Ile Maurice: «Collect Phokeer» !

L'arrogance, la partialité et la violence du speaker ont fini par lasser même la majorité. Il est vrai qu'une éventuelle alliance politique avec le Parti mauricien social-démocrate (PMSD) est l'occasion rêvée pour se débarrasser de lui.

Sooroojdev Phokeer a dernièrement pris l'habitude de faire une sorte de revue de presse au début de chaque séance parlementaire. Tout député de l'opposition ou même journaliste qui l'a critiqué étant l'objet d'un announcement de sa part, à l'issue de laquelle Phokeer condamne, menace, exige des excuses ou expulse, quand il ne réfère pas l'affaire au bureau du Directeur des poursuites publiques.

Or, à la suite de l'article de l'express du 12 juillet qui se demandait si Phokeer n'allait pas être remplacé par Adrien Duval, nous n'avons eu droit à aucune annonce de Sooroojdev Phokeer l'après-midi du même jour, quand le Parlement a exceptionnellement siégé. Le speaker n'a pas réagi non plus lorsque, au cours de la Private Notice Question, un député a lancé : «Kontinie fer mari. Adrien pou b** to plas.»* C'est Xavier-Luc Duval qui a répliqué : «Hey, pa met mo piti ladan.» Avant de s'entendre répondre : «Li piblik sa, ena sa dan l'express gramatin... De tout fason, Adrien pann demanti.»

Le silence de Sooroojdev Phokeer était d'autant plus assourdissant que l'article ne prédisait pas son remplacement éventuel à la prochaine législature, mais au cours de cette semaine «si la proposition faite est agréée par les deux partis». La mayonnaise a commencé à monter le 10 juillet quand Xavier-Luc Duval est sorti de son silence parlementaire - il n'avait posé presque aucune question au gouvernement depuis la séparation du PMSD de l'alliance de l'opposition - pour s'en prendre au même Phokeer en l'accusant d'être impulsif.

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Et se mettant étonnamment du côté de l'opposition, le leader des Bleus a ajouté que «les députés de l'opposition se sentent opprimés et trouvent que l'espace démocratique au Parlement rétrécit de séance en séance». Tout en souhaitant, d'une façon qui maintenant peut paraître prémonitoire, qu'il «faut absolument trouver une solution».

Une majorité silencieuse

Ce que l'on ignore, c'est que la contestation, certes en sourdine, a commencé à se faire entendre récemment même au sein de la majorité. Le timing un peu tardif pourrait laisser croire que ces contestations étaient destinées à faire une place à Adrien Duval et en même temps à satisfaire une des demandes instantes de Xavier-Luc Duval pour le remplacement du speaker.

Cependant, nous avons eu depuis longtemps des échos venant de certains ministres et même de Senior Ministers qui se sont montrés réservés, pour ne pas dire hostiles envers le speaker Phokeer. Un des ministres a même déclaré que «le gouvernement pourrait perdre les élections à cause de ce dernier».

Combien de fois a-t-on entendu des ministres déclarer au Parlement qu'ils veulent bien répondre à une question supplémentaire venant de l'opposition après que le speaker a fait barrage ? Bref, Sooroojdev Phokeer, en se montrant parfois surprotecteur, a desservi le gouvernement. Il semble aussi que, à de nombreuses occasions, certains ministres aient tenté de raisonner le président de la Chambre en privé, en lui demandant de se montrer un peu plus démocrate.

Alors que d'autres ministres éprouvent carrément une appréhension à s'adresser au speaker, préfèrent le laisser sévir contre l'opposition. On ne sait pas si le Leader of the House, Pravind Jugnauth, approuve ou condamne l'attitude de Phokeer. Ce qui est sûr, c'est que Sooroojdev Phokeer, qui n'aurait jamais été ramené à la raison par son maître Pravind Jugnauth, a fini par se croire plus intelligent de tous. Les pouvoirs qui lui sont octroyés par la Constitution, les Standing Orders et Erskine May, qu'il cite parfois d'une façon sélective, et le dernier mot qu'il a, auront contribué à lui faire croire qu'il a toujours raison.

Cette situation, couplée à son caractère arrogant, a fait le reste. Un de ses anciens collègues enseignants - lorsque Phokeer exerçait ce métier - se rappelle comment ce dernier était quelqu'un de difficile. «Il voulait toujours avoir raison. Et nous devions céder, même quand tout le monde savait qu'il avait tort.»

Donneur de leçons

Plusieurs journalistes qui ont parlé au speaker ont fait l'expérience de son arrogance. «Et lorsqu'il veut se montrer amical, il m'invite à passer le voir pour qu'il me conseille comment faire du... journalisme», nous dit un confrère en rigolant. «C'est incroyable que cet homme puisse avoir une si haute idée de lui. En tout cas, ce n'est pas un personnage à occuper le poste de speaker où l'on doit être à l'écoute.» Les conseils, Sooroojdev Phokeer les donne aussi au Parlement. Depuis quelques semaines, il s'est mis en tête de vouloir «guider» et aider les membres de l'opposition dans la formulation de leurs questions. Il l'a même fait au vieux routier Arvin Boolell.

Avec Ehsan Juman, cela n'a pas marché, celui-ci lui répliquant le 25 juin : «I don't need your guidance!» Le speaker, offensé, a insisté pour lui prodiguer des conseils. «Let me give you my guidance this time. Now, you need my guidance.» Et quand Ehsan Juman lui a fait remarquer que sa guidance ne valait rien puisqu'il s'était trompé en déclarant que Sunil Bholah n'était pas le ministre de tutelle de la Financial Services Commission, Phokeer a voulu quand même avoir le der- nier mot : «What are you talking about?» Tout en accusant Juman : «You always want to have the last word.» Et d'utiliser son autorité pour trancher. «No question for you! We move on to the next question!»

Pour être un homme difficile, Sooroojdev Phokeer en est un. On vient ainsi d'apprendre que son nouveau conseiller technique en Broadcast Matters du Parlement, Shyam Persand, vient de démissionner de son poste, malgré une bonne rémunération, en raison du caractère de Phokeer. Ses autres conseillers ont aussi jeté l'éponge. Un avocat soupire : «Peut-être que c'est Phokeer qui voulait conseiller les conseillers !»

Justement, notre interlocuteur avocat connaît bien Phokeer pour avoir fait ses études de droit avec lui. «En fait, Phokeer n'a pratiquement jamais plaidé en cour. Cela ne l'empêche pas de se faire passer pour misie konn tou. Avec une telle arrogance, il n'aurait jamais pu faire face à de vrais avocats dans un tribunal. Et je ne vous parle pas de certains magistrats et juges qui auraient vite fait de le ramener à sa vraie dimension. Cela aurait fait mal à l'ego démesuré Sooroojdev.» L'avocat se demande aussi comment on a pu nommer une telle personne au perchoir.

Les policiers affectés à l'Assemblée nationale en auraient aussi marre de Sooroojdev Phokeer. Ses ordres lancés à haute voix pour «collect» des députés de l'opposition ont fini par énerver ces fonctionnaires qui se sentent humiliés en public. Mais c'est surtout l'ordre presque hebdomadaire de «jeter des élus du peuple hors du Parlement» qui dérange, un de ces fonctionnaires ayant même déclaré : «Nous ne sommes pas payés pour sévir contre des honorables mais contre des délinquants.» Et contre les speakers délinquants ?

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