La Société Nationale des Hydrocarbures (SNH) du Cameroun est au cœur d'une crise sans précédent qui secoue les plus hautes sphères du pouvoir. Adolphe Moudiki, figure emblématique de l'entreprise publique qu'il dirige depuis plus de trois décennies, se trouve dans une situation de confrontation directe avec Ferdinand Ngoh Ngoh, Secrétaire Général de la Présidence de la République, surnommé "l'Archiduc de Nyom".
Cette lutte de pouvoir met en lumière les tensions internes qui agitent l'establishment politique et économique camerounais, dans un contexte où la succession du président Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, devient un sujet de plus en plus pressant.
Le conflit a éclaté lorsque Moudiki, qui occupe le poste de Directeur Général de la SNH depuis 33 ans, a catégoriquement refusé de quitter ses fonctions. Dans un geste de défi, il aurait même exigé que le président Biya vienne en personne le démettre de ses fonctions. Cette attitude a provoqué une réaction immédiate de Ferdinand Ngoh Ngoh, considéré comme l'un des hommes forts du régime.
En réponse à ce qu'il perçoit comme un affront à l'autorité de l'État, Ngoh Ngoh a convoqué un conseil d'administration extraordinaire prévu pour le mercredi 24 juillet 2024 à la présidence de la République. L'objectif apparent de cette réunion est de mettre fin au mandat de Moudiki à la tête de la SNH, une décision qui promet d'être lourde de conséquences pour l'avenir de l'entreprise et, potentiellement, pour l'équilibre du pouvoir au Cameroun.
Il est important de noter que ce n'est pas la première tentative de déloger Moudiki de son poste. Un précédent conseil d'administration avait été programmé la semaine précédente, mais Moudiki avait réussi à le contrecarrer en faisant fermer les portes de la SNH, empêchant ainsi la tenue de la réunion. Ce geste audacieux a exacerbé les tensions et poussé ses opposants à prendre des mesures plus radicales.
La SNH joue un rôle crucial dans l'économie camerounaise en tant que gestionnaire des ressources pétrolières et gazières du pays. Son importance stratégique en fait un enjeu majeur dans les luttes de pouvoir au sein de l'élite dirigeante. Le contrôle de cette entreprise est synonyme d'influence considérable sur les finances de l'État et sur la politique énergétique nationale.
La longévité exceptionnelle de Moudiki à la tête de la SNH témoigne de sa capacité à naviguer dans les eaux troubles de la politique camerounaise. Pendant plus de trois décennies, il a su maintenir la confiance du président Biya tout en gérant l'une des institutions les plus stratégiques du pays. Cependant, cette stabilité apparente semble aujourd'hui remise en question par des forces qui cherchent à renouveler les cadres du pouvoir.
La convocation du conseil d'administration à la présidence de la République, plutôt qu'au siège de la SNH, est un signal fort. Elle indique une volonté de contourner les obstacles que Moudiki pourrait dresser, tout en affirmant l'autorité suprême de la présidence sur les affaires de l'entreprise publique. Cette stratégie vise clairement à isoler Moudiki et à lui ôter toute possibilité de résistance.
L'issue de cette crise aura des implications significatives non seulement pour la SNH, mais aussi pour l'ensemble de la scène politique camerounaise. Elle pourrait marquer le début d'une période de changements dans la gestion des entreprises publiques et, plus largement, dans la répartition du pouvoir au sein de l'appareil d'État.
Plusieurs questions se posent : Moudiki parviendra-t-il à déjouer cette nouvelle tentative de l'évincer ? Quel sera l'impact de cette lutte interne sur le fonctionnement de la SNH et sur le secteur pétrolier camerounais ? Comment le président Biya, figure tutélaire du régime, se positionnera-t-il dans ce conflit qui oppose deux de ses plus proches collaborateurs ?
La communauté internationale et les partenaires économiques du Cameroun observent attentivement ces développements. La stabilité du pays et sa crédibilité en tant que destination d'investissement dans le secteur énergétique pourraient être affectées par l'issue de cette crise.
En définitive, cet épisode tumultueux à la SNH révèle les fissures qui apparaissent dans un système de gouvernance longtemps caractérisé par sa stabilité. Il met en lumière les défis de la transition qui s'annonce au sommet de l'État camerounais, alors que les acteurs en place cherchent à consolider ou à redéfinir leurs positions dans la perspective d'un changement d'ère.
La résolution de cette crise sera un test crucial pour les institutions camerounaises et pour la capacité du régime à gérer les tensions internes sans compromettre la stabilité du pays. L'avenir proche dira si cette confrontation débouchera sur un renouvellement des élites ou sur un renforcement du statu quo, avec des conséquences potentiellement profondes pour l'avenir politique et économique du Cameroun.