Ile Maurice: Élection sous haute tension

C'est du jamais-vu, dit-on. Premièrement, c'est le fils du lea- der de l'opposition et membre de l'opposition -Xavier-Luc Duval - d'il y a trois mois (il a démissionné de son poste en avril) qui a été choisi comme speaker par le gouvernement en remplacement de Sooroojdev Phokeer - qui a soumis sa démission mardi pour des «raisons de santé».

Deuxièmement, le speaker fraîchement nommé, Adrien Duval, fait l'objet de poursuites au criminel pour avoir causé un accident à Ébène le 21 septembre 2022. Il est accusé de coups et blessures involontaires infligés par imprudence, de conduite en état d'ivresse, de refus de se soumettre à un alcootest et de refus de fournir un échantillon de sang ou d'urine pour analyse.

Troisièmement, et c'est peut-être le plus grave et qui a été dénoncé avec force hier par l'opposition, il s'agit du fait que, contre toute attente, ce n'est pas Zahid Nazurally, Deputy Speaker, qui a présidé à l'élection du nouveau speaker, mais la clerk de l'Assemblée nationale.

Selon Paul Bérenger, qui a pris la parole après cette nomination hautement tendue, c'est une violation de l'article 50 de la Constitution. Pour lui et d'autres membres de l'opposition, la clerk de l'Assemblée de même que le leader of the House sont complices de cette violation. On a pu voir, pendant la première tentative de discours d'Adrien Duval juste après sa nomination, les membres de l'opposition en train de convaincre Zahid Nazurally d'entrer dans l'Hémicycle qu'il venait de quitter pour n'avoir pas pu exercer son «droit». On a pu entendre Zahid Nazurally expliquer qu'il ne pouvait rien faire d'autre.

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À l'intérieur de l'Hémicycle, le premier choc a été la confirmation de la bouche du Premier ministre de proposer le nom d'Adrien Duval comme speaker. La deuxième surprise : on a eu droit à un discours très élogieux de Pravind Jugnauth à son égard. On se rappelle qu'il y a quelques mois, ce même Pravind Jugnauth disait tout le mal qu'il pensait d'Adrien Duval et de son accident, et de la réplique de Xavier-Luc Duval, qui lui avait dit qu'il pouvait, lui aussi, parler des filles et de la femme du Premier ministre.

Mais c'est quand le nouveau speaker a pris la parole que les choses se sont envenimées. Les membres de l'opposition qui ont pu accéder à l'Hémicycle se sont mis à lancer des piques à l'encontre d'Adrien Duval ainsi qu'aux deux membres du Parti mauricien social-démocrate (PMSD), soit à Xavier-Luc Duval et Patrice Armance. Concernant ces deux derniers, l'opposition n'a pas accepté qu'ils continuent à siéger dans l'opposition alors que c'est Adrien Duval qui a été choisi par la majorité pour être speaker. Les piques lancées contre Adrien Duval ont clairement été entendues par moments. On a ainsi pu entendre «ilegal», «soular», «vander»,«laont», ou encore «al get Gooljaury to fer bien».

Face à ces cris qui couvraient la voix d'Adrien Duval, ce dernier a consulté la clerk de l'Assemblée nationale, pour ensuite prendre la décision d'abandonner son discours. Il a alors soutenu qu'il continuerait son allocution plus tard, avant de sus- pendre la séance. Il est ultérieurement revenu pour reprendre son discours dans lequel il a notamment remercié le Premier ministre pour les mots gentils qu'il lui a adressés. Il faut dire que les membres de l'opposition étaient alors à l'extérieur de l'Assemblée nationale, animant un point de presse.

Il n'y a pas eu la Private Notice Question (PNQ) d'Arvin Boolell à l'attention de Stephan Toussaint sur le complexe sportif de Côte-d'Or hier. Le Parlement a été ajourné à 16 h 55 alors qu'il avait débuté vers 16 h 09. Il faut aussi faire ressortir que pendant tout le temps des brouhahas au Parlement, Xavier-Luc Duval et Patrice Armance sont restés silencieux sur les bancs de l'opposition, dont ils étaient les deux seuls occupants.

Pendant le point de presse, Arvin Boolell a qualifié la séance d'illégale et a soutenu qu'un deal politique a été fait dans le dos de l'ancien speaker malade. Il a souligné que Zahid Nazurally se sent perdu. D'ajouter ne pas connaître le sort politique de ce dernier, mais qu'il a leur soutien. Khushal Lobine a, lui, parlé d'un jour triste pour la démocratie et a indiqué qu'il est indécent pour le PMSD d'être sur le banc de l'opposition aujourd'hui.

