Sénégal: Tamba Danfakha, président coalition priorité emploi - «Depuis 1990, il n'y a plus de véritable politique publique d'emplois décents»

11 Juillet 2024
interview

Les différentes politiques notamment d'emploi des jeunes des différents régimes ne sont pas à la hauteur de la demande. Selon Tamba Danfakha, le président de la Coalition Priorité Emploi, interrogé par la Rédaction de Sud Quotidien, seul le gouvernement du président Abdou Diouf a réussi à mettre en place une stratégie innovante pour promouvoir l'emploi des jeunes. Entretien !

On a constaté une vague de déguerpissement des marchés ces derniers temps. Quelles sont les conséquences de ces opérations ?

Les opérations qui sont en cours visent à libérer les trottoirs, les rues et les grandes artères qui sont irrégulièrement occupés par différents agents économiques, notamment les marchands ambulants et les tabliers. C'est, donc, une opération salutaire et à encourager car le désordre ne saurait être une manière de vivre dans aucun pays digne de ce nom.

Par conséquent, les avantages escomptés sont énormes : circulation plus fluide, salubrité et sécurité pour les riverains. Les dégâts collatéraux produisent, cependant, des inconvénients comme la perte des emplois existants qui, même s'ils sont précaires, n'en constituent pas moins des sources de revenus pour des populations aux quotidiens difficiles.

C'est, entre autres, cet inconvénient qui crée la colère chez les impactés, colère qui, à juste raison, est amplifiée par les opposants au pouvoir actuel. Par conséquent, le Premier ministre, Ousmane Sonko, a bien raison de parler de mesures d'accompagnement. Hélas ! L'Administration sénégalaise n'est pas assez bien préparée pour faire des choses légales et légitimes, avec bienveillance. Si les nouvelles autorités veulent résoudre durablement le problème des occupations irrégulières, elles devraient faire preuve de plus d'imagination.

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L'emploi des jeunes demeure un enjeu majeur. Quelle est la meilleure formule pour prendre en charge ce problème ?

L'emploi est, selon une ancienne enquête de l'Agence nationale de Démographie et de statistiques ou ANSD, la première préoccupation des Sénégalais. Dans les pays qui nous servent de références, les chômeurs représentent rarement plus de 10% de la population actuelle ; c'est donc un problème d'une minorité et pour y faire face ces Etats conçoivent des politiques sociales.

Au Sénégal, les chômeurs, au sens légal de l'emploi, peuvent être estimés à, au moins 54% de la population active. Et donc, il faudrait des politiques économiques vigoureuses et non sociales. Il faudrait, donc, repenser l'économie ou ce que nous appelons économie, dans notre pays, avec un Etat souverain qui recrute, progressivement, au moins 20% des personnes actives dans la fonction publique et qui crée un environnement favorable à l'entrepreneuriat et au privé national. Pour ce faire, il faudrait une souveraineté monétaire car aucun Etat sérieux ne devrait s'endetter pour payer les salaires de ses agents et aucun Etat ne peut être respecté s'il n'a pas assez d'employés.

Comment analysez-vous les politiques d'emploi initiées par les différents régimes ?

En dehors de l'opération maitrisards des années 80, avec le président Abdou Diouf, il n'y a pas eu, dans notre pays, une véritable politique publique d'emplois décents. L'échec relatif de cette opération n'a pas permis d'apprendre des leçons qui auraient pu servir par la suite. De sorte que, du début des années 90 à nos jours, on a jamais fait que du pilotage à vue, aucune réflexion globale n'a été (faite) et, par conséquent, le chômage n'a fait que croître.

Nous avons, aujourd'hui, plus de 300.000 nouveaux demandeurs d'emplois qui arrivent chaque année au Sénégal et moins de 10% trouvent un emploi. Ce n'est donc pas étonnant que les différents échecs des différents gouvernements, dans la lutte contre le chômage, aient pu faire du Sénégal un pays tristement célèbre avec ses vagues d'émigration suicidaires.

Le nouveau gouvernement veut miser sur la Délégation à l'Entreprenariat Rapide (DER) pour le financement des jeunes. La DER peut-elle servir de bon exemple ?

La DER-FJ est une des solutions possibles, qui a un personnel très qualifié et aux méthodes d'intervention modernes et ils ont envie d'être utiles. Mais, je ne crois pas qu'elle soit apte à répondre aux besoins de financement des porteurs de projets de notre pays. D'abord, parce que le crédit est un métier qui est celui des banques et des organismes financiers, pas celui de l'Etat ou d'un de ses démembrements. L'échec, donc la possibilité de ne pas rembourser le prêt, est une possibilité courante dans l'entrepreneuriat. Même à la Silicon Valley, «La Mecque des entrepreneurs», le taux de faillite pour de nouvelles créations d'entreprises est de 70%. Or, manifestement, c'est un aspect que la DER-FJ ne semble pas prendre en compte.

Ensuite, la DER/FJ n'a pas les ressources financières suffisantes pour faire face aux demandes de financement qui lui sont soumises. Avec plus de 600.000 demandes de financement reçues et, selon les hypothèses mêmes de la DER-FJ, à raison de 3 millions de francs CFA pour créer un emploi (pour moi, il en faut au moins 5 millions de francs CFA), il aurait fallu au moins 540 milliards de francs CFA pour satisfaire 180.000 ou 30% du total.

Or, depuis sa création, la DER-FJ n'a investi que 125 milliards de francs CFA dans le crédit, la garantie ou l'accompagnement.

Et enfin, la politisation de la DER-FJ est son principal talon d'Achille, c'est ça qui a fait d'elle la championne du nano crédit qui est une stratégie de survie pour les populations mais (pas) une stratégie entrepreneuriale apte à créer des emplois décents.

Quelles sont les risques de l'oisiveté des jeunes ?

La jeunesse ne peut pas rester sans rien faire. Et si les adultes ne leur trouvent pas des occupations saines, elle finira par trouver ses propres occupations ou se laisser entraîner par des marchands d'illusions qui l'utiliseront contre sa propre communauté. Mais, l'oisiveté de la jeunesse est un énorme gaspillage pour notre pays qui consacre d'énormes ressources pour l'éducation de sa jeunesse, mais laisse celle-ci en jachère ou à l'abandon.

Que doivent faire les autorités pour une bonne prise en charge de l'emploi des jeunes ?

Les nouvelles autorités doivent trouver les moyens de donner l'exemple, en recrutant massivement dans la fonction publique, en faisant la promotion du secteur privé national et, surtout, en responsabilisant la jeunesse. Car, c'est elle qui a les capacités d'inventer les solutions les plus originales à ses propres problèmes et à ceux de nos populations. Pour ce faire, il faut que l'Etat crée les conditions culturelles, mentales, économiques et psychologiques favorables à l'initiative individuelle.

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