Madagascar: Max Andonirina Fontaine - 'Le financement environnemental peut apporter des milliards de dollars'

interview

Madagascar vient de bénéficier d'un double appui budgétaire de la part du Fonds monétaire international (FMI), à savoir la Facilité élargie de crédit (FEC) et la Facilité pour la résilience et la durabilité (FRD). Le ministre de l'Environnement et du Développement durable explique les conditions de décaissement de la FRD. Il affirme, par ailleurs, que Madagascar peut prétendre à des financements en milliards de dollars dans le domaine environnemental. Entretien.

Avec la Facilité élargie de crédit (FEC), le Fonds monétaire international (FMI) a aussi octroyé une Facilité pour la résilience et la durabilité (FRD) à la Grande île. Pourriez-vous expliquer de quoi s'agit-il concrètement ?

Effectivement, habituellement, l'appui budgétaire du FMI au gouvernement se fait par le biais de la FEC. Elle est conditionnée par des résultats macroéconomiques. Cette année, le FMI a proposé à Madagascar d'intégrer la FRD. Il s'agit toujours d'un appui budgétaire. Son décaissement est toujours conditionné par des réformes, sauf qu'on ne juge pas sur des résultats macroéconomiques, mais sur des réformes liées à l'environnement.

On a monté un programme depuis six mois qui comprend douze réformes liées à l'environnement. Il faut qu'elles aient un lien avec la lutte contre le changement climatique et qu'elles aient un impact sur le plan macroéconomique. À chaque fois qu'une réforme est approuvée, que ce soit par le Parlement ou en conseil des ministres s'il s'agit de textes réglementaires, le décaissement est effectif. La FRD est d'un montant de 321 millions de dollars et on a trois ans pour réaliser les douze réformes.

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En quoi consistent ces réformes ?

Elles sont classées en cinq catégories. La 1ère catégorie concerne la gouvernance. Le but est de donner plus de poids au domaine environnemental dans les prises de décision. Aussi, la 1ère réforme sera la refonte du décret MECIE [décret sur la Mise en compatibilité des investissements avec l'environnement]. Ce texte n'a pas été réformé depuis 2004, alors qu'il a un énorme impact sur l'économie et sur l'industrialisation.

On sait aujourd'hui que la vision du président de la République est de lancer une industrialisation forte du pays. Cependant, peut-être qu'aujourd'hui, le décret MECIE est devenu un frein et pourtant, il n'apporte pas forcément les bénéfices attendus pour l'environnement. À travers cette réforme, le décret va s'appeler MECIES, puisqu'il faut qu'on ait une composante sociale beaucoup plus forte. Avant, le texte ne prenait pas en compte l'humain.

Quel changement cette réforme apportera-t-elle ?

Dorénavant, tous les grands investissements, par exemple, devront être compatibles avec le développement humain. Dans le nouveau décret, nous allons aussi simplifier les procédures d'obtention du permis environnemental, mais il prévoit un financement pour faire le suivi. Avant, le financement s'arrêtait juste à l'étude du dossier.

Du coup, le ministère de l'Environnement, à travers l'ONE, n'avait pas forcément les moyens de vérifier si l'entreprise qui a obtenu le permis environnemental respecte réellement ses engagements sur le long terme. Notre objectif est que les deux premières réformes passeront en novembre 2024.

Toujours dans la gouvernance, une 3e réforme porte sur la gestion des investissements publics. Elle consiste à mettre un tagging budgétaire sur chaque dépense du gouvernement. Ceci, pour permettre d'identifier l'impact de chaque dépense étatique sur l'environnement. Nous projetons de faire passer cette réforme en 2025.

Aussi, à partir de la loi de finances 2026, sur toutes les lignes budgétaires, il y aura une étiquette positive, neutre ou négative pour l'environnement. Une 4e réforme consiste à adopter un décret en conseil des ministres, pour faire en sorte que tous les investissements publics aient un critère lié à l'environnement.

Qu'en sera-t-il du budget s'il s'avère être négatif pour l'environnement ?

D'abord, cela va nous permettre d'avoir des données sur lesquelles on peut s'appuyer pour améliorer les choses. On ne peut pas apporter des améliorations sans avoir des indicateurs précis. Cela ne veut pas pour autant dire qu'on va annuler les investissements qui ne sont pas favorables à l'environnement. Par contre, nous saurons où est-ce qu'il y a des points positifs et où y a-t-il des efforts à faire, et nous pourrons travailler dans ce sens.

