Burkina Faso: Traitement de masse contre la schistosomiase - Un autre pas vers l'éradication

17 Juillet 2024

Le Burkina Faso multiplie les initiatives pour parvenir à l'élimination des Maladies tropicales négligées (MTN) d'ici à 2030. L'une d'elles est le traitement de masse, notamment contre la schistosomiase (bilharziose). En mi-mai 2024, des agents de santé ont sillonné l'aire sanitaire de Nongr-Massom, à Ouagadougou, à la traque des parasites responsables de ce mal.

Sous le manguier qui trône au milieu de la cour de la famille Zango, au quartier Kossodo de Ouagadougou, l'agente de santé communautaire, Céline Tiendrébéogo « dispense » un cours en langue nationale mooré sur la schistosomiase, encore appelée bilharziose, en cette 2e quinzaine du mois de mai 2024. « C'est une maladie causée par les vers. Ils pénètrent la peau lorsque celle-ci entre en contact avec l'eau polluée ... », indique la « vieille » Tiendrébéogo qui a, à son actif, une vingtaine d'années d'expérience dans la santé communautaire.

Elle explique que la transmission et la propagation de cette maladie sont uniquement tributaires des comportements malsains de l'homme. C'est l'homme qui entre en contact avec le parasite dans les eaux souillées, notamment dans les retenues d'eaux, barrages, marigots et le propage ensuite auprès de lui, détaille la sexagénaire.

« Mais, il y a de bonnes nouvelles. On peut prévenir la schistosomiase et on peut en guérir aussi », fait-t-elle savoir, en montrant une boite de comprimés, presque vide. Selon elle, la campagne de traitement de masse contre la bilharziose (tenue du 14 au 20 mai 2024, ndlr) est une aubaine pour la famille Zango de se prémunir de ce mal. Cette campagne cible les enfants de 5 à 14 ans.

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« Pour l'aire sanitaire du district de Nongr-Massom, c'est la tranche d'âge chez laquelle, l'on a constaté le plus de cas d'infestations. Ce problème est criant chez les enfants. Ce sont eux qui s'amusent le plus dans les eaux sales », s'alarme le médecin-chef du district sanitaire (MCD), Dr Pâbidon Bertrand Somé.

Dans la famille Zango, Rabiatou (14 ans), Ramatou (12), Asmao (11 ans), Odile (7 ans) et Hamado (6 ans) sont éligibles. En équipe, Céline Tiendrébéogo et Azara Tiendrébéogo supervisent la prise de médicaments : un à trois comprimés en fonction de la taille de l'enfant. Ensuite, l'agente de santé, Azara, échange avec eux sur d'éventuels effets secondaires.

« Nous repasserons demain (mardi 21 mai 2024, ndlr), pour savoir ce qui s'est passé après notre départ, s'ils ont vomi, ont eu mal ou ont eu des vertiges », renchérit-elle. A cet instant, la petite Rabiatou et les siens ne présentent aucun signe d'effets secondaires du comprimé qu'ils ont pris. D'ailleurs, l'élève se réjouit de savoir que la bilharziose ne passera pas par elle, pour se répandre dans le quartier Kossodo, ni dans la ville de Ouagadougou.

« J'ai pris le médicament, parce qu'il donne la santé », affirme-t-elle. Sexagénaire, la « mamie » Habibou Zango estime que la prise de médicaments contribue à l'amélioration de la santé de ses petits-enfants et celle des autres. « Je ne veux pas que mes petits-enfants tombent malades. S'ils prennent les comprimés, ils seront en bonne santé et protégeront les autres enfants aussi. Au cas où les autres enfants ont la maladie, ils ne pourront pas contaminer les miens, parce qu'ils sont déjà protégés contre la bilharziose », souligne la « vieille » Zango.

Une maladie parasitaire qui sévit toujours

Classée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) parmi les Maladies tropicales négligées (MTN), la schistosomiase ou la bilharziose est une maladie parasitaire due à des vers, fait savoir Joachin Ki, l'Infirmier chef de poste (ICP) du Centre de santé et de promotion sociale (CSPS) du secteur 26 de Ouagadougou, dans le district sanitaire de Nongr-Massom.

Bien que le taux de prévalence de la bilharziose soit faible dans le district sanitaire de Nongr-Massom, soit de l'ordre de 4,17%, et avec une faible intensité d'infection, le MCD, Dr Somé, indique qu'elle fait toujours des ravages au sein des communautés qui n'ont pas accès à l'eau potable et une bonne hygiène de vie. « C'est une maladie qui est encore là, qui existe et qui sévit au sein de nos communautés.

