Burkina Faso: Monument de la paix de Tampouy - Un dépotoir à ciel ouvert au coeur de Ouagadougou

15 Juillet 2024

Les monuments, érigés dans la capitale burkinabè, sont destinés à perpétuer la mémoire des héros, des martyrs ainsi que des personnalités ayant marqué l'histoire de notre pays. Ces sites symboliques embellissent la ville et attirent de nombreux visiteurs. Mais, de nos jours, certains de ces espaces historiques, en plus d'être infestés par des tas d'immondices, sont parfois des lieux d'insécurité. C'est le cas du monument de la paix, situé au quartier Tampouy, arrondissement 3 de Ouagadougou. Constat !

Jeudi 20 juin 2024. Il est 10 heures 30 minutes, au quartier Tampouy de Ouagadougou. Le soleil a déjà servi la capitale de ses rayons. En ce début d'hivernage, la température est toujours caniculaire. 38 degré Celsius. Rien ne présage la tombée d'une pluie, encore moins de doux vents pour rendre glacial la température ambiante.

Sous cette chaleur de plomb, commerçants et mécaniciens s'adonnent à leurs activités quotidiennes, à quelques mètres du monument de la paix, non loin du centre médical Paul VI et adossé à la paroisse Saint Jean-Marie Vianney. Aussi appelé monument aux martyrs, cet édifice a été érigé en mémoire aux vaillants Burkinabè tombés et se compose d'éléments symboliques de la société (calebasse brisée, étoile flamboyante, colombe, mains en signe de prière ...) et de la mention « plus jamais ça ».

A un jet de pierre de là, des dizaines de convoyeurs de mini cars envahissent la chaussée pour « appréhender » quelques passagers. Abandonné, délaissé, le monument de la paix, jadis qui faisait la fierté de la capitale, n'est plus que l'ombre de lui-même. Un tour dans cet édifice et le constat est désolant. Devant la porte principale, un tas d'immondices nous accueille. Sachets plastiques, ordures ménagères, excréments sont versés pêle-mêle. Des ordures de restes d'animaux et des déchets de toutes natures accueillent les visiteurs. Un vrai régal pour les mouches qui ne cessent de bourdonner sur leur « festin ».

« Je suis venu me soulager »

A peine, nous franchissons la porte, nous apercevons une âme. Un riverain âgé d'environ une vingtaine d'années. En provenance de l'intérieur du bâtiment principal, ce jeune homme de teint noir, au visage trempé de sueur est surpris de nous voir. Bouilloire en main, il se précipite pour nous saluer. Visiblement gêné, il avoue qu'il y est juste venu pour se soulager.

« On y entre souvent pour satisfaire nos besoins. Ici, personne ne nous l'interdit », confesse-t-il avant de « disparaitre ». Le temps d'enjamber quelques tas de sachets plastiques éparpillés partout, nous sommes face à deux toilettes dans un état de délabrement très avancé. Adossées à la clôture, ces toilettes d'infortune faites de paille résistent à peine aux mouvements du vent.

Un coup d'oeil. C'est un cocktail désagréable qui nous coupe le souffle. Difficile de respirer. Pour s'imprégner davantage de la propreté extérieure de l'infrastructure, nous faisons le tour du mur. Après avoir parcouru quelques dizaines de mètres, vers le côté Nord du monument, un véritable dépotoir d'ordures ménagères se laisse découvrir. Des odeurs nauséabondes agressent l'odorat de toute personne qui ose s'y aventurer.

Ici et là, on voit des restes de nourriture et d'animaux en putréfaction, des fruits de toute sorte en décomposition, de vieux vêtements, des morceaux de tissus des couturiers, des bouteilles cassées, etc. Mains nues, une vieille femme âgée d'environ 60 ans entre les ordures. « Je ne suis pas venue jeter des ordures. Je viens souvent chercher des objets encore utilisables pour les revendre », se justifie la vieille dame, tout en poursuivant ses fouilles. Les odeurs pestilentielles ne gênent guère notre sexagénaire.

La tête enfouie dans les ordures, nous prenons congés de « Mami » venue chercher sa pitance. A l'arrière-cour, se trouve un couloir envahi par des touffes d'herbes et d'arbustes. Impossible de se frayer un passage. Nous rebroussons donc chemin pour, cette fois-ci, visiter l'intérieur du monument. Après avoir franchi la porte, un homme, la quarantaine d'âge, nous accueille. Il se nomme Fernand Koama. Chauffeur de profession, il dit assurer la sécurité du site, à ses temps libres. Il se propose de nous servir de guide.

Aucun entretien

En plus des arbres non entretenus, on aperçoit des déchets jetés par des individus, rendant impropre l'enceinte du monument. Aussi, une partie du mur s'est écroulée, facilitant l'accès de toutes personnes mal intentionnées. Jadis attrayant, le monument est aujourd'hui délabré, faute d'entretien, à l'extérieur comme à l'intérieur, avec des lampadaires terrassés, des chaises cassées ... trônant au centre de la cour, l'oeuvre monumentale est dans un état piteux.

La calebasse brisée, présentant des fissures et représentant l'état de la Nation burkinabè meurtrie aux lendemains des multiples évènements douloureux qu'elle a enregistrés est envahie de poussière. La colombe affairée à « recoudre » cette calebasse traduisant ainsi l'esprit de regret et de pardon qui doit animer chaque Burkinabè avec cette phrase : « Plus jamais ça ! », sont recouvertes de poussière, de sachets volants ... Les mains en signe de prière, en forme de coeur, entourant la colombe bienfaitrice et lui servant d'abri pour pérenniser son message de « paix dans le coeur de chaque Burkinabè », sont recouvertes de poussière et briser par endroit.

