Ile Maurice: Un projet de remplacement de tuyaux qui fait polémique

Après la conférence de presse de vendredi, encore plus de questions sont posées sur le programme de remplacement de tuyaux à travers l'île par la CWA. La qualité des travaux et les lieux choisis, comme au Morne, laissent planer des doutes. Depuis 2023, les hôtels de Beachcomber n'ont pas été connectés et les habitants n'ont droit qu'à du «jus tamarin» dans les robinets.

Vous avez dû remarquer ces conduites d'eau en PVC serpentant entre La Gaulette jusqu'à la plage du Morne d'une part et d'autre part celles venant de Baie-du-Cap jusqu'au village du Morne. À qui sont-elles destinées ? Aux habitants ou aux hôtels du Morne Paradis et Dinarobin et un autre projet aux Salines de Rivière-Noire ?

Ce que nous savons pour le moment, c'est que Beachcomber, l'enseigne commerciale de New Mauritius Hotels Ltd, a fait une demande, en 2023, pour lui fournir de l'eau non traitée et de l'eau traitée pour une grande quantité. Le board de la Central Water Authority (CWA) a rejeté la proposition parce qu'en plus de 3 700 m³ d'eau non traitée par jour - qui est déjà beaucoup -, la CWA allait fournir 1 550 m³ d'eau traitée (filtrée et chlorée) par jourpour ces deux hôtels et le projet inconnu de Rivière-Noire.

Alors qu'elle fournit au maximum 300 m3 ou exceptionnellement 400 m3 d'eau traitée par jour à un établissement hôtelier. Le 12 juillet, face à la presse, le General Manager de la CWA, Prakash Maunthrooa, a maintenu fermement que le board de la CWA a bien approuvé la proposition. Selon nos informations, c'est faux! Qui a donc approuvé ?

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Eau à gogo pour les hôtels et eau à compte-gouttes pour les habitants

Mais que feront ces deux hôtels et le projet de Rivière-Noire de toute cette eau ? Pour servir ses clients, pour faire la cuisine ? Ou pour remplir les piscines et arroser les parcours de golf ? Maunthrooa informait les journalistes vendredi que ces hôtels n'ont pas été connectés à la fin. C'est vrai. Même si la CWA allait de l'avant «avec l'approbation du board» ou celle d'une autre autorité, le projet n'a pas abouti. Pourquoi ? Sans doute en raison des questions qui ont commencé à surgir.

Le plus troublant: 4,5 km de tuyaux avaient déjà été placés avant même que la proposition ne soit transmise au board. Maunthrooa, tout en niant cela le 12 juillet, répondait par une question : «N'est-ce pas la responsabilité de la CWA de fournir de l'eau pour la consommation domestique, industrielle et commerciale, y compris les hôtels ?» Oui, il est bien sûr important que nos hôtels soient bien pourvus en eau.

Mais pas plus qu'il n'en faut et surtout pas aux détriments des habitants. L'argument du General Manager ressemblait en tout cas à une tentative de justification de passer outre l'autorité du board.

Si comme veut le faire croire Maunthrooa, ce projet au Morne a été lancé avec l'approbation du conseil d'administration de la CWA, on se demande s'il a obtenu le feu vert nécessaire côté technique et administratif, s'il y a eu un rapport sur le Scope of Work, sur le Project Costing et s'il y a un Implementation Schedule et les tarifs payés. Car personne à la CWA n'en est au courant.

Mais la question la plus importante demeure : quelle est la contribution de Beachcomber à ces travaux ? À noter qu'il n'existe pratiquement aucune habitation ni commerce sur la route menant de Coteau Raffin à ces hôtels. Selon nos informations provenant d'un ministère, la CWA a réclamé Rs 150 millions à Beachcomber pour ces travaux bâclés.

Au sujet de ces tuyaux qui ont été posés à même le sol, Maunthrooa a expliqué que ces conduites seront enterrées plus tard car «il était urgent», dit-il, «de fournir l'eau», mais sans dire que c'était destiné aux hôtels. Cela, alors qu'il venait de projeter une vidéo montrant les ouvriers enterrant des tuyaux.

Ces travaux ont été réalisés par les employés de la CWA, a précisé le GM vendredi. Pas par les gros contracteurs même si ce genre de travaux devait tomber sous la rubrique «Major Contracts». Il y a donc eu un mélange de genres qu'avait dénoncé Yousra Lalmahomed, l'ex-Chief Internal Auditor de la CWA. Il est évident que la pose de ces tuyaux a été faite en dépensant le moins possible.

La question qui surgit: si Beachcomber a payé Rs 150 millions, où est parti l'argent provenant des Rs 700 millions fournies par le ministère des Services publics pour notamment ce projet de «Pipe Replacement» au Morne ? Nous attendons la réponse de Beachcomber sur son paiement.

Les tuyaux vont à l'hôtel en rampant sur le sol. Enter Standard Solutions

Il faut savoir que même si c'était du In-House, la CWA a eu recours au «Hired Labour», a reconnu Prakash Maunthrooa, qui est d'avis que cela est légal. Cependant, au-delà de la question de la légalité de la chose, il est évident que l'In-House Program n'était pas tant In-House que cela. Interrogé à ce sujet vendredi, le GM de la CWA justifie l'emploi de travailleurs externes tout en refusant de dire combien il a coûté. Cela a-t-il été fait à travers un contracteur de travaux? Maunthrooa : «Qu'y a-t-il de mal à cela?»

