Alors que le continent possède d'importantes réserves de minéraux stratégiques, il devra résoudre les enjeux du raffinage et ne pas être victime de la concurrence entre la Chine et les USA.
L'Afrique est de nouveau confrontée à un défi existentiel. Son sous-sol, riche en minerais, lui offre une chance historique d'accroître son développement, alors que l'Europe, les Etats-Unis et la Chine sont engagés dans la décarbonation de leur économie.
Mais le continent africain connaît bien le revers de cette richesse en ressources naturelles. Sa dépendance aux exportations de matières premières a précarisé son économie, liée aux variations des cours sur les marchés internationaux. La quasi-absence d'industrie de transformation et de raffinage font que la création de richesse, dans la chaîne de valeurs des processus industriels, est localisée en-dehors du continent.
L'exemple du Nigeria, avec le pétrole, montre que cette "malédiction" prend la forme d'une corruption généralisée qui pourrait coûter au pays, d'ici 2030, 1.200 dollars par habitant, soit 37% du Produit intérieur brut, selon une étude de PricewaterhouseCoopers.
Sur le papier, la décarbonation de l'économie mondiale devrait profiter à l'Afrique. En effet, le continent possède plus d'un cinquième des réserves mondiales d'une douzaine de métaux essentiels à la transition énergétique, dont 19% de ceux nécessaires à la production de véhicules électriques.
Parmi eux : le cobalt en République démocratique du Congo, le manganèse en Afrique du Sud et au Gabon, ou encore le coltan (dont on extrait le niobium et le tantale) en RDC et au Rwanda.
Quant à la production, la place de l'Afrique est incontournable pour ce qui concerne le cobalt, le coltan et le manganèse, avec un rôle central joué notamment par la République démocratique du Congo qui, à elle seule, produit 70% du cobalt dans le monde.
Une explosion de la demande
Selon une étude publiée, fin avril, par l'Onu Commerce et développement, la Cnuced, "la demande de lithium pourrait augmenter de plus de 1.500% d'ici 2050, avec des évolutions similaires pour le nickel, le cobalt et le cuivre".
Mais parallèlement, la Cnuced met en garde les pays en développement contre une trop grande dépendance vis-à-vis des exportations de matières premières. Une dépendance déjà bien connue qui entrave le développement économique en Afrique.
"Les produits de base et la dépendance à leur égard, sont des questions au coeur du passé et surtout de l'avenir", a déclaré Rebeca Grynspan, secrétaire générale de l'Onu pour le commerce et le développement.
L'autre axe de cette étude est présenté sous forme d'un avertissement : "les investissements mondiaux dans les minéraux essentiels de la transition énergétique ne suivent pas la vertigineuse hausse de la demande".
Car pour atteindre les objectifs de zéro émission nette en 2030, ou de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, conformément à l'Accord de Paris, l'industrie mondiale pourrait avoir besoin de "70 nouvelles usines de lithium et de nickel chacune, et 30 nouvelles mines de cobalt", toujours selon cette étude.
Les investissements nécessaires d'ici 2030 sont évalués entre 360 et 450 milliards de dollars.
La Cnuced poursuit en soulignant que l'enjeu pour l'Afrique est de mettre en place, sur son sol, des processus de raffinage pour ces minéraux stratégiques de la transition énergétique.
La RDC a fait un premier pas avec le projet de raffinerie de cuivre et de cobalt dans la province du Lualaba, dans le sud du pays. L'entreprise privée congolaise Buenassa, qui va conduire le projet, a reçu un premier financement de 3,5 millions de dollars de l'Etat congolais.
La raffinerie pourrait être opérationnelle d'ici fin 2027 et devrait, dans un premier temps, produire annuellement 30.000 tonnes de cathodes de cuivre et 5.000 tonnes d'hydroxyde de cobalt, utilisé dans la fabrication d'électrodes de batteries.
Les Etats-Unis veulent assurer leur accès au cobalt
Ces minerais proviendront en grande partie de mines artisanales congolaises. Le coût total de la construction de cette raffinerie devrait atteindre environ 350 millions de dollars ; la société de conseil financier Delphos International Ltd., basée à Washington, a accepté d'aider à lever des fonds.
Car les Etats-Unis souhaitent assurer leur accès à ce minerai stratégique qui est en grande partie raffiné aujourd'hui par la Chine.
Cette tension stratégique n'est pas une bonne nouvelle pour la lutte contre le réchauffement climatique. "La collaboration devrait être priorisée sur la compétition", a expliqué Marina Zhang, lors d'un séminaire organisé en juin dernier par le Sipri, l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Suède).
La suprématie mondiale est aussi au centre de cette compétition pour les minéraux stratégiques, dont certains, comme l'aluminium, tiré de la bauxite, sont aussi utilisés dans l'industrie de l'armement.
