Congo-Kinshasa: « Comment survivre entre la corruption et le détournement des deniers publics au pays ? »

analyse

On a l'impression, au cours de 3 dernières législatures, que la RDC a battu considérablement record, se classant parmi les pays célèbres en corruption et en détournement des deniers publics. Le cycle récurrent de ces deux antivaleurs semble intimement illimité en RDC : on corrompt pour détourner, et on détourne pour corrompre. L'expérience vécue aux récentes élections de décembre 2023 suffirait pour expliquer ce que j'appelle « la théorie du cycle infernal de la corruption et du détournement ».

TENEZ:

Plusieurs anciens ministres, mandataires, gouverneurs, maires des villes, bourgmestres, Hauts fonctionnaires publics,... tous candidats aux élections, auraient indûment accumulé et stocké des réserves financières pour couvrir les dépenses de campagne électorale prévue en Novembre 2023. Curieusement, le mouvement médiatisé de stigmatisation des jeunes congolais, décidés à ne voter que les jeunes de moins de 45 ans aux législatives nationales et provinciales, aurait provoqué la peur et rendu tous les précités politiciens caciques manifestement véreux, les poussant à réorienter leur fortune à la corruption des agents électoraux et à l'achat des machines à voter, un complot électoral inédit, espérant tous obtenir gain de cause. Bien qu'ils aient été très nombreux à frauder, la CENI n'en retiendra que 82 dont les coupes de la corruption et de la criminalité électorale auraient débordé de façon impardonnable.

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Les voilà aujourd'hui, proclamés vainqueurs par décision irrévocable de la Cour Constitutionnelle, revenir sans vergogne, à la gestion des institutions politiques et publiques, déterminés une fois de plus, pour la plupart, de briller dans les spectacles des détournements subséquents pour espérer corrompre en 2028. Ainsi est faite la vie publique en RDC : corrompre pour détourner, et détourner pour corrompre.

Si pour les uns les victoires électorales non méritées et le positionnement politique insatiable justifieraient les actes de corruptions et des détournements répétés, pour les autres, par contre, l'instinct de survie, la longévité professionnelle, le souci de recevoir de la hiérarchie une promotion ou une affectation professionnelle favorable, en seraient le stimulus sacralisé. Dans cette seconde réalité, on peut compter d'autres catégories sociales variées, notamment les fonctionnaires publics, les magistrats, les agents taxateurs et percepteurs d'impôts, les contrôleurs fiscaux et budgétaires, les inspecteurs financiers, etc.

Il doit être sincère de rappeler qu'autant il n'existe pas de corrupteur sans corrompu, autant il n'existe pas de détourneur sans facilitateur, agissant tous dans une corréité criminelle harmonieuse. Il est ainsi difficile de concevoir qu'un juge s'est fait corrompre sans l'acte d'un corrupteur justiciable ou Avocat. Au regard de la loi pénale congolaise, les deux sont passibles des poursuites et de condamnation, corrompu et corrupteur.

Depuis quelques jours en RDC, condamner ou dénoncer la corruption et les détournements de fonds publics, est devenu un sujet tabou, et parfois un crime de lèse-majesté. Est-ce parce que la majorité des corrompus et des détourneurs sont dépositaires du pouvoir public ? Pourquoi devrait-on continuer, au 21ème siècle, à s'interroger sur quel citoyen congolais serait le premier à purger la peine d'emprisonnement pour corruption ? Qu'en-est-il du détournement ? Que des procès interminables et sans issue. Les détourneurs circulent librement et sortent du pays comme et quand ils veulent. Ceux qu'on emprisonne pour détournement ont naturellement la garantie d'être relaxés dès que possible, et par moment sans procès. Leur passage en prison n'est qu'une formalité de trompe-l'oeil.

Les juristes praticiens et les congolais avertis espèrent sans espoir que la corruption et le détournement des deniers publics soient classés parmi les préventions usuelles à l'instar du meurtre, du viol, du vol, d'abus de confiance, d'escroquerie, de coups et blessures,... dossiers qui bondent les offices de nos magistrats congolais. Devraient-ils attendre le coup d'envoi de l'actuel Ministre de la justice pour déclencher les poursuites aux corrompus, aux corrupteurs et aux détourneurs?

Chers compatriotes congolais, pourquoi sommes-nous contraints de normaliser aujourd'hui les actes de corruption et de détournement, pour lesquels les fonctionnaires d'autres États d'Afrique, d'Europe ou des États-Unis, sont punis exemplairement?

