Sénégal: Une redécouverte inespérée au pays - Le retour du pangolin géant

analyse

Mars 2023, le thermomètre atteint déjà 40°C dans le Sénégal oriental. Les pluies apportant la fraîcheur n'arriveront pas encore avant une centaine de jours. Peu importe !

Pour l'équipe de terrain mixte de l'ONG Panthera - dévouée à la conservation des félins dans le monde - et de la Direction des parcs nationaux du Sénégal (DPN), dirigée par Mouhamadou Ndiaye, le travail bat son plein. A pied, ils sillonnent le Parc national du Niokolo-Koba, avec pour mission de recenser les populations de grands carnivores et grands herbivores.

En décembre 2023, de manière inattendue, une découverte a été faite au coeur du parc. Le pangolin géant (Smutsia gigantea), une espèce que l'on croyait totalement éteinte a été photographiée pour la première fois depuis 1967, suscitant une immense joie et un regain d'espoir pour sa conservation.

En tant que chercheuse, j'offre ici l'opportunité de mettre en lumière les efforts de conservation déployés par mes collègues pour protéger cette espèce précieuse.

Histoire du pangolin géant

Le Parc national du Niokolo-Koba est l'un des plus grands parcs terrestres d'Afrique de l'Ouest. Il se situe dans l'est du Sénégal, sur la route entre Tambacounda et Kédougou, et couvre plus de 9130 km2 d'écosystèmes divers. Des savanes arborées à la forêt guinéenne, tous ces milieux sont autant d'habitats propices aux dernières populations de léopards, de lions et de lycaons de la région. La DPN est chargée de sa gestion, avec le soutien de l'ONG Panthera qui lui vient en appui, notamment pour le suivi de ces espèces clés.

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La tâche est rude et pour la mener à bien, Mouhamadou Ndiaye et son équipe ont déployé plus de 200 appareils photographiques. Ces dispositifs fonctionnent comme des biologistes de terrain, mais travaillent 24h/24, 7jours/7, sous de fortes températures ou pluies, pour détecter la faune sauvage qui les entoure.

A chaque passage d'un animal devant le boîtier, clic ! L'appareil se déclenche et l'image est automatiquement sauvegardée. Les chercheurs sont généralement très enthousiastes lorsque vient l'heure de récupérer les appareils, impatients de découvrir quelles espèces et comportements incroyables ont été photographiés. De réels trésors se cachent parfois au coeur de ces parcs.

Les pangolins en général - et le pangolin géant ne fait pas exception - sont de plus en plus rares. Ils sont menacés, en Afrique comme en Asie. Chassés illégalement pour leur viande ou pour leurs écailles qui sont utilisées dans la médecine traditionnelle, notamment asiatique. Leurs populations sont en chute libre. Le pangolin géant, malgré sa vaste distribution qui s'étend du Sénégal à l'ouest du Kenya, est considéré comme "en danger" sur la Liste rouge des espèces menacées d'extinction, publiée par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et ses populations enregistrent de fortes baisses à travers toute son aire de répartition.

Il est difficile de connaître les causes historiques du déclin de la population de pangolins géants au Sénégal. Aucune étude n'a eu lieu sur le sujet à l'époque, mais le braconnage, la perte et la fragmentation de l'habitat ont certainement joué un rôle important.

Efforts de conservation

Et justement, en ce 28 décembre 2023, alors que Mouhamadou Ndiaye insère la carte SD d'un des appareils photographiques dans son ordinateur, s'attendant à obtenir une image de phacochère, ou peut-être celle d'un léopard ou d'un lion, c'est un animal de grande taille qu'il aperçoit, mais ni tacheté ni poilu : il porte des écailles, sa queue est longue et épaisse, son museau fin et allongé. "C'est un pangolin géant !" s'écrit alors le jeune sénégalais employé depuis 2022 par Panthera pour mener les suivis de la faune dans le parc, en partenariat avec la DPN.

