Depuis un certain moment, de plus en plus de femmes se mettent au fumage de poissons. Une activité, certes, lucrative mais pénible au risque même de leur santé car elles sont exposées à des fortes concentrations d'émissions nocives qui ont aussi un impact négatif sur l'environnement.
Sous un hangar, trois fours placés à l'entrée de la parcelle de Jordine dégagent des épaisses fumées noires accompagnées d'une forte odeur de brûlé qui s'empreigne fortement sur les vêtements et cheveux. Le visage perlé de sueur, Jordine, la trentaine, vendeuse de poissons fumés au quartier Mayanga, s'active autour du feu, manipulant avec dextérité le poisson. « Il faut beaucoup de tact pour tourner et retourner le poisson car il peut s'abîmer », explique-t-elle. Jordine s'est lancée dans cette activité de façon consciencieuse suite à la rupture avec son conjoint. « C'est mon bureau vu que je passe le clair de mon temps ici avec ma soeur », avance-t-elle, fière de ce qu'elle a déjà accompli. « Grâce à cette activité, j'ai pu construire dans la parcelle familiale mon petit cocon et très prochainement, je compte ouvrir une boucherie, mais en attendant je fais louer les chaises », informe-t- elle.
Depuis trois ans, Jordine brave la fumée en période de forte chaleur comme sous le froid, et même si elle reconnaît que cette activité est fastidieuse, elle est néanmoins consciente que c'est grâce à ce travail qu'elle a pu remonter la pente après son divorce. « Ce n'est pas toujours agréable de sentir l'odeur du fraîchin et de se réveiller à l'aube tandis que les autres sont emmitouflés dans leurs draps. Mais, ce travail est ma planche de salut car sans lui, je coulais », avance Jordine qui ne badine pas sur les notions de salubrité. « Cette activité exige une bonne hygiène de vie dans la mesure où la manipulation journalière du poisson abîme les mains, son odeur colle fortement sur les habits, ...», précise la commerçante.
Une activité qui a le vent en poupe
De nombreuses anciennes vendeuses de poissons frais se sont tournées vers la vente du poisson fumé. Effectivement, plusieurs raisons justifient cela. Devenue une habitude alimentaire selon les témoignages des commerçants, elle représente aussi un avantage économique. « Avant, je vendais le poisson frais, mais avec les coupures d'électricité, j'ai décidé de passer au fumage de poissons pour ne pas subir d'énormes pertes », révèle Suzie, vendeuse au marché de Mbota, à Pointe-Noire, qui a réussi à fidéliser ses clients. « Grossistes et détaillants viennent directement à la maison, quant aux consommateurs journaliers, ils viennent au marché quand je vends », informe cette dernière visiblement satisfaite.
Une entreprise fructueuse, mais non sans conséquence
Le fumage du poisson a plusieurs conséquences, notamment sur le plan médical comme le souligne l'infirmier d'Etat Jonas Mouzinga. « Je reçois beaucoup de femmes qui souffrent régulièrement de toux et d'irritations ophtalmologiques. La plupart, après consultation, révèlent qu'elles fument soit du poisson, soit de la volaille ou encore de la viande », confie-t-il.
A cela s'ajoutent les conséquences écologiques comme l'indique Marien Nzikou Massala, journaliste environnemental. « Le contact rapproché avec les flammes au cours du fumage produit une grande quantité importante d'hydrocarbures aromatiques polycycliques, des dioxines, le monoxyde de carbone qui est, hautement cancérigène » a relevé le journaliste qui, pour amoindrir certaines contraintes comme l'irritation des yeux, les larmoiements, ou encore les quintes de toux, les éternuements répétitifs, les douleurs pulmonaires, l'obstruction des voies respiratoires, suggère l'installation des fours améliorés. « Ils permettent de réduire au maximum les dioxines et fumées qui donnent des maladies cancérigènes, de veiller à ce que le poisson ne soit pas trop grillé pour bénéficier de tous les apports nutritionnels du poisson », explique-t-il.
En outre, même si de nombreuses femmes se tournent vers le fumage de poissons, il sied de rappeler que cette activité est loin d'être reposante comme l'indique Pascaline qui est obligée d'écourter son sommeil pour s'approvisionner en poissons frais et de bonne qualité dans les chambres froides tous les matins. « Après l'achat du poisson, on le dissocie, ce qui fait qu'on a constamment les mains plongées dans de l'eau froide. Pour couronner le tout, on reçoit des piqûres d'arêtes dues à la mauvaise manipulation », admet-elle, présentant des éraflures sur les mains et des croûtes dues aux plaies car elle n'utilise pas de gants.
Selon plusieurs témoignages, la cuisson est sans doute l'étape la plus éprouvante car la fumée épaisse et noire qui se dégage des fours est une souffrance pour les yeux comme l'indique Nancy, la vingtaine, nouvellement convertie dans cette activité en raison des coupures intempestives d'électricité. « Nous utilisons pour la plupart la technique de fumage à chaud au charbon, c'est -à-dire des fours formés de tonneaux où l'on introduit du bois de chauffe ou le charbon », dit la jeune femme.