Le cas patent est celui d'un ancien ministre mozambicain en charge de transport qui a été poursuivi, jugé et condamné en 2020 pour blanchissement d'argent et corruption (Cfr. Rapport de l'ONG Transparency International sur la corruption des États de l'Union Africaine, 04 février 2021). Ce rapport indique que 44 pays africains sur les 55 ont ratifié à ce jour la Convention de l'Union Africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption (CUAPLC), une convention qui entend éradiquer la corruption dans les gouvernements et dans les affaires. Cependant, les données sur la mise en oeuvre effective de cette Convention ne sont pas fournies par la majorité des États membres, ce qui traduit le manque de volonté politique à faire régner la transparence sur les questions de corruption.

Au regard de tout ce qui précède, comment la RDC peut- elle survivre entre la corruption et le détournement des deniers publics ?

Répondre à cette question nous oblige d'aller au-delà du simple diagnostic de ces deux fléaux devenus endémiques, et de poser une thérapie à la fois préventive et curative.

En effet, il n'est pas possible d'endiguer la corruption et le détournement des deniers de l'État sans recourir au renforcement de la surveillance, à la discipline et à la coercition.

Du point de vue préventif les mécanismes suivants méritent d'être appliqués:

- Le recrutement qualitatif des animateurs des services publics en misant sur les véritables hommes d'Etat;

- La surveillance, le contrôle - qualité ou les audits de gestion, tous les 6 mois à l'intention de tous les gestionnaires des deniers et du patrimoine de l'État, contrôle sanctionné soit par un quitus de bonne gestion, soit par les poursuites disciplinaires ou judiciaires;

- L'indépendance et l'autonomie professionnelle due aux organes poursuivants et aux juges d'instruction. Si les magistrats de la Rome antique du 8ème siècle av. J.C étaient élus au suffrage universel direct et étaient tenus, chaque année, de rendre compte au peuple, la RDC du 21ème siècle ne perdra rien en modifiant la Constitution à l'effet de retourner au peuple congolais le pouvoir délire ses magistrats dans une approche de redevabilité populaire renforcée. C'est aberrant de parler de l'indépendance du pouvoir judiciaire en continuant d'admettre que ces derniers soient assujettis au pouvoir discrétionnaire de nomination et de révocation dévolu au Chef de l'État. Ne dit-on pas que la justice élève une nation et que les jugements sont exécutés au nom du peuple ?

Du point de vue curatif, deux thérapies peuvent juguler les virus économicides de corruption et détournement. Il s'agit de :

- La sanction disciplinaire très attendue dans le contexte de la RDC, où l'on constate souvent que les détourneurs et les corrompus continuent d'exercer leurs charges et de garder les postes, malgré les indices sérieux de culpabilité qui pèsent sur eux. Ainsi, j'ai toujours considéré d'irresponsable un chef d'établissement scolaire qui garde un enseignant dans la même classe où il venait de harceler sexuellement une mineure. La probabilité pour ce bourreau de violer sa victime est très forte si le chef d'établissement reste inactif. La suspension, voire la révocation sont des mesures disciplinaires qui conviennent pour réduire sensiblement le nombre des corrompus et des détourneurs publics;

- Les poursuites judiciaires diligentées contre les criminels susvisés doivent absolument aboutir aux condamnations pénales exécutoires. Le juge pénal n'a pas besoin d'une instruction hiérarchique du ministre de la justice pour poursuivre les détourneurs et les corrompus qui appauvrissent allègrement les caisses de l'État.

Je suis personnellement persuadé que les mécanismes préventifs et curatifs qui viennent d'être développés, loin d'être exhaustifs, peuvent à eux seuls servir pour chasser le démon de la corruption et du détournement, et bloquer ainsi le cycle infernal sus vanté.

Peuple congolais, considérerons, aujourd'hui, qu'il n'est pas possible que le monde extérieur nous prenne au sérieux et nous vienne en aide, si certains de nos compatriotes s'amusent avec l'argent de l'État, comme s'il s'agissait d'une compétition, par des soustractions faramineuses allant jusqu'au delà des centaines des millions des dollars, uniquement pour leur propre bonheur.

Nous avons le devoir solidaire et patriotique d'empêcher notre pays d'être le paradis de la criminalité financière institutionnalisée.

Kinshasa, le 20 Juillet 2024

Me Jean Bosco BADIBANGA, Avocat Congolais, Chercheur indépendant et défenseur panafricain

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