Afrique de l'Est: Indianocéanie, vieille idée d'avenir

La désignation d'Edgard Razafindravahy comme prochain Secrétaire Général de la COI (Commission de l'Océan Indien) offre prétexte à (re)parler d'un joli concept : l'Indianocéanie.

C'est en 1960, à Antananarivo, à l'occasion d'un colloque d'historiens, que l'écrivain mauricien Camille de Rauville (1910-1986) forgea le néologisme « indianocéanisme ». Cette idée d'Indianocéanie sera exhumée et portée par la COI, dont l'acte de naissance, l'Accord général de coopération dit « Accord de Victoria », a été signé aux Seychelles, le 10 janvier 1984. Si les « Frères » avaient depuis 1977 les Journées Maçonniques de l'Océan Indien, la géographie indianocéanienne a été reprise par les clubs de service (district 9220 du Rotary international) et district 417 du Lions international) ainsi que par les hommes d'affaires (Cap Business Océan Indien).

L'Indianocéanie est plutôt géographique («seule organisation régionale composée exclusivement d'îles»). Mais, elle pourrait également être culturelle puisque un « axe stratégique 4 » évoque « l'Indianocéanie, son identité sa promotion ».

Un éditorial dans le Rapport 2016 de la COI commence par ces mots : «Les géographes nous ont oubliés. L'absence de toponyme pour désigner notre région des îles du Sud-Ouest de l'Océan Indien est, en quelque sorte, l'expression d'une négation : nos îles, jetées au large de l'Afrique orientale, ne formeraient pas un tout cohérent, à l'inverse des Caraïbes, de la Polynésie, de la Micronésie ou encore de la Macaronésie. Heureusement, il y a le poète».

%

Le poète qui chante des «terres reliées depuis un, deux ou trois siècles, en un archipel où les diversités ne contrecarrent point les convergences». Et l'éditorialiste de prendre le relais : « Oui, l'Indianocéanie a une identité qui lui est propre. Nous ne le savions peut-être pas assez pour oser le dire au monde. C'est pourquoi la COI, soucieuse d'insuffler une âme à la coopération régionale, et de faire valoir la singularité et la proximité de ses pays membres, a organisé un premier colloque sur «l'Indianocéanie, socle et tremplin de notre avenir », en juin 2013.

L'Alors Secrétaire Général de la COI, Jean-Claude de l'Estrac, voulait « faire savoir ce qui précisément nous unit, et définir la plus-value qu'elle nous donne pour peser sur les affaires du vaste monde ». Ce colloque de 2013 s'est donné comme objectif de « définir l'Indianocéanie » : « ce mot dit ce que nous sommes», «mot porteur d'une aspiration légitime à exister ». Ainsi, conclut notre éditorialiste, « apparaîtra-t-il dans le dictionnaire... et sur les cartes des géographes ».

Avant de parler de visibilité, face à l'Afrique voisine et le reste du monde, l'élément de langage identité-singularité doit être approprié, par les intéressés eux-mêmes. Ainsi, fumes-nous sommés par un autre colloque, de Université de La Réunion, en octobre 2018 : « Définis-moi l'Indianocéanie ». Sauf que, quarante ans après, combien d'Indianocéaniens savent que la COI défend les spécificités de ses États membres sur les scènes continentale et internationale, et qu'elle milite pour un « traitement différencié» et la « juste prise en compte des intérêts spécifiques » de nous autres États insulaires en développement.

En 2013, il avait également été question d'une plus-value des ressources patrimoniales au profit du tourisme régional : selon le Pr. Jean-Michel Jauze, géographe, à l'époque doyen de l'UFR Lettres et Sciences Humaines, à l'Université de La Réunion, « le patrimoine commun, une fois reconnu et approprié, peut devenir un puissant ferment unificateur (...) le tourisme, en tant qu'activité culturelle, mais aussi au travers de son rôle de révélateur, peut participer à cet exercice d'appropriation interne ».

Nous sommes encore cet archipel sans marine de cabotage inter-îles. L'alliance Vanille des transporteurs aériens est encore traumatisée par l'image catastrophique de la collaboration entre Air Austral et Air Madagascar. Mais, la configuration géographique, une immense zone océanique (5,5 millions de km2 de zone économique exclusive, pour 590.000 km2 et des confettis de terres émergées), pose également la question de l'autonomie alimentaire d'un archipel qui se nourrit à 90% de produits d'importation lointaine. Il faut voir un défi, presque une gageure, dans cette promesse que les autres îles nous ont confiée : « Madagascar, grenier de l'Indianocéanie ».

Le vrai « poumon » de la terre est la mer. La moitié de notre oxygène provient du phytoplancton, le plus grand piège à gaz carbonique du monde. Protéger la mer, c'est protéger l'humanité. Pourtant. Pollution par les hydrocarbures, pollution par le plastique, pollution chimique, destruction par la surpêche qui empêche le renouvellement naturel des espèces... La mer est peut-être notre eau territoriale ou notre ZEE (zone économique exclusive), mais faute de moyens hauturiers pour des États côtiers qui ont « tourné le dos à la mer », notre enfer, c'est les autres qui y sévissent impunément.

Nous autres îles de l'Océan Indien n'avons pas (encore) de charbon, de gaz ou de pétrole. Mais, nous sommes entourées par la mer d'où pourraient surgir des marées hors normes et sur laquelle se forment des cyclones plus nombreux et plus forts. Nous savons qu'un relèvement d'un seul mètre du niveau de la mer inonderait le Barachois de Saint-Denis, le Caudan Watefront de Port-Louis, et avalerait les plages de sable fin de Sainte-Marie ou Nosy-Be. Image très « physique » du réchauffement climatique en Indianocéanie.

AllAfrica publie environ 500 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.