YAOUNDE — Selon une étude publiée dans le journal Science of The Total Environment, le coût économique mondial des moustiques invasifs Aedes aegypti et Aedes albopictus (moustiques tigres originaires d'Asie), vecteurs majeurs des virus de la dengue, du chikungunya et de Zika, a considérablement augmenté ces dernières décennies.
L'étude, coordonnée par des scientifiques de l'Institut de recherche pour le développement (IRD), du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et du Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), révèle qu'entre 1975 et 2020, les coûts recensés sont estimés à au moins 94,7 milliards de dollars, avec une multiplication des coûts par 14 de 1995 à 2014.
Les coûts reportés pour la période 2001-2020 en Afrique s'élèvent à 1,69 milliard de dollars. Mais, les chercheurs pensent qu'ils sont sous-estimés, car ils sont trop rarement chiffrés et déclarés dans de nombreux pays du continent.
"Il faut mettre en place des stratégies de contrôle intégrées et durables des vecteurs, avec des méthodes non-insecticides routinières et préventives ainsi que des adulticides en cas d'épidémies"Fréderic Simard, IRD
Pour évaluer l'incidence économique de ces moustiques invasifs, les scientifiques ont procédé à une analyse des données mondiales obtenues à partir de 1 156 rapports de coûts dans 166 pays.
L'équipe a travaillé dans le cadre d'un consortium global [...] sur l'impact des espèces invasives, et elle s'est rendu compte que ces deux moustiques, avec les impacts qu'ils avaient en termes économiques, arrivaient en tête des espèces invasives avec le plus gros impact en termes de coûts économiques, explique Fréderic Simard, entomologiste médical et directeur de recherche à l'IRD.
« C'est quelque chose qu'on a commencé à documenter dans le cadre de ce consortium, qui s'appelle InvaCost, qui compile une base de données des coûts réellement rapportés liés aux espèces invasives. C'est totalement différent d'estimations basées sur de la modélisation ou sur des extrapolations. C'est une recherche, un inventaire des coûts qui sont rapportés dans la littérature scientifique directement en lien avec l'impact des espèces invasives », dit-il.
La compilation de cette grosse base de données a permis de voir « cet impact massif des moustiques invasifs, par la nuisance qu'ils produisent et par les maladies qu'ils transmettent essentiellement, et on a voulu approfondir cet aspect-là et fournir un premier rapport sur ce que coûtent ces moustiques dans les zones qu'ils ont envahies récemment », soutient l'entomologiste.
Fardeau économique
Fréderic Simard rappelle que tous ces virus sont connus depuis longtemps, mais c'est à cause de la dispersion de leurs vecteurs à travers le monde qu'aujourd'hui, toute la planète est exposée à leur transmission.
« Ces virus, lorsqu'ils sont chez l'homme, provoquent des maladies avec des symptômes plus ou moins graves qu'il va falloir traiter et qui peuvent aussi, pour certaines, provoquer des séquelles sur le long terme (exemple Zika) et qui vont induire des coûts », assure-t-il.
L'étude a mis en évidence les différents types de coûts liés aux moustiques Aedes et aux virus qu'ils transmettent. Notamment les coûts médicaux directs. Ce sont les dépenses liées au diagnostic, à l'admission à l'hôpital, à l'hospitalisation, aux cas ambulatoires, aux soins du patient et au traitement de la maladie, qu'ils soient payés par les patients ou par les prestataires de soins de santé.
Il y a aussi les coûts non médicaux directs (transport vers les structures sanitaires, la nourriture et l'hébergement des patients) et les coûts indirects (perte de productivité due à la maladie, à la morbidité ou à la mort prématurée).
Pour Albert Ze, économiste de la santé, c'est une étude « assez intéressante » parce qu'elle permet de voir le fardeau économique de ces maladies sur les populations, les systèmes de santé, mais aussi sur les pays de manière générale, et permet aussi d'ouvrir le débat sur ce coût économique.
Il ajoute que le fardeau est davantage plus important sur les systèmes de santé que sur les populations, « parce que les systèmes de santé sont censés non seulement financer leur fonctionnement, mais aussi financer la santé des populations ».
« Cette étude devrait être davantage exploitée pour voir ce qu'il y a lieu de faire pour réduire ce fardeau », explique Albert Ze qui souligne au passage que ce coût économique montre surtout l'insécurité sanitaire dans laquelle les populations vivent, en particulier en Afrique.
Prévention
Dans son bulletin d'information sur les flambées épidémiques publié en décembre 2023, l'OMS indique que l'Afrique figure parmi les quatre régions les plus touchées par la dengue, le chikungunya et la maladie à virus Zika.
Selon les auteurs de l'étude, « la prévention est indispensable » pour réduire les coûts économiques induits par les moustiques Aedes.
« Il faut mettre en place des stratégies de contrôle intégrées et durables des vecteurs, avec des méthodes non-insecticides routinières et préventives ainsi que des adulticides en cas d'épidémies. Les études de coût-efficacité couplées à des analyses d'acceptabilité sociale doivent permettre d'orienter les décisions pour combiner les méthodes les mieux adaptées au contexte local », explique Fréderic Simard.
Abondant dans le même sens, Alain Barthélemy Takam, secrétaire exécutif de l'Association camerounaise pour la promotion de la santé (ACPS), soutient qu'il faut construire des systèmes de santé résilients. C'est-à-dire des systèmes qui sont capables de s'adapter et de fonctionner efficacement face aux perturbations ou aux crises.
« Cela peut être l'anticipation des risques. On peut identifier des menaces potentielles comme le cas des moustiques Aedes et autres maladies qu'ils transmettent, puis mettre en place des stratégies de prévention et d'atténuation », précise-t-il.
Albert Ze souligne que les pays africains doivent engager la volonté politique pour lutter contre les risques sanitaires. « La santé des populations doit être une priorité dans les engagements et les outils de développement... »