Rwanda: Les débâcles résiduelles du Mécanisme résiduel

Le Mécanisme onusien, après avoir exercé durant quatorze années les fonctions dites « résiduelles » des tribunaux internationaux pour le Rwanda et pour l'ex-Yougoslavie, vient d'être prolongé, pour achever ses propres tâches résiduelles. Concernant le Rwanda, il doit sortir de l'impasse dans au moins trois grandes débâcles.

Le 11 juin dernier, la juge Graciela Gatti Santana l'a affirmé : « Nous avançons de façon constante sur la voie de l'achèvement » des travaux du Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux (le « Mécanisme »). La présidente de l'héritier des tribunaux onusiens pour le Rwanda et pour l'ex-Yougoslavie s'exprimait devant le Conseil de sécurité des Nations unies.

Le même jour à la même tribune, le Belge Serge Brammertz, procureur du Mécanisme, s'est félicité d'avoir retrouvé tous les fugitifs rwandais mis en accusation - après l'arrestation de Fulgence Kayishema en Afrique du Sud en mai 2023, et la confirmation, en mars et mai 2024, que les trois dernières personnes recherchées (Aloys Ndimbati, Ryandikayo et Charles Sikubwabo) étaient mortes depuis plus de 25 ans.

Le Conseil de sécurité en prend note dans sa résolution du 27 juin, reconduisant le procureur Brammertz pour un mandat de deux ans, qui se trouve chargé dorénavant d'achever les « fonctions résiduelles restantes ». Le Conseil lui enjoint « d'établir des prévisions claires et réalistes pour l'achèvement de toutes ses activités ». Cette stratégie devra, notamment, résoudre plusieurs questions brûlantes : le transfert bloqué de Fulgence Kayishema de l'Afrique du Sud vers le Rwanda ; l'absence de pays d'accueil pour Félicien Kabuga toujours détenu à La Haye, un an après l'arrêt de son procès ; enfin, la relocalisation des personnes acquittées ou libérées, assignées à résidence au Niger depuis deux ans et demi.

L'impasse sud-africaine

La situation de Kayishema, qui dès son arrestation en Afrique du Sud le 24 mai 2023, s'est trouvé pris entre frictions diplomatiques et stratégies bureaucratiques, reste sans issue.

Le dernier développement est une requête de la défense aux fins de divulgation de documents qui seraient d'importance pour s'opposer à son transfert au Rwanda. Ces documents, sous scellés, sont relatifs à une demande du procureur qu'il soit remis au Mécanisme. La défense cite une correspondance entre Brammertz et les autorités sud-africaines, dans laquelle ces dernières indiquent qu'« elles ne pouvaient plus aider [à retrouver et à appréhender Kayishema] tant que son mandat d'arrêt prévoyait son transfert vers le Rwanda ». Celle-ci a conduit le procureur à demander l'amendement du mandat d'arrêt afin qu'il mentionne que Kayishema sera transféré à Arusha aussitôt arrêté - en dépit du fait que le Mécanisme a formellement transféré son dossier au Rwanda en 2012.

Pour ses avocats, Philippe Larochelle et Kate Gibson, « M. Kayishema a l'intention d'explorer tous les moyens possibles pour s'opposer à son transfert au Rwanda ». L'accusation a refusé de les divulguer. Pour Brammertz, « puisque l'affaire Kayishema a été renvoyée au Rwanda pour y être jugée, la divulgation est entre les mains des autorités juridiques nationales rwandaises ». Mais la Chambre a, dans sa décision du 26 juin 2024, instruit au procureur de « rendre publiques ces documents », excepté la correspondance avec les autorités sud-africaines. La Chambre a jugé que puisque la confidentialité était essentielle pour protéger la traque en cours de Kayishema, une fois celui-ci arrêté il n'y a plus « de raisons exceptionnelles pour maintenir la confidentialité ». Le procureur a contesté la décision.

De source proche du dossier en Afrique du Sud, des affidavits et autres témoignages ont déjà été déposés en défaveur du transfèrement de Kayishema dans son pays natal. Pour le moment, il est poursuivi pour des infractions à la loi sur l'immigration. Par la suite, les avocats proposeront certainement un autre pays où il pourrait être jugé, l'Afrique du Sud étant une des options, entendu que les lois du pays donnent juridiction sur les crimes de génocide. Contacté, Me Larochelle n'a pas voulu en dire plus sur le ou les pays envisagés.

Kabuga en liberté sous séquestre

L'ex-richissime homme d'affaires rwandais reste en prison malgré sa mise en liberté pour raisons de santé, il y aura un an au mois d'août. Quand la Chambre d'appel a fait tomber le rideau final sur cette affaire, elle a demandé à la Chambre de première instance « de traiter rapidement la question de la détention provisoire de Kabuga ». Le mois suivant, celle-ci ordonnait au greffier « de s'engager avec la défense et d'user de ses bons offices pour fournir tout le soutien possible » dans ses contacts avec les « juridictions nationales dans lesquelles M. Kabuga demande une mise en liberté provisoire ».

