Ile Maurice: Environnement vs économie

Qui a dit que le monde était parfait ?

Joanna Bérenger, dans une interview intéressante dans l'express de mardi, décortique l'opposition apparente entre le développement et l'environnement et nous confronte avec certaines des réalités de l'espèce humaine et de la vie.

Nous sommes tous d'accord que l'utilisation de l'énergie propre et renouvelable est éminemment souhaitable. Cependant, rien n'étant parfait en ce bas monde, le soleil ne brille pas tout le temps et les éoliennes sont parfois privées des alizées qui leur sont nécessaires. Que fait-on alors ? On parle, bien sûr, de batteries conséquentes de lithium-ion qui stockeront les excédents produits dans de bons jours et il est vrai que le prix de ces batteries a chuté dramatiquement de 780$/KWh à 139$ / KWh entre 2013 et 2023, soit par 82 %.

Mais ne nous voilons pas la face. Ces batteries sont, pour le moment, principalement du type Lithium-ion et s'il y a suffisamment de lithium pour la révolution des voitures électriques, il n'est pas certain, à lire entre les lignes, que cela couvrira aussi les besoins des batteries qui lisseront la production d'électricité à partir du soleil et du vent pour toute la planète avant 2030 (*).

De plus, l'extraction du lithium est elle-même polluante, l'extraction d'une tonne de lithium requérant 500 000 litres d'eau, par exemple, qui peuvent empoisonner les rivières, les réservoirs ou les nappes phréatiques. L'avenir, dit-on déjà, se trouverait dans des alternatives au lithium-ion ou dans l'extraction du lithium de la mer (pollution moins visible ?). On ne fait pas «des oeufs sans casser quelques omelettes», nous dirait le ministre Hurreeram. Ce qui est par contre lamentable, c'est que notre pays, qui promet 60 % de renouvelable pour 2030, a vu la part de l'énergie renouvelable chuter une fois encore, cette fois de 19,2 % du total en 2022 à 17,2 % en 2023...

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Joanna Bérenger répète, comme d'autres, qu'il faut être «alimentairement autosuffisant». On est tous d'accord que c'est, une fois encore, éminemment souhaitable. Mais au vu de nos expériences passées et de nos connaissances, est-ce seulement possible ? Malgré des efforts de plusieurs gouvernements pour soutenir plus de production locale, nous ne semblons pas être capables de produire, parmi d'autres, le riz, le blé, le café, les céréales, la viande, les fruits (pommes, oranges, raisins), les grains, l'huile de cuisine, les produits laitiers que nous consommons.

Parmi les importations qui dérangent : le poisson ! Même s'il est vrai qu'une grosse partie de nos importations sont transformées pour être réexportées, la zone économique exclusive de 2,3 millions de km2 apparaît plus comme un symbole de virilité plutôt inutile, que la base solide d'une «économie bleue» que l'on on a de cesse, pourtant, de vanter. Les accords de pêche que nous signons nous rapportent-ils autant que souhaité ? Possiblement, démunis que nous sommes en outils de surveillance, même avec un Boeing P-8I Poséidon occasionnel à Agaléga ! Notre choix se résume-t-il donc à être totalement pillé de nos ressources halieutiques, sans accord, et d'être pillé un peu moins, avec ?

Sujet final : l'immobilier de luxe pour expatriés. Ce n'est d'évidence pas la meilleure option quand et si l'on peut choisir librement, mais les mendiants que nous sommes n'ont pas grand choix... Une économie de production est, a priori, préférable à une économie de consommation, c'est sûr, mais il y a certainement une raison pour laquelle les 88 000 emplois de la zone franche d'entre 1990 et 2000 étaient réduits à 52 000 en 2011 et 33 293 en 2023... !

Si nous employons de plus en plus d'étrangers dans la construction, comme caissiers ou dans la zone franche, on peut penser que ces emplois ne sont pas particulièrement recherchés ? La réaction récente à une usine de nettoyage de graphite peut faire penser que l'on est bien plus conscient ces jours-ci qu'une économie de production produit aussi quelques inconvénients... Accepterions-nous aujourd'hui, par exemple, les teintureries d'hier de la zone franche ?

La vérité est que sur environ 520 000 employés en 2022, il ne restait plus que 28 600 dans le secteur primaire (agricole) et 118 200 dans le secteur secondaire de la manufacture ; le gros des emplois ayant donc migré vers le secteur tertiaire des services. Ces tendances illustrent sans doute les 'préférences' de travail des Mauriciens et c'est probablement dans le secteur des services qu'il faudra donc piocher plus dur pour générer les devises qui nous manquent afin de combler le déficit de la balance des comptes courants (- 12 % du PIB, hors offshore...).

Il y a le secteur de la finance bien sûr, le secteur ICT, le tourisme et le para-touristique auquel on a intérêt à ajouter et à soutenir les services éducatifs et ceux de la santé, d'autant que, bilingues, nous pourrions desservir toute l'Afrique dans des niches spécialisées... Le Gaming plutôt que l'AI ? Les algues ? La pharmacologie, bien sûr, si on peut encore !