Elle entraîne une charge de morbidité très élevée », regrette le MCD, Dr Pâbidon Bertrand Somé. 43 cas de bilharziose ont été pris en charge dans le district sanitaire de Nongr-Massom, ces trois dernières années, laisse entendre Dr Somé. Pour lui, il s'agit d'une « maladie qui évolue de façon silencieuse, mais qui a des lourdes conséquences ».

« La schistosomiase est pourvoyeuse de plusieurs conséquences à long terme qui sont difficiles à prendre en charge sur le plan médical (...). Il peut y avoir risque de cancer de la vessie, de stérilité ... Vous pouvez avoir la maladie et puis vivre avec pendant 15 ou 20 ans et c'est vraiment à un stade très avancé qu'elle se manifeste. C'est pourquoi, il est important d'agir vite pour réduire la charge de morbidité (...).

Nous devons combattre cette maladie au sein de nos communautés », ajoute-t-il.

Depuis 2004, le traitement de masse est l'une des stratégies adoptées par le Burkina, selon les orientations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), pour contrer la schistosomiase. « Cette stratégie nous permet d'aller vers nos cibles. En fonction des zones, nous faisons du porte-à-porte, nous installons les équipes dans les écoles, dans les marchés, devant les lieux de culte... partout où on peut avoir la cible », commente Joachin Ki, ICP du CSPS/secteur 26.

Une forte mobilisation sociale

Pour la présente campagne de traitement de masse contre la schistosomiase, le CMA de Kossodo a mobilisé et formé 13 agents de santé et Agents de santé à base communautaire (ASBC), répartis en sept équipes. L'équipe 2, composée de Celine Tiendrebéogo, une sexagénaire et de Azara Tiendrébeogo, 26 ans, fait du porte-à-porte.

A un jet de pierre du domicile des Zango, elles sont interpelées par Zénabo Kaboré qui interroge sur l'objet de la sortie des agents de santé. Informée, la vendeuse de dolo, une boisson locale, se montre prévoyante. Aussitôt, Mme Kaboré appelle son fils, Xavier, âgé de 7 ans afin qu'il prenne les médicaments même s'il n'a jamais manifesté de signe de bilharziose.

La dolotière ne veut prendre aucun risque avec un enfant qui rentre dans les eaux sales et va souvent à la pêche dans les bas-fonds de ce quartier insalubre. « C'est de son âge de jouer dans les eaux avec ses camarades, c'est aussi de mon devoir de veiller sur sa santé, de le protéger. Ces comprimés vont renforcer son immunité contre la bilharziose », soutient Zénabo, quadragénaire.

A deux pas du cabaret de Zénabo, se trouve l'atelier de mécanique de Rafael Zerbo. Ici, Aristide Zoungrana (9 ans), Benjamin Nikiema (9 ans) et Anicet Zerbo (13 ans) apprennent les rouages de la mécanique-auto auprès de leur patron Zerbo. Ils sont tous en âge de prendre les comprimés. Rafael Zerbo estime que la prise des médicaments est le meilleur moyen pour lutter contre la bilharziose.

86 817 enfants traités

La campagne de traitement de masse contre la schistosomiase bénéficie d'une adhésion des habitants de Kossodo, vivant souvent dans des zones précaires et insalubres où l'accès à l'eau potable et à une bonne hygiène de vie relèvent encore d'un luxe. « Nous avons constaté une forte adhésion populaire. Tous les enfants ciblés ont pris leurs médicaments. Toute la cible a eu sa dose », affirme Hugues Alphonse Tarpaga, du Centre d'information sanitaire et de surveillance épidémiologique (CISSE) au district sanitaire de Nongr-Masson.

Sur une population cible estimée à 85 387 enfants, 86 817 personnes ont été traitées, affiche le bilan officiel de la campagne de traitement contre la schistosomiase dans ce district sanitaire. M. Tarpaga situe la couverture thérapeutique du district à 101,66%.

Ce « succès » cache bien des défis dans la lutte contre la schistosomiase. Alors que l'ambition du pays est d'éradiquer la bilharziose d'ici à 2030, la prévalence de la bilharziose dans certains districts sanitaires demeure encore « forte », atteignant jusqu'à 70,83%.

Pour y parvenir, les praticiens de santé « prescrivent » un seul comprimé sur l'ordonnance : « le changement de comportements ». Yambekoudougou Eustache est responsable du service de la promotion de la santé du district sanitaire de Nongr-Massom. Pour lui, c'est

l'éducation pour la santé qui pourrait accélérer ce changement de comportement. « L'éducation pour la santé, ce sont toutes les mesures qu'on peut expliquer à quelqu'un pour qu'il puisse se prémunir contre une maladie », signale M. Yambekoudougou.