Depuis décembre 2023, des tractations ont eu lieu avec un État, dont le nom n'a pas été divulgué. Le 18 janvier 2024, la Chambre de première instance a rendu une ordonnance confidentielle demandant à cet État, ainsi qu'aux Pays-Bas en tant que pays hôte, de présenter des observations. Le 7 février, l'État dans lequel Kabuga a demandé à être mis en liberté provisoire a répondu qu'il refusait de l'accueillir. Les Pays-Bas, pour leur part, ont déclaré qu'il ne peut pas être libéré sur leur territoire car, selon le juge Bonomy, « il n'a pas le droit d'y résider ».

Le 15 février, la Chambre a rendu une ordonnance « dans l'intérêt de la transparence » pour verser une soumission reçue par le greffe du ministère de la Justice du Rwanda, qui estime que le Rwanda est une destination appropriée pour la mise en liberté provisoire de Kabuga. La Chambre a noté qu'elle ne prendrait pas en compte cette demande, dans la mesure où « la mise en liberté provisoire de M. Kabuga au Rwanda n'est pas une question d'actualité ».

Lors d'une conférence de mise en l'état, datant du 26 mars, il a été demandé à la défense un état de lieux des démarches, ce qu'elle a préféré faire à huis clos. Au terme du huis clos, quelques informations ont filtré : le président de la chambre, Iain Bonomy, a informé le public que derrière les rideaux, il y avait eu « un débat très actif sur les différentes possibilités liées à la libération provisoire de M. Kabuga » ; le juge Bonomy a aussi demandé à être informé de l'état d'avancement des demandes introduites auprès de « deux États européens distincts » ; il a aussi précisé que, dans l'éventualité où aucune de ces options ne progresserait, la Chambre devrait envisager de prendre l'initiative de trouver un État d'accueil pour Kabuga.

Contactés par Justice Info, son avocat Emmanuel Altit et sa famille sont restés muets. Ils ont aussi gardé le silence sur le remboursement par Kabuga des fonds que le Mécanisme a engagés pour sa défense, après avoir reconnu que Kabuga n'était pas indigent. La décision du greffier du 6 octobre 2023, la première dans l'histoire de la branche d'Arusha du Mécanisme, veut que Kabuga rembourse l'intégralité de ses frais de défense - estimés à 1,184,500 USD, au moment de la décision - puisque ses actifs et comptes bancaires localisés en Belgique, Royaume Uni, Rwanda et au Kenya le permettraient, selon le constat du greffe.

Dans cette décision, le greffier a précisé que cette décision était subordonnée à l'attribution à Kabuga de fonds et de biens gelés, par le Mécanisme et à la demande du procureur, auxquels il n'a pas accès à l'heure actuelle.

Les infortunés de Niamey

La difficulté de relocaliser Kabuga évoque celle des six personnes acquittées ou libérées toujours bloquées à Niamey au Niger, placées en résidence surveillée depuis Noël 2021. Deux d'entre eux y sont déjà décédés : le colonel Tarcisse Muvunyi, 10 juin 2023, et le colonel Anatole Nsengiyumva, début mai cette année. Selon l'un de ceux qui restent au Niger « les conditions de vie sont à l'origine de leur décès ». La chaleur sahélienne pour ces ressortissants des zones tempérées de l'Afrique de l'Est, souvent sans climatisation dans leur résidence-prison faute d'électricité, la dépression due aux conditions d'incarcération dont ils sont l'objet, sont autant de raisons qu'il estime être à l'origine des décès.

À cela s'ajoute pour eux l'inquiétude de leur possible transfert au Rwanda, leur pays natal qui a manifesté son intention de les recevoir. Dans sa résolution du 27 juin, le Conseil de sécurité « note que, dans les décisions portant sur la réinstallation de personnes acquittées ou de personnes ayant exécuté leur peine, il convient de considérer notamment si l'État d'origine est prêt à accueillir ses ressortissants, si les personnes devant être réinstallées y consentent ou émettent éventuellement des objections et s'il existe d'autres États possibles pour leur réinstallation ». Le 11 juin, la présidente du Mécanisme admettait que leur situation « est malheureusement dans l'impasse et rappelle tristement que des obstacles persistent dans le domaine de la coopération ». Elle rappelait que « le soutien durable des États et des autres parties prenantes est essentiel pour garantir le bon fonctionnement du processus de justice. Sans cela, la crédibilité de la justice internationale dans son ensemble est menacée ».

Contacté par téléphone par Justice Info, Innocent Sagahutu pense que « le Rwanda fait tout pour nous bloquer ici. Il est temps de chercher peut-être une solution dans les pays dans lesquels le Rwanda ne peut avoir d'influence. Le greffier nous dit que tel ou tel autre pays a manifesté l'intention de nous recevoir, mais après un laps de temps, il nous informe que le pays concerné s'est retenu, ne voulant pas gâcher ses relations avec le Rwanda ».

Autant de contentieux que le Mécanisme doit régler avant la fin de son mandat, dont le Conseil de sécurité recommande « d'établir, le plus tôt possible, des prévisions précises et ciblées pour l'achèvement de toutes ses activités, dont en particulier les activités touchant les affaires en cours et le contrôle de l'exécution des peines, et de présenter en temps voulu des solutions pour le transfert des activités qu'il lui faut encore exécuter ».

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