Me Gora Lo est juriste de formation, spécialiste du droit de l'énergie et de la régulation sectorielle des infrastructures de réseaux. Notaire inscrit à la Chambre des notaires du Québec, il rentre au Sénégal en 2015 pour occuper le poste de directeur des Affaires juridiques de Senelec jusqu'en 2020, après avoir occupé d'importantes fonctions dans le privé et dans les gouvernements du Sénégal et du Québec. Aujourd'hui, Me Gora Lo évolue dans le management de l'amont pétrolier et gazier en tant que Coordonnateur général du Secrétariat technique du Comité national de suivi du contenu local (ST-CNSCL), dans le secteur des hydrocarbures.
« Aussi devons-nous convenir que le droit de l'énergie est une réalité au Sénégal qui mérite d'être consolidé et codifié en un seul code aux fins d'en faire une discipline propre, qui sera étudiée dans les universités sénégalaises et africaines ». C'est sur cette promesse que se referme L'abécédaire du droit de l'énergie au Sénégal (2024).
Mais l'Abécédaire du droit de l'énergie au Sénégal n'est pas près de se refermer vraiment. Impossible, dès les premières lettres, de se dérober face à l'évidence de l'enjeu énergétique dont est tributaire le développement. Mais savons-nous seulement ce qu'est l'énergie ? Rien n'est moins sûr et c'est ce que l'auteur nous rappelle dès les premières pages, pour, au demeurant, mettre en garde contre la tentation facile d'enfermer l'énergie dans les plateformes au large de nos eaux où le first-oil vient de jaillir. L'intérêt est plus général et se veut pédagogique.
Si l'énergie est un instrument de satisfaction des besoins de tous ordres, la problématique essentielle est de savoir comment ces besoins peuvent être satisfaits à suffisance et au moindre coût pour les individus et les collectivités. Cette approche qui inspire la politique énergétique du Sénégal, constitue le fondement analytique de l'ouvrage de Me Gora Lo.
« L'encadrement juridique de l'énergie comme système est devenu indispensable si l'on sait que toutes les énergies ne font pas l'objet d'encadrement » (P. 28). On parle-là, d'un cadre légal et règlementaire conforme à la vision stratégique de la politique énergétique. Dès lors, on le voit alors venir en annonçant la couleur : le droit de l'énergie !
Tout un monde ! Entre droit administratif, droit des obligations civiles et commerciales, droit de l'urbanisme, droit bancaire, droit de l'environnement, droit public, droit privé, droit économique et des affaires... Bref, c'est « l'ensemble des règles relatives à l'exploitation, la production, l'importation, la transformation, le transport, la distribution et l'utilisation des différentes sources d'énergie », selon la définition citée de Laeticia Grammatico (P. 30). L'auteur, lui, fait plus simple et donne une définition plus appropriée à la vision du Sénégal en pointant « l'ensemble des règles juridiques encadrant l'usage de l'énergie pour en garantir l'accès » (P. 30).
Partie 1 Les orientations d'une politique
2012, année de référence, marque le début de la « révolution » à travers une nouvelle politique énergétique qui dresse une feuille de route pour « résoudre définitivement la question vitale de l'énergie ». L'expérience n'a de sens que les leçons qu'on en tire et la période précédant 2012 avait fini de charrier son lot de crises énergétiques, « plongeant le pays dans le noir et conduisant la population à des contestations débouchant sur les émeutes de l'électricité » (P. 33).
Sous l'impulsion du Plan Sénégal Emergent (PSE), les orientations de la Lettre de politique de développement du secteur de l'Energie (LPDSE) 2012-2018, sont articulées autour de cinq axes majeurs : mettre en place des stratégies communes aux différents sous-secteurs de l'énergie (Section 1) ; s'assurer de la maîtrise et l'efficacité énergétique (Section 2) ; promouvoir le développement des énergies renouvelables (Section 3) ; assurer une production suffisante d'énergie à moindre coût (Section 4) et permettre l'accès des tiers aux réseaux (Section 5).
Nouveau contexte, nouvelle vision, nouvelles orientations. Ces orientations se sont enrichies par la suite et adaptées au nouveau contexte de découvertes de ressources pétrolière et gazière dont la prise en compte a été matérialisée par l'adoption d'une nouvelle Lettre de politique de développement du secteur de l'énergie (LPDSE) 2019-2023 ; parmi les axes stratégiques de cette nouvelle feuille de route, la mise en place d'un cadre légal et contractuel adapté et attractif.