L'étoile flamboyante, symbole du drapeau national et l'espoir du peuple du Burkina ne brille plus. Le jet d'eau à circuit fermé avec les deux calebasses de chaque côté du monument qui déversaient leur contenu, rappelant que le pardon et la paix ne peuvent durer entre les hommes sans l'acceptation des ancêtres et la terre qui les porte dans ses entrailles ne fonctionne plus. « Le monument était surveillé par des vigiles. A la fin de leur contrat, le site n'était plus surveillé. C'est ainsi qu'au regard de l'importance du site, j'ai décidé, de façon volontaire et gratuite, d'assurer sa sécurité la journée. Mais, n'étant pas là pour surveiller les nuits, les gens enjambent le mur ou passent par la porte et d'autres issues pour y jeter des ordures, voire des cadavres d'animaux», confie M. Koama.

« Ici ce n'est pas chez quelqu'un »

L'insalubrité de l'espace du monument préoccupe ses riverains. Salifou Sawadogo, employé de commerce en fait partie. Il exprime son mécontentement face aux inconduites de certains concitoyens. « Des gens du quartier se cachent la nuit pour venir déverser les ordures autour du monument. Ils le font même en pleine journée.

Récemment, j'ai essayé d'empêcher la décharge de deux tricycles. Mal m'en a pris. Ces jeunes conducteurs ont menacé de me faire le portrait. Mes géniteurs ont été copieusement injuriés. Pour finir, ils m'ont signifié de veiller à la propreté de ma maison et de les laisser verser les déchets, car ici ce n'est pas chez moi », relate-t-il, tout furieux. Un autre riverain, Oumar Ouédraogo, assis sous un hangar, avoue que la mairie de l'arrondissement 3, à travers des opérations de salubrité, nettoie régulièrement l'espace du monument. Mais, quelques jours après, poursuit-il, les anciennes habitudes des populations reprennent.

« Pour pallier cette insalubrité, les responsables de la mairie peuvent envisager le dépôt d'au moins deux bacs à ordures sur le site », propose-t-il. Même son de cloche pour Boukaré Ouédraogo. Très désespéré, il estime que l'absence de bacs à ordures ne permet pas aux occupants de cet espace de contribuer efficacement à son assainissement. « Ici, il est difficile d'empêcher des gens qui ont l'habitude de venir déverser des objets usagés. Les déchets entravent nos activités. C'est pourquoi, de temps en temps, je fais balayer l'espace et rassembler les ordures. Mais, comme il n'y a pas de bacs à ordures, je les brule », ajoute-t-il. Il souhaite que la mairie puisse assainir le lieu.

Par contre, les autorités municipales en charge de la salubrité publique ne partagent pas les propos des riverains. Pour le directeur de la salubrité publique et de l'hygiène, Seydou Nassouri, l'installation des bacs à ordures autour du monument va davantage contribuer à créer du désordre.

« Même si nous plaçons des bacs à ordures, c'est aux populations de s'arranger pour les vider régulièrement. Toute chose qui sera difficile à réaliser parce que des gens sont capables de les laisser déborder, d'y jeter des animaux morts, voire transformer cet espace en dépotoir », déplore M. Nassouri. Il explique qu'il y a une règle de gestion de déchets qui demande aux commerces et aux ménages d'avoir des poubelles en bonne et due forme et d'être abonnés à des services de pré-collecte de déchets. Mais, selon lui, cette réglementation n'est pas respectée par la majeure partie des populations.

L'incivisme pointé du doigt

A écouter le Président de la délégation spéciale (PDS) de l'arrondissement 3 de Ouagadougou, Christophe Kaboré, les sites historiques tels que les monuments n'ont pas encore été rétrocédés à la commune. De ce fait, précise-t-il, la mairie n'assure pas la gestion du monument de la paix.

Cependant, étant donné que l'infrastructure est située dans un espace public, rassure-t-il, la mairie multiplie des efforts pour son assainissement, à travers des opérations de salubrité. « Après avoir balayé et nettoyé les alentours et l'enceinte du monument, les populations du quartier reviennent y déverser des ordures, tout en sachant que ce n'est pas un dépotoir. Elles doivent savoir qu'en principe la mairie n'est pas tenue d'enlever les ordures produites par les ménages.

Il revient aux populations et aux occupants des domaines publics de s'organiser pour trouver des bacs à ordures et de s'attacher aux services des prestataires pour l'enlèvement de leurs ordures. Même si, pour le moment, certains centres de collecte et tri de déchets ne sont pas fonctionnels, des dépotoirs ont été déterminés en leur faveur », clarifie M. Kaboré.

Et d'ajouter qu'en plus de l'insalubrité, le site est devenu un lieu d'insécurité. « Récemment, des gens y ont fait des découvertes macabres de corps humains. Au niveau du mur, des fers de protection ont été sectionnés par un voleur. Lors de la procédure d'enquête, il s'est posé la question de la structure chargée de la gestion du monument », explique le PDS. Il précise en outre que l'incivisme annihile tous les efforts de la commune pour assurer la propreté de la ville.

De son avis, pour que la salubrité soit une réalité, l'accent doit désormais être mis sur la répression notamment les contraventions. Du reste, fait-il savoir, pour redorer l'image des monuments, une étude commanditée par les hautes autorités du pays est en cours.

A l'en croire, les résultats de cette étude devront permettre la réhabilitation des sites afin de les rendre plus attrayants. En attendant, le monument de la paix demeure un dépotoir à ciel ouvert sous les regards impuissants.

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