La seconde catégorie des réformes concerne justement le renforcement de l'adaptation au changement climatique et de la capacité face aux catastrophes naturelles. La refonte globale du code de l'eau d'ici novembre 2025 en fait partie. Il y a aussi la mise en place du fonds national de contingence. Ce sera pour mai 2025. Après, il y a la 3e catégorie qui concerne l'atténuation. Il s'agit du pilier le plus sensible à mon sens. Puisqu'il porte sur comment Madagascar va prendre part aux efforts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Pourquoi dites-vous que cette 3e catégorie des réformes est la plus sensible ?

Puisqu'elle comprend deux réformes qui ont beaucoup fait parler. La 1ère est la suppression des subventions sur le carburant. Cela est prévu pour mai 2026. On va ainsi appliquer le mécanisme d'ajustement automatique des prix à la pompe. C'est une mesure ambitieuse, mais on n'a pas le choix. Nous avons deux ans pour nous préparer.

Justement, n'y aurait-il pas un risque politique de supprimer la subvention sur le carburant ?

Effectivement, c'est un risque. La décision a nécessité beaucoup de courage et a suscité beaucoup de discussions et de débats. Le président de la République prend déjà beaucoup d'initiatives par rapport à cela. Il y a par exemple, la distribution de kits solaires. Ça nous laisse du temps pour nous assurer que la population ne souffrira pas lorsqu'il faudra supprimer les subventions. Il est quand même important de noter que ce sont les populations les plus aisées qui bénéficient le plus de subventions sur les carburants. Aujourd'hui, là où on dépense le plus en carburant, c'est à la Jirama, alors que 60% de la population n'en bénéficie pas. Encore une fois, il y aura des mesures d'accompagnement pour éviter une inflation.

Quoi qu'on en dise, ce sont ces 20% ou 25% de la population, qui seraient les bénéficiaires de ces subventions sur le carburant, qui font tourner l'économie nationale.

Mais il faut aussi voir les deux côtés de la pièce. Ces subventions ont un grand impact sur les caisses de l'État. Si on veut avoir une stabilité économique sur le long terme, il faut que l'État arrête de s'endetter au niveau des subventions sur le carburant, notamment pour la Jirama. Il faut qu'on prenne ces décisions au bout d'un moment.

Est-ce qu'on est prêt à mettre les finances de l'État qui touchent vingt-neuf millions d'habitants pour des services qui ne bénéficient qu'à 20% de la population. C'est ça la vraie question au final. Justement, l'une des réformes consiste à augmenter les droits d'accises sur le gasoil et à les mettre au même niveau que sur l'essence.

Le jeu en vaut-il la chandelle ?

Ces deux mesures, à savoir l'arrêt des subventions sur le carburant et la hausse des droits d'accises sur le gasoil au même niveau que pour l'essence, sont des décisions qui ont été très dures à prendre, mais nous sommes persuadés que sur le long terme, ça va assainir les finances publiques. Ça va être un bon signal aux bailleurs de fonds, comme quoi, Madagascar prend des engagements sérieux pour diminuer les gaz à effet de serre. Ce qui facilitera nos démarches pour la demande d'autres financements. C'est un pari sur le long terme, mais le gouvernement n'a pas d'autres choix que de prendre des mesures macroéconomiques ambitieuses.

Le 5e pilier vise à mobiliser les financements liés à la lutte contre le changement climatique. Aujourd'hui, Madagascar a accès à plusieurs types de financements sur le climat. On a tout un tas de financements et différents types de mécanismes, mais on n'a pas encore une stratégie globale qui régit nos actions pour en bénéficier le plus possible. Une synergie d'action pour accéder à ces grands financements. C'est la promesse que j'ai faite au Président. Que Madagascar soit en mesure d'attirer des milliards de dollars pour lutter efficacement contre le changement climatique.

À quand le premier décaissement de la FRD et à quel effet cet argent sera-t-il utilisé ?

Notre but est de passer les deux premières réformes en novembre 2024. Donc, avoir les deux premiers décaissements. On aimerait bien avoir 60 millions de dollars en 2024. Par ailleurs, c'est de l'appui budgétaire. Donc ça va dans les caisses de l'État et l'État l'utilise comme bon lui semble.

"Tant que ça sera moins rentable, les populations locales ne vont pas s'engager dans la défense de l'environnement."

Vous avez parlé d'un objectif d'attirer des investissements en milliards de dollars par l'environnement. À quoi servira une telle somme ?

Ce sera de l'argent à investir dans des projets d'adaptation, comme pour le renforcement de la capacité et la résilience des agriculteurs qui vivent à la lisière des aires protégées. Comme pour renforcer la restauration des mangroves et des forêts. En fait, ça va servir à financer tous les projets environnementaux. Seulement, aujourd'hui, on n'arrive pas encore à avoir d'énormes financements comme certains pays africains. Il faut juste avoir des projets concrets et une stratégie claire, puisque l'argent, ce n'est pas ce qui manque.