C'est là que le droit de l'énergie trouve tout son sens à mesure que l'auteur nous promène dans les méandres de thèmes aussi divers que problématiques, comme la transition énergétique, le Contenu local dans le secteur des hydrocarbures, les Contrats de recherche et de partage de production (CRPP), la régulation du secteur de l'énergie, le développement des énergies renouvelables, la stratégie Gas to power, l'accès des tiers au réseau électrique marquant la fin du monopole de gestion du réseau.
Partie 2 Acteurs et institutions
De la politique énergétique à ses instruments, une bonne politique énergétique ne peut cependant se concevoir sans disposer d'instruments pour conduire les orientations définies, à travers les missions de service public. Gora s'empare de la question pour souligner tout d'abord qu'avec la multiplicité des acteurs, « chaque entité suit son propre processus de planification et aucune ne dispose d'une vision intégrée couvrant l'ensemble du secteur » (P. 68). Pointant le Plan intégré à moindre coût, il s'agit selon lui de rationnaliser les différentes études stratégiques sous un leadership renforcé et intégré au sein du ministère en charge de l'énergie.
Le plan (PIMC) en question défini sur vingt (20) ans et dont il prend le soin de décliner les différentes composantes, devrait, selon Gora, « constituer la référence pour les nouvelles capacités de production, de transport, de distribution-vente et les actions de maîtrise de l'énergie », entre autres.
Mais c'est pour mieux passer en revue l'ensemble des acteurs de la politique énergétique, qu'il classe en trois catégories : institutionnels, opérationnels et les consommateurs.
La présentation générale du cadre institutionnel du secteur énergétique nous permet de faire connaissance avec le ministère de l'Energie et des hydrocarbures, la Commission de régulation de l'Energie (CRSE), l'Agence pour l'Economie et la maîtrise de l'énergie (AEME), l'Agence nationale des énergies renouvelables (ANER), le Réseau gazier (RGS), Senelec (P. 69 à 82), entre autres. Mais dans la politique énergétique, c'est sans doute celle du Contenu local dans le secteur des hydrocarbures qui retient l'attention.
C'est n'est d'ailleurs pas un hasard si cette problématique du contenu local et posée sur quatorze (14) pages (P. 83 à 109), témoignant de l'importance de la question. Tellement important qu'il a fait l'objet d'une loi (n° 2019-04 du 1er février 2019). Les dispositions de cette loi viennent matérialiser, particulièrement, l'ambition des autorités de tirer le maximum de profits de l'exploitation de la ressource pétrolière pour l'économie sénégalaise. Sa mise en place vise à « élaborer une stratégie efficace permettant de renforcer la participation du secteur privé national sur toute la chaîne de valeur pétrolière et gazière aux fins d'accroître la valeur ajoutée dans l'économie nationale ». (P. 83).
Partie 3 Un postulat approprié
Dans sa démarche, le livre commence par introduire pertinemment un sujet qui est l'élément central de tout développement, mais pourtant encore méconnue dans son acception, l'énergie, qui recouvre des réalités nombreuses et diverses. Dans le but d'en simplifier la lecture, la démarche pédagogique qui accompagne tout au long le contenu, fait oublier le caractère complexe du concept de l'énergie dont les formes sont multiples.
Sous cet angle, le livre de Gora, tel que promis dans le titre, nous met dans la main les différents instruments que sont, entre autres, le droit de la concurrence et celui de la régulation qui est au coeur du dispositif normatif et institutionnel, à la disposition de l'Etat et des acteurs, pour la gestion globale du secteur.
Dans la trame du livre, Gora nous fait comprendre au fur et à mesure que « Dès que le progrès technique rend l'appropriation possible, les enjeux économiques se mobilisent et le droit fait le reste » (Ost, 1993, p. 18). En d'autres termes, puisque l'énergie peut subir un cycle de transformations plus ou moins long et faire l'objet d'usages variés, c'est un bien qui fait l'objet d'une règlementation particulière. D'où le concept « droit de l'énergie »
Un postulat d'autant plus approprié que le Sénégal arrive à un tournant de son histoire économique qui coïncide avec l'opportunité majeure d'opérer une transformation structurelle de son économie, à travers la consolidation d'un écosystème énergétique bien pensé mais surtout bien implantée.
Chercheurs, universitaires, acteurs professionnels et même la presse qui se saisit souvent de la question énergétique sans forcément en comprendre les arcanes, trouvent dans ce livre, un grenier nourricier.