Le pangolin géant (Smutsia gigantea) est la plus grande espèce de pangolin au monde et l'unique présente au Sénégal. Avec une masse corporelle de 30 kg et une longueur pouvant aller de 1,40 à 1,80 m, il ressemble à un animal préhistorique avec son corps couvert d'écailles kératineuses. Malgré sa taille, le pangolin géant est un insectivore qui se nourrit uniquement de termites et de fourmis grâce à sa longue langue gluante. Nocturne et timide, on ne le rencontre que rarement.

L'espèce n'avait d'ailleurs pas été enregistrée au Sénégal depuis 1999, et aucune preuve photographique n'avait été obtenue depuis 1967 ! Les chercheurs la pensaient éteinte localement car cinq autres suivis de grande ampleur conduits dans le parc entre 2019 et 2022 n'avaient pas permis de détecter l'espèce.

La croissance des populations humaines entraîne une demande toujours plus importante pour les produits issus de la faune sauvage, mais entre cette surexploitation et la perte de leur habitat, les populations de pangolins ont bien du mal à se maintenir. Malgré leur exploitation, les pangolins géants sont protégés au Sénégal et leur chasse et leur utilisation sont formellement interdites.

Une redécouverte qui suscite de l'espoir

La redécouverte de l'espèce au Sénégal est donc une très bonne nouvelle et une source de fierté pour les Sénégalais de toujours abriter l'espèce au sein de leur plus grand parc national terrestre. La redécouverte a fait l'objet d'une publication scientifique menée par Mouhamadou Ndiaye, dans la revue African Journal of Ecology.

L'impact de cette découverte est pluriel puisqu'il peut y avoir à la fois des répercussions profondes et positives sur la conservation de l'espèce, la science, l'économie, la société, et les politiques de conservation.

D'un point de vue scientifique et écologique, la redécouverte enrichit notre compréhension de la biodiversité du parc. Elle ouvre de nouvelles opportunités pour la recherche scientifique, y compris l'étude de l'écologie, du comportement et de la génétique de l'espèce par exemple, mais elle permet aussi de galvaniser des efforts de conservation.

D'un point de vue économique, il peut y avoir plus de subventions et de fonds attribués au parc pour protéger cette espèce. Côté législation, l'impact peut être fort car cette redécouverte pourrait mener à la promulgation de lois ou de règlements visant à protéger l'espèce redécouverte et son habitat.

Enfin, d'un point de vue social et culturel, la redécouverte peut renforcer la fierté et l'intérêt des communautés locales pour la conservation de leur environnement naturel.

D'autres espèces détectées

En plus du pangolin géant, le suivi avec les appareils photographiques a permis de détecter 44 autres espèces de faune sauvage, dont les rares lions d'Afrique de l'Ouest, en danger critique d'extinction et dont la population se reconstitue peu à peu dans le parc grâce aux efforts conjoints de Panthera et de la DPN. Ces résultats démontrent une fois encore l'importance fondamentale des grandes aires protégées en Afrique de l'Ouest. Le Parc national du Niokolo-Koba préserve la plus vaste zone d'habitats favorables au pangolin géant dans la limite nord-ouest de son aire de distribution.

C'est aussi le dernier ou l'un des rares refuges pour de nombreuses espèces emblématiques en Afrique de l'Ouest, comme les lycaons, les chimpanzés, les élands de Derby. Sans les inventaires systématiques de la faune sauvage comme celui conduit par les équipes de Panthera et de la DPN dans le parc en 2023, le pangolin géant serait passé inaperçu. À présent, nous pouvons mettre en place une protection spécifique et un suivi dédié à cette espèce rare et emblématique.

Les mesures prévues pour assurer la protection continue des pangolins sont les mêmes que pour le reste de la faune sauvage du parc, à savoir, une protection plus forte avec des patrouilles anti-braconnage plus nombreuses, plus fréquentes et mieux équipées.

Le braconnage est un problème pour le parc et c'est à cause de lui que de nombreuses espèces ont fortement décliné jusque dans les années 2010, quand le partenariat entre la DPN et Panthera a pu débuter. Les moyens financiers et humains pour protéger le parc, s'ils ont récemment augmenté, restent encore insuffisants.

Le Parc national du Niokolo Koba est d'ailleurs inscrit sur la liste du patrimoine mondial en péril depuis 2007.

Marine Drouilly, Researcher, conservation and wildlife ecology , University of Cape Town

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