En attendant, sans les devises générées ponctuellement par l'immobilier de luxe ces dernières années, nous aurions été encore plus embarrassés... Il suffit ainsi de souligner que ce secteur a alimenté le pays de 70,5 milliards de roupies, en devises, entre 2019 et 2023, dont 17,6 milliards dans les seules années Covid où il n'y avait quasiment plus de touristes. Sans ces apports, il y aurait eu encore plus de difficultés à trouver des devises en banque, vous ne croyez pas ?

Notre avenir économique ne se trouve certes pas dans le seul immobilier de luxe. Cependant, nous aurions intérêt à ne pas cracher dans la soupe, tant que nous aurons soif !

Autre sujet qui touche l'environnement : l'eau ! La Banque mondiale nous catégorise comme le 32e pays le plus pluvieux au monde avec 2 041 mm de pluie à l'année (**). C'est une véritable surprise ! Nous recevons donc plus de pluie que les Maldives (35e, avec 1,972 mm/an) le Brésil (43e avec 1,761 mm/an), le Royaume-Uni (74e, 1220 mm/an) ou la France (100e, 867 mm/an).

Dans cette circonstance, il est quand même inacceptable que nous soyons toujours incapables d'assurer une fourniture d'eau 24/7 dans ce pays qui ne fait pourtant que 720 miles carrés, alors même que c'est une des priorités nationales du présent gouvernement depuis son avènement en 2016 ! Il y a donc de cela HUIT ans !

Il n'y a, a priori, AUCUNE raison d'opposer les assoiffés du village du Morne aux hôtels du groupe Beachcomber (l'express du 23 juillet). Ils devraient tous pouvoir avoir de l'eau ! Les 2 041 mm de pluie annuelle peuvent, en effet, se traduire à 3 800 millions de mètres cubes d'eau. Or, facturés à un prix ridiculement bas, ce qui encourage le gaspillage, nous consommons en moyenne 1 028 m³/personne/an, ce qui représente le TIERS de la pluie qui nous tombe dessus annuellement. Il ne reste pas assez de marge pour alimenter tout le monde ? Il suffirait d'ailleurs, séparément, de réduire le pourcentage de 'pertes d'eau' dans la tuyauterie des 55-60 % actuels, de moitié et tout le monde vivrait content, si la distribution devenait enfin efficace, non ? C'est mathématique ! C'est compliqué ? Ça prend plus de HUIT années ?

Les faits sont les suivants : des 3 800 millions de m3 de pluie, 30 % s'évaporent, 10 % vont aux nappes souterraines et 60 % finiront dans les rivières (puis les réservoirs ou la mer). Or, 48 % de l'eau consommée (selon le dernier rapport annuel publié pour l'année... 2018/19 ! (Il y a donc de cela CINQ ans !) provient des seules nappes souterraines ! Ce même bilan rapporte une production de 285,4 millions de m3 d'eau et une consommation de 124,2 millions de m3 - ainsi le chiffre redoutable et inadmissible de 56,5 % de Non-Revenue Water(NRW) ; moins tendrement appelé «Pertes Dans les Tuyaux» (PDT).

Autres faits : 66 % de l'eau traitée est pour usage domestique. Le tourisme utilise 5 %. Nous avons dépensé des dizaines de milliards pour Safe City, Côte-d'Or, Agaléga, un Metro et sûrement pas assez pour l'EAU 24/7 ?

Dans une étude datant de 2011, Messers A. Sookun et D. Deepchand présentaient des estimations de l'efficacité avec laquelle on utilise l'eau (***), citant des chiffres de la SADC. Ainsi le Water Use Intensity qui décrit combien d'eau il faut pour produire un dollar de revenus était de 40 litres en moyenne, l'industrie demandant seulement 4,2 litres/dollar de revenu alors que l'agriculture demandait... 820 litres ! On est sûrement capable d'actualiser pour le cas mauricien, incluant alors le tourisme et le tertiaire ? Si ces chiffres sont toujours pertinents, il y aurait une sérieuse réflexion à apporter... Encore que l'agricole utilise largement de l'eau non traitée...

Pour terminer, les déchets où nous n'avons apparemment pas d'autres choix que d'aller 'à la verticale'; personne ne souhaitant une nouvelle Mare-Chicose dans son environnement immédiat... Les faits : nous produisons déjà 550 000 tonnes de déchets à l'année. 60 % de ces déchets sont compostables. 15 000 bacs ont été distribués depuis qu'ils sont devenus gratuits, mais on ne nous dit pas combien sont effectivement utilisés et le pourcentage des 330 000 tonnes compostables qui est effectivement... composté ! Ça ne rassure définitivement pas...

Quand on aura fouillé Mare-Chicose pour un maximum de 'verticalité', on va faire quoi ? Exporter nos déchets vers le quart-monde ? Il y a une solution durable à trouver entre le tri, le compostable, le 'Waste to Energy' et un style de vie moins dense en déchets.

Avant que la verticalité ne nous retombe, un jour, paf !, sur la tête.

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