Le MCD, Dr Bertrand Somé, explique que pour vaincre la bilharziose, il faut « adopter de bons comportements d'assainissement, éviter de se baigner dans les eaux sales, les eaux de marigots, de marres, de barrages..., et de marcher les pieds nus ». En outre, il faut une conjugaison des efforts avec les autres acteurs intervenant dans les domaines de l'eau, de l'assainissement...

A cela, l'ICP suggère de mener régulièrement des campagnes de traitement de masse en vue de « continuer à freiner » l'évolution de la maladie. Selon Joachin Ki, des enfants échappent souvent à la prise des médicaments, à cause des déplacements de populations liés à la crise sécuritaire. Les campagnes régulières permettront donc de rattraper cette cible, selon lui, afin d'accélérer l'élimination de la schistosomiase d'ici à 2030.

Ces cas de refus

Dans les ruelles du secteur 26 de Ouagadougou, l'équipe d'agents de santé a rencontré plusieurs groupes d'enfants notamment des mendiants. Interpelés pour prendre les comprimés, ces derniers, visiblement dans la tranche d'âge, s'y sont simplement opposés. Si les uns ont clairement décliné l'offre, certains ont juste pris la poudre d'escampette. « Ils n'acceptent que lorsqu'on se rende dans leur quartier général et que leur maitre les y autorise. Sinon, ils refusent, pourtant ils vivent dans un environnement très précaire et sont exposés à la schistosomiase », indique Azara Tiendrébéogo.

Josiane Tiendrébéogo, chargée de la lutte contre la schistosomiase au Programme national de lutte contre les MTN

« Bâtié enregistre une prévalence forte de 70,83% »

Sidwaya (S) : Quel est le taux de prévalence de la schistosomiase au Burkina ?

J.T. : Nous avons commencé la lutte contre la schistosomiase depuis les années 2004, après avoir établi une cartographie de base. Les résultats ont prouvé que l'ensemble du pays est endémique à la schistosomiase. Selon le découpage sanitaire, notre pays compte 13 régions sanitaires avec 70 districts. Donc la maladie est présente dans l'ensemble des 70 districts sanitaires.

Sur la base de cette cartographie, nous avons commencé les campagnes de traitement de masse depuis 2004. Selon les directives de l'OMS, normalement après cinq tours de traitement, on devrait faire une évaluation d'impact, pour voir quel a été l'impact de ce traitement de masse sur la maladie. Mais ce n'est qu'en 2022 que nous avons eu un accompagnement financier pour réaliser ces enquêtes.

De 2022 à aujourd'hui, on l'a fait dans 16 districts. Mais le processus est en cours pour s'étendre à tous les districts. En 2024, nous envisageons enquêter dans 18 districts. Des 16 districts sanitaires réévalués, c'est celui de Bâtié (Sud-Ouest) qui enregistre une prévalence forte, de l'ordre de 70,83%. Dans le centre-ville, beaucoup d'enfants sont infectés, à cause de la non-disponibilité en eau potable.

Là-bas, on défèque toujours à l'air libre. Batié est suivi de Tenkodogo (Centre-Est), 45,83% et de Dano (Sud-Ouest), 33,33%. Pour les cas de Bâtié et Dano, comme les prévalences sont fortes, pour la présente campagne, on a traité les adultes. Parce qu'on avait un stock en réserve sur nos TDM de 2023 qui nous permettaient de prendre en charge les adultes.

S : Le gouvernement s'est fixé pour objectif d'éliminer cette maladie d'ici 2030. Le Burkina pourra-t-il être au rendez-vous et quelles sont les actions prioritaires à mener pour y parvenir ?

J.T. : Le traitement de masse est la stratégie majeure recommandée par l'OMS, pour parvenir à éliminer la schistosomiase. Mais, au regard des facteurs favorisants, ce n'est pas suffisant. Il peut permettre de contrôler la maladie, mais parvenir à l'élimination, ce n'est pas évident. Pour qu'on soit au rendez-vous de 2030, il faut des actions concertées, en renforçant la collaboration avec les autres secteurs ministériels qui traitent des questions d'eau et d'assainissement.

Il y a une autre stratégie qui consiste à lutter contre les mollusques. Ce sont elles qui servent d'intermédiaires pour que les germes se développent. Donc, la lutte contre les mollusques peut aider à rompre la chaîne de transmission. Mais cette stratégie est très coûteuse et les partenaires ne sont pas vraiment prêts à injecter de l'argent. Sinon l'idéal serait qu'on puisse lutter contre les mollusques.

S'il n'y a plus d'intermédiaire, le germe ne pourra plus atteindre sa phase de maturation pour acquérir un pouvoir d'infection. La lutte contre la schistosomiase nécessite des moyens. Il faut mobiliser des ressources endogènes pour accompagner cette lutte, parce que les partenaires sont en train de se retirer. Si on ne met pas la main dans la poche, on risque de retourner à la case départ.

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