour me débarrasser des choses qui m'encombrent mais plutôt de discuter sur ce qu'on décide ensemble sur ce qu'on fait de ces collections. Ce qu'on a décidé pour l'instant c'est de faire repartir les belles pièces exposables qui vont intégrer le parcours permanent ici.

Il y a une autre petite série qui va dans l'exposition temporaire sur le septentrion et le reste du matériel archéologique est pour l'instant resté au musée d'Angoulême dans le cadre d'une convention de dépôt du musée national du Cameroun au musée d'Angoulême. On a une partie de l'intégrité scientifique du fond qui demeure, les collections sont rattachées à l'inventaire du Musée national du Cameroun. J'ai eu le plaisir d'accueillir le directeur adjoint du musée pendant deux mois à Angoulême qui a utilisé une partie de son temps à faire le marquage de toutes ces collections pour l'intégration à l'inventaire du musée national du Cameroun et on a travaillé ensemble pour nos deux musées.

Quand on expose, on doit choisir des pièces représentatives qui sont parlantes et qui sur le plan culturel, historique, artistique raconte quelque chose. Le matériel archéologique peut être des caisses nombreuses, des tessons, des petits cailloux ou de terre cuite qui ne sont pas forcément parlant pour le grand public là on a choisi un échantillon représentatif de tout ce qu'il y a dans les sites de manière à illustrer la production matérielle de ces civilisations sur les périodes données. C'est des témoignages historiques, culturels. C'est des collections qui ont été trouvées à la fin des années 50 jusque dans les années 80.

Comment est-ce que ces oeuvres sont arrivées en France notamment au Musée d'Angoulême ?

Le chercheur Gauthier arrive au Cameroun à la fin des années 50, il est encore étudiant, il découvre le pays. À Angoulême il y a une forte tradition d'archéologie de la préhistoire avec des sites très importants notamment le site où on a trouvé les crâne de Neandertal, il est arrivé par hasard au Cameroun et il a suivi un célèbre archéologue, Jean Claude Le Boeuf et il est rentré dans l'archéologie camerounaise et en particulier celle des civilisations Sao dans le Nord. Son travail n'a pas cessé après les indépendances, il a continué à fouiller et les fouilles étaient validées officiellement par l'Etat camerounais dans le cadre des coopérations bilatérales comme ça se fait partout dans le monde, des fouilles gérées entre les laboratoires.

À l'issue des fouilles, le matériel a été envoyé à Bordeaux pour que ce soit analysé au laboratoire parce que à l'époque le laboratoire de Bordeaux doté d'outils qu'ils n' avaient pas à l'Université de Yaoundé. J'ai des traces de documents qui attestent l'autorisation de sortie du territoire c'est pour ça qu'il n'y a pas d'extraction illicite, de pillage. Il y avait un dépôt de fouille à Garoua où un grand nombre de matériel archéologique était déposé. Ça existe pour le patrimoine camerounais et français.

Est-ce que vous avez des oeuvres camerounaises se trouvant illégalement à Angoulême, si oui quelle est l'approche pour qu'un jour elles reviennent au Cameroun ?

Moi je suis particulièrement engagée sur ces questions depuis plusieurs années par beaucoup d'actions à la fois des séminaires de recherche, de cartographie pour les collections africaines et européennes pour qu'on sache qu'est-ce qu'il y a et où. Je fais partie d'un groupe de travail avec mes collègues on a engagé un gros travail sur les collections africaines pour faire des études de provenance. Le travail qui nous incombe aujourd'hui sur lequel il y a une grosse énergie qui est dépensée c'est essayé de reconstituer les parcours de collections, de comprendre après ce qu'on ignore souvent c'est la personne qui a fait des donations, comment elle s'est procurée les objets.

Ça s'appelle faire de l'enquête de provenance, essayer de remonter plus loin. C'est un travail difficile parce que souvent on n'a pas d'archives, pas de documents. En ce moment je travaille avec plusieurs universités pour avoir plusieurs mémoires de recherche simultanée sur plusieurs collections et j'essaie de travailler sur la collection ancienne du musée qui est arrivée dans les années 30 et ça nous occupe depuis un an et demi. Pour l'instant on n'a pas de résultats très concrets. Chez nous c'est essentiellement les collections qui sont arrivées en 2012, qui ne posent pas un problème de provenance et de traçabilité il y a une calebasse, une pipe, une terre cuite, un masque c'est ce qui vient de l'ouest.

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