Shakeel Mohamed, avec sa verve habituelle, a fait ressortir la façon dont Salim Abbas Mamode, ancien membre des Bleus et désormais membre du gouvernement, «pe tap la tab» à l'annonce du nom d'Adrien Duval. À savoir que l'opposition a fait ressortir qu'elle pourra se tourner vers le judiciaire pour la violation de la section 50 de la Constitution. Le dossier sera étudié en ce sens.

Rajen Narsinghen : «Le PM aurait dû laisser le 'Deputy Speaker' présider les travaux»

Rajen Narsinghen, ancien Senior Lecturer en droit constitutionnel de l'université de Maurice, est d'avis que l'élection d'Adrien Duval au poste de speaker est une question constitutionnelle cruciale concernant la présidence des travaux parlementaires en l'absence du speaker. Selon lui, la section 50 de la Constitution est claire : c'est au Deputy Speaker qu'il incombe de présider les travaux dans une telle situation. «Le Premier ministre aurait dû laisser le Deputy Speaker présider les travaux et il aurait été plus correct que ce dernier propose le nom du nouveau speaker», souligne-t-il.

Cette interprétation soulève un intérêt légal et constitutionnel pour l'opposition. Néanmoins, Rajen Narsinghen exprime des réserves quant à la pertinence de porter cette affaire devant la Cour suprême, compte tenu de la lenteur proverbiale du système judiciaire et des tactiques dilatoires que pourraient utiliser les avocats pour retarder l'affaire. «Est-ce que cela vaut la peine avec la lenteur légendaire de la justice et les avocats qui vont employer des delaying tactics pour retarder l'affaire ?», se demande-t-il. Cependant, Rajen Narsinghen concède que l'opposition ne peut rester les bras croisés face à ce qu'il considère comme une flagrante violation de la Constitution.

Milan Meetarbhan : «Est-ce Zahid Nazurally aurait dû présider la séance ?»

Le constitutionnaliste Milan Meetarbhan se demande si en droit la démission du speaker ne prend effet qu'à la nomination d'un nouveau speaker et si, par conséquent, en l'absence du speaker titulaire, c'est le Deputy Speaker qui assume la présidence. «Donc, si la réponse est oui, est-ce que le Deputy Speaker aurait dû présider la séance d'aujourd'hui (NdlR, d'hier) ?», s'interroge-t-il.

Deuxième question pour Milan Meetarbhan : même si le Deputy Speaker ne pouvait pas occuper d'office la présidence en l'absence d'un speaker, est-ce que, politiquement et par fidélité à son allié, le gouvernement aurait pu permettre au Deputy Speaker d'assumer la présidence pendant les quelques minutes nécessaires pour élire un nouveau speaker ou est-ce que cela ne pouvait se faire parce que, légalement, ce n'était pas possible ?

Tania Diolle contre Adrien Duval ?

À noter l'absence de Tania Diolle hier au Parlement. Selon nos informations, la «Parliamentary Private Secretary» (PPS) serait souffrante. Mais on ne sait pas si elle était si malade que cela pour faire faux bond à ce rendez-vous de la plus haute importance. Il se chuchote dans son entourage que Tania Diolle n'est pas enchantée par l'évolution des choses dernièrement.

«Si Adrien Duval devient speaker», nous dit-on, «le papa n'est pas loin derrière et pourrait exiger et obtenir le ticket de la PPS au no 18. Si le Mouvement socialiste militant (MSM) n'a eu aucun état d'âme pour se séparer du loyal Phokeer, pourquoi n'en ferait-il pas autant pour Tania ?» Sauf que dans le cas de Tania Diolle, celle-ci pourrait donner du fil à tordre au MSM dans la circonscription qu'elle a labourée durant cinq ans.

Trois députés suspendus interdits d'accès...

Le flou persiste concernant l'opposition qui est restée hors de l'Hémicycle au début de la séance d'hier. Selon un témoin de l'incident, l'opposition a voulu faire entrer les membres suspendus à l'intérieur du Parlement car elle jugeait que la suspension ne tenait plus puisqu'il y a eu changement de speaker. Et certains membres n'ont pas compris pourquoi et en vertu de quelle autorité la police avait interdit l'accès aux membres suspendus. Les autres membres de l'opposition seraient alors restés dehors en solidarité avec les membres suspendus.

Linion Moris se dit intrigué par la démission de Phokeer

Dans un communiqué, Linion Moris mentionne des questions intrigantes autour de la prétendue démission de Sooroojdev Phokeer, notamment la préparation anticipée de sa lettre de démission, sa réaction publique démentant sa démission malgré la circulation d'une lettre de l'Assemblée et le nom d'Adrien Duval rapidement cité. Avant de donner leur soutien à Zahid Nazurally, Linion Moris demande à Xavier-Luc Duval, entre autres, s'il a oublié ses PNQ à l'encontre du gouvernement.

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