Quand la honte se mue en pitié sans se rendre compte de son état de déshonneur, qu'est ce qui peut encore sauver ce qui est déjà perdu ?
Il suffit de juxtaposer les sommets de l'Alliance des Etats du Sahel (AES) et de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) pour comprendre la tragicomédie africaine et tirer les conclusions qui vont de soi. Pour un sommet de l'AES et de surcroît premier du genre en moins d'un an de sa création, l'engouement et la passion qu'il a drainés sont loin d'être un montage.
Pour un sommet de la CEDEAO, le 65e du genre en 49 ans de vie, soit près d'un demi-siècle d'existence, tenu sur la pointe des pieds, seuls les dupes s'offusquent. Les uns ont transcendé le complexe du tapis rouge pour marcher sur 9 km, de l'aéroport jusqu'au palais présidentiel, juste pour entendre la voix du peuple. Les autres se sont engouffrés entre les quatre murs feutrés d'une indépendance tenue en laisse par la cravate de la pendaison démocratique.
De Niamey à Abuja, deux Afriques se sont livrées en spectacle. L'une a osé faire le pas de l'intégration vraie et l'autre s'est contenté de se dribbler en tournant en rond autour de l'essentiel.
A Niamey, ils ont parlé d'entreprenariat et d'intégration des peuples avec en filigrane une volonté de confédération et de fédération. A Abuja, ils ont parlé de visa pour les peuples de l'AES et de restrictions contre les entreprises de citoyens de l'AES, pour les mouvements des Burkinabè, des Maliens et des Nigériens vers les pays membres de la CEDEAO.
C'est triste de voir que les Africains par-dessus les défis réels du moment, se battre comme des chiffonniers, pendant que les « rapaces » venus de loin attendent de s'arracher la chair tendre d'une fratrie. Le malheur de l'Afrique, c'est d'avoir accepté des frontières qui n'existent pas dans le quotidien de ses peuples, de ses cultures, de ses traditions. L'erreur de l'Afrique, c'est d'avoir dit oui à une indépendance qui n'est ni affirmée dans les actes ni confirmée dans les faits.
Après les ambitions manquées de Kwamé Nkrumah, de Patrice Lumumba, de Sékou Touré, de Thomas Sankara, les parodies d'union ou d'unité de l'Afrique n'étaient que de dilatoires projets de Tartuffe conçus à l'insu de l'Afrique.
Mais l'indépendance totale ne se proclame pas entre quatre murs de salon ; elle s'arrache dans la douleur de l'oppresseur, mais jamais avec la complicité de ce dernier ; jamais avec sa collaboration. Si le vrai accouchement est douloureux ; la véritable naissance est également un cri de douleur marqué par la rupture nécessaire du cordon ombilical. Nul ne saurait être un homme s'il reste accroché au pagne de sa mère !
L'Alliance des Etats du Sahel a dit NON à l'indépendance qui se biberonne au compte-goutte pour décider de traire elle-même sa vache laitière. Cela ne veut pas dire qu'elle veut vivre dans l'ostracisme vis-à-vis des autres nations. Elle veut que ses rapports avec les autres soient des plus sains et des plus respectueux. Ce n'est donc pas un sommet de remontrance qui la ramènerait dans la « maison hantée ». Ce n'est pas un discours vindicatif qui la ferait faire marche-arrière ; les grands hommes s'assument, seul les indécis marchent en virevoltant.
Cela ne veut pas non plus dire que les mesures-sanctions de la CEDEAO seront sans désagrément dans le quotidien des peuples concernés. C'est pourquoi, il faut communiquer ; dire aux peuples la vérité sur chaque décision et initiative. I
l faut anticiper à travers une communication proactive qui devance les répliques des contempteurs. Il faut enfin être et rester vrai jusqu'au bout en jouant la carte de l'intégrité. C'est à ce prix que l'AES sera le « Triangle de Bermudes » de l'impérialisme. C'est à ce prix qu'elle posera la première pierre en dur des Etats-Unis d'Afrique.