"Les Etats-Unis et leurs alliés dominent la chaîne d'approvisionnement, la Chine domine le processus de raffinage", a précisé Marina Zhang.
L'Afrique au coeur de la compétition
En 2030, la Chine devrait ainsi contrôler quasiment la totalité du raffinage du graphite et les trois quarts de celui du cobalt. Le risque géostratégique du cobalt est considéré comme "élevé" par l'Agence internationale de l'énergie.
Etant donné, de surcroît, que la production de ces minéraux stratégiques (graphite, cobalt, coltan, nickel, terres rares et manganèse) se situe en grande partie dans des pays dont les institutions politiques sont considérées comme "instables ou très instables" par le rapport du World Mining Data, alors que sont réunis tous les ingrédients d'une compétition mondiale dans un contexte de tensions géostratégiques accrues.
Le continent africain se retrouve bien entendu au centre de cette rivalité.
Kinshasa et Pékin ont ainsi conclu un accord de 6,2 milliards de dollars pour l'échange de minerais contre des infrastructures. Un accord qui serait toutefois en cours de renégociation, selon les déclarations du président congolais, Félix Tshisekedi.
L'enjeu pour la RDC est clair : sortir d'un concept industriel qui se limite à exporter des matières premières, car entre le minerai de cobalt et les batteries pour véhicules électriques, la valeur du marché est multipliée par 600.
Toutefois, bâtir un réseau de raffineries se heurte à un obstacle majeur : l'alimentation électrique. Comme le rappelle Cullen S. Hendrix, chercheur au Peterson Institute for International Economics, basé à Washington, dans une étude publiée en décembre 2022, l'activité extractible minière est peu gourmande en énergie. En revanche, les raffineries le sont.
"Le raffinage de la bauxite nécessite en moyenne plus de 3.000 kWh par tonne métrique de produit raffiné, et celui du cobalt près de 4.700 kWh par tonne métrique", écrit-il. Un défi de taille pour un pays comme la RDC où, en 2022, selon les chiffres de la Banque mondiale, seul un Congolais sur cinq (21,5%) avait accès à l'électricité.
Pour assurer l'alimentation électrique de futures raffineries, Cullen S. Hendrix déconseille ainsi la RDC, mais aussi les gouvernements africains dans leur ensemble, de se tourner vers les hydrocarbures et propose de développer des sources renouvelables, comme les centrales hydroélectriques.
Des prix qui se sont effondrés
L'autre défi - et il est de taille - concerne la chute des prix qui touche les minéraux de la transition, à l'exception du cuivre toutefois qui parvient à se maintenir.
En raison de ce recul, le marché s'est réduit de 10% en 2023, pour une valeur de 325 milliards de dollars, précise l'Agence internationale de l'énergie dans son rapport 2024 sur les perspectives des minéraux stratégiques.
"Le marché des minerais critiques a connu une année mouvementée en 2023 et la principale caractéristique a été la chute des prix. Les minerais pour batteries ont connu des baisses particulièrement importantes : les prix au comptant du lithium ont chuté de 75% et d'autres matériaux clés tels que le nickel, le cobalt, le manganèse et le graphite ont connu des baisses de 30% à 45%", peut-on lire dans ce rapport.
Plusieurs facteurs ont contribué à la chute des prix, mais le plus important semble être une surproduction de cellules de batteries et de cathodes en Chine. Celle-ci a entraîné une hausse des stocks qui s'est combinée à un ralentissement du taux de croissance des ventes de batteries pour véhicules électriques.
Jose Fernandez, le sous-secrétaire américain à la Croissance économique, à l'Energie et à l'Environnement, a ainsi récemment accusé le groupe chinois CMOC Group Ltd., très présent en RDC, notamment dans l'exploitation de la mine de Tenke Fungurume, d'utiliser des tactiques "prédatrices" pour faire baisser les prix en inondant le marché de cobalt provenant des mines congolaises.
Malgré tout, toujours selon l'Agence internationale de l'énergie, la demande est restée soutenue en 2023, celle de lithium augmentant de 3% et celle de nickel, de cobalt, de graphite et de terres rares progressant de 8 à 15%.
"La mondialisation, telle que nous la connaissions est terminée", a martelé Sophia Kalantzakos, de la New York University Abu Dhabi, lors du séminaire du Sipri.
"Les Etats-Unis parlent de politique industrielle et mettent en place des politiques protectrices. L'Union européenne aussi. Quant à la décarbonation de l'économie, aura-t-elle vraiment lieu ? Les Etats-Unis sont devenus les premiers producteurs de pétrole dans le monde et ils ne sont pas prêts, pas plus que les Européens, à produire tous les véhicules électriques dont nous avons besoin."