Il y a un relent des trafics de ressources naturelles. Quelles sont les actions et mesures immédiates que le ministère engage pour y mettre fin ?

Déjà, les mots-clés sont la collaboration et la coopération. Au niveau national d'abord, il faut une collaboration franche et constante entre tous les acteurs. Il faut savoir que les réseaux de trafiquants que j'appelle les réseaux du mal sont très organisés. Il faut que nous parvenions aussi à mettre en place des réseaux du bien. Renforcer les contrôles que ce soit sur les Routes nationales, au niveau des douanes ou dans les aéroports.

Si on regarde bien, ces efforts commencent à payer, puisque depuis deux ou trois semaines, le nombre d'arrestations et de saisies augmente. Et ce qui nous intéresse surtout, ce ne sont pas les petites mains, mais c'est l'ordre que j'ai reçu de mes supérieurs, c'est l'arrestation des personnes qui sont aux manettes des trafics. Il y a des Malgaches, mais aussi des étrangers. Nous avons arrêté deux Chinois la semaine dernière. Avant que je ne parte en Thaïlande, on a arrêté un Srilankais, un Birman et un Thaïlandais.

La répression, ça marche quand même. Après, il faut aussi renforcer la coopération internationale. Nous travaillons avec Interpol, l'Onudc [Office des Nations unies contre la drogue et le crime]. Et on a créé notre internationale avec la Malaisie, l'Indonésie, la Thaïlande et d'autres pays, puisque c'est un réseau mondial. Les trafics ne se passent pas seulement à Madagascar. Le plus souvent, ces trafics arrivent en Asie du Sud-est. Donc il faut qu'on travaille avec les pays d'Asie du Sud-est. Qu'on puisse avoir des contacts directs avec leurs douanes, leur police. Ces pays-là sont très collaboratifs.

Pour le rapatriement des animaux saisis en Thaïlande, n'y a-t-il pas de changement sur la deadline en fin juillet ?

Non, il n'y a pas de changement. La Thaïlande est très coopérative. En fait, il s'agit d'un délai technique. Il faut une période de quarantaine. Il faut régler des papiers administratifs. Et même quand les animaux vont arriver à Madagascar, ce sera le début d'une autre mission. Il faudra encore avoir un long processus. Les mettre en quarantaine, faire des analyses de santé, les placer dans un lieu contrôlé, puisqu'ils ne peuvent pas tout de suite être relâchés dans la nature. Par contre, le but est de les relâcher dans les forêts primaires à un moment ou à un autre.

Mais c'est une démarche qui peut prendre plusieurs années.

Avec un effectif de un pour 20 000 hectares, le nombre des gardes forestiers est très en dessous des normes. Comment protéger notre biodiversité, et même, juste nos aires protégées dans de telles conditions ?

Oui, c'est une réalité très dure. D'autant plus que nos forêts ne sont pas des forêts classiques. Elles regorgent de biodiversité rare et endémique. Garde forestier aujourd'hui, c'est un des métiers les plus difficiles. Un garde pour une superficie de 20 000 hectares, ce n'est pas raisonnable. Ils n'ont pas les moyens qu'ils méritent d'avoir. Que ce soit pour les ports d'armes, les tenues et les moyens de communications. Il faut que le pays soit reconnaissant envers ces personnes qui mettent leur vie en danger. Et pourtant, ils exercent leur métier avec passion. Nous sommes en train de faire le nécessaire pour augmenter le nombre et les moyens des gardes forestiers.

Le constat, aujourd'hui, est qu'il y a une résistance sociale, parfois violente, face aux règles environnementales. Comment faire aujourd'hui, pour concilier les enjeux environnementaux et les enjeux sociaux ?

On a radicalement changé de paradigme. Avant, on pensait que la conservation, c'était de mettre les aires protégées sous cloche, interdire aux gens d'aller dans le noyau dur. Mais tant qu'on n'a pas essayé, on ne savait pas. Ce n'est pas seulement à Madagascar qu'on a fait cette erreur, c'est au niveau de toute l'Afrique, et même en Amérique du Sud. C'était quasiment comme de la colonisation que d'interdire aux gens d'aller dans ces forêts.

Vingt ans après, on s'est rendu compte que ça n'a pas marché. Les superficies de nos aires protégées se réduisent et les populations ne se développent pas. Donc il a fallu qu'on change radicalement d'approche. Aujourd'hui, on veut faire vivre les aires protégées. On veut créer de l'activité dans ces aires protégées.

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