En fait, la CWA a employé des travailleurs, des équipements et autres à travers son entrepreneur préféré, Great Standard Solutions Ltd et Standard Solutions Ltd. Cette façon d'opérer ressemble bien à de la sous-traitance mais sans dire son nom.

Combien a été payé à l'une ou aux deux Standard Solutionspour Le Morne ? Prakash Maunthrooa et Gaëtan Armoogum, Deputy General Manager (Administration) de la CWA, ont tenté d'esquiver en jouant sur le nom exact. Mais aucun chiffre n'a été donné ni le nombre de contrats. D'après la réponse du ministre Joe Lesjongard au député Patrick Assirvaden, mardi 9 juillet, au Parlement, cinq contrats ont été alloués à Great Standard Solutions Ltd pour Rs 37 millions mais il n'a pas parlé du Morne.

Et lorsque Patrick Assirvaden a voulu savoir pourquoi une compagnie créée seulement un an auparavant a obtenu ces contrats, le ministre Lesjongard a renvoyé le député travailliste à la CWA. Qui, à travers Maunthrooa vendredi, nous a référés à la réponse de... Lesjongard au Parlement.

Nous ne savons pas s'il y a eu un commissionning pour ces travaux au Morne. Car s'il y en avait une, les inspecteurs auront su que ce n'est pas les villages assoiffés qui ont eu l'eau mais les hôtels qui l'auront.

Jus tamarin dans les robinets

Le board de la CWA n'était pas d'accord avec le projet pour Dinarobin, Paradis et le projet inconnu de Rivière-Noire pour une autre raison : les habitants des villages avoisinants allaient être impactés d'une façon considérable et c'était déjà un «black spot», c'est-à-dire qui subit le stress hydrique. En périodes sèches, les habitants voient la fourniture d'eau interrompue, pour ne pas dire stoppée, et en périodes pluvieuses, ils reçoivent une eau boueuse qu'ils appellent «jus tamarin».

Marie-Lena nous a montré son réservoir d'eau dans lequel est déposée une épaisse couche de boue. «Je dois acheter de l'eau en bouteille pour boire et pour cuisiner», se plaint-elle. «Pour le bain et la vaisselle, il faut utiliser cette eau sale.» Elle nous parle de certains voisins qui n'ont pas les moyens de s'acheter des bouteilles d'eau. «Zot bizin bwar e servi sa dilo sal lamem.»

Fontaine, je ne boirai plus de ton eau

Même à Baie du Cap, le manque d'eau se fait sentir. François, maçon, nous livre son état d'âme. «Quand tu rentres d'une journée de travail, tout ce que tu veux faire c'est prendre un bain. Hélas, souvent il n'y a pas assez d'eau. Tu es pris de colère et c'est ainsi que tu descends dans la rue pour faire entendre ta voix. Et il y a des arrestations. Un de mes amis fait toujours face à des poursuites.» François regrette le temps où il y avait des fontaines publiques. «Les autorités les ont supprimées. Il est temps de penser à les réinstaller un peu partout. Je le demanderai à la prochaine visite d'Alan Ganoo.»

On se rappelle des émeutes de l'eau en février 2023, pourtant en pleine période de pluie, à la suite de l'arrêt de la distribution d'eau à Bois-Puant, Case-Noyale, La Gaulette, Petite-Rivière-Noire et Coteau-Raffin. À ce jour, on ignore la vraie raison de ces coupures. La CWA avait parlé d'une réparation. La députée Sandra Mayotte avait émis des doutes: «Je suis confuse par rapport à la réparation de ce tuyau.»

Pour Yoni Auguste, conseiller du village du Morne, tout cela a commencé en 2020. «La HSBC avait pourtant offert Rs 17 millions pour l'installation d'un système de filtrage d'eau venant de Baie-du-Cap. Or, nous ne savons ce qui s'est passé. Nous avons vu un autre tuyau ajouté à celui nous desservant et qui a pris la direction des hôtels du Morne. Mes questions au conseil de village sont restées sans réponse.» Il se demande toujours où sont passées les Rs 35 millions du projet HSBC et Lions Club ? «Ni la CWA ni les députés ni ministres ne m'ont répondu.»

On n'entend plus parler de 60 % de pertes d'eau

Il faut savoir que 500 km de tuyaux sont actuellement remplacés dans toute l'île dans le cadre du Pipe Replacement Program (PRP), dont 246 km In-House, 118 km par des PME et 36 km par de gros entrepreneurs. Comme évoqué par l'express le 3 juillet, ce projet ne repose sur aucune étude scientifique mais sur une sorte de vague calcul que 60 % de notre eau sont perdus dans les fuites des tuyaux.

Vendredi, ni Maunthrooa ni Chandrassen Matadeen, chef ingénieur, ni Gaëtan Armoogum n'a repris cet air de 60 % de pertes dans le réseau. Matadeen a changé de fusil d'épaule : les tuyaux à remplacer sont motivés par le nombre de plaintes reçues. Et l'on ne sait pas si la CWA a une base de données qui lui permet de savoir où se trouvent les tuyaux les plus vieux ou en amiante qui doivent être changés.

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