Ile Maurice: Inquiétude et remise en question

Un incendie, des blessés et le va-et-vient incessant des pompiers. Tel est le quotidien des habitants de Roche-Bois depuis le samedi 27 juillet. Pour cause : eux, qui y habitent depuis belle lurette, ont cru vivre l'enfer après qu'un incendie a éclaté au dépotoir. Nous nous sommes rendus sur le terrain hier.

Il est 10 h 30 et nous sommes à Roche-Bois. Le chemin qui mène tout droit au dépotoir que les habitants appellent robis est plongé dans un cauchemar depuis samedi. Un incendie dévastateur a ravagé le dépotoir, transformant ce coin paisible en un théâtre de désolation et de désespoir. C'est un soleil tapant qui donne sur une scène apocalyptique qui nous accueille. Une fumée épaisse et âcre enveloppe les maisons avoisinantes, rendant l'air presque irrespirable.

Le chemin qui mène au dépotoir est impraticable, masqué par la fumée.

L'odeur suffocante de plastique brûlé semble dominer l'odeur des ordures qui s'infiltre dans chaque recoin, étreignant les poumons et exacerbant l'angoisse des résidents. Les mouches sont éparpillées et les murs noirs, le noir témoignant de l'intensité des flammes qui se sont abattues sur le dépotoir depuis samedi. Dans la rue, des habitants sont assis sur des rochers, et guettent les passants, les camionnettes de police et les camions de pompier qui défilent.

Les pompiers, visages marqués par l'épuisement, se relaient sans cesse pour tenter de maîtriser les flammes, du moins ce qui reste. L'ardeur de leur combat contre le feu se heurte à la ténacité des flammes, nourries par les tonnes de déchets accumulés. Chaque jet d'eau semble insuffisant face à ce brasier infernal qui refuse de s'éteindre.

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Les récupérateurs de bouteilles en plastique attendaient hier devant le dépotoir pour récupérer celles qu'ils avaient déjà ramassées.

Parmi les spectateurs silencieux, les habitants de la région, pour beaucoup des récupérateurs de bouteilles en plastique, observent la scène avec une détresse palpable. Ces hommes et femmes, habitués à arpenter le dépotoir à la recherche de matières à revendre, voient leur source de revenus partir en fumée. Ils sont plus d'une centaine à travailler ici tous les jours. Pour eux, ce feu signifie bien plus qu'une simple perte matérielle : c'est une menace directe à leur survie quotidienne.

Mélanie, 40 ans, vêtue d'un chemisier rose et d'un jogging, est assise sur le bord du mur entourée des autres travailleurs. Pour elle, cet incendie marque un tournant dans son quotidien. «C'est comme une vie qui brûle là. Chaque bouteille, chaque morceau de plastique, c'était de quoi nourrir nos enfants. Maintenant, il ne nous reste plus rien. On ne vole personne ; on vient travailler ici et même si cela nous rapporte Rs 300 par jour, c'est Rs 300 que je peux utiliser pour donner à manger à mes enfants», confie cette mère célibataire de quatre enfants. «Éna zanfan kinn resi al liniversite avek sa kas-la. Nou travay sa, kifer nou bizin onte pou dir?», confie Mélanie, rejointe par ses autres amies.

Les excavateurs toujours à pied d'oeuvre au dépotoir ce lundi.

Au loin, derrière les buissons sur une colline qui donne sur la droite du dépotoir, surgi un homme, le visage noirci sous l'épaisse fumée. Celui qui nous guette depuis très tôt se confie. Bryan, c'est son nom et lui aussi est père de famille, tente de dissimuler son désespoir derrière un masque de résilience. «On a déjà si peu. Voir notre seule source de revenus disparaître comme ça... c'est insupportable.» Ses yeux, rouges de fatigue et d'émotion, trahissent une peine que les mots ne peuvent contenir. Il s'efforce de s'essuyer le visage de ses mains déjà devenues noires.

«Mo'nn tann enn bann depite pe dir nou kinn met dife ladan? Zot serye la? Alor nou pou sorti nou lakaz, met dife dan nou baz kot nou gagn nou lavi?», se demande Bryan. Lui qui connaît ce lieu est catégorique. L'incendie a été provoqué par des bonbonnes inflammables. «Des camions sont venus jeter beaucoup de bonbonnes qui sont inflammables. Avec la chaleur du moteur qui est entré en contact avec ces bonbonnes, ça a causé une explosion et le feu s'est répandu.» Il n'hésite pas à nous montrer l'une de ces bonbonnes.

Ce sont ces aérosols qui ont provoqué l'incendie, selon les habitants.

L'atmosphère est lourde, chargée de tension et de désespoir. Les enfants, habituellement rieurs, restent accrochés aux jupes de leurs mères, silencieux et apeurés. Chaque crépitement du feu, chaque explosion de bouteilles de gaz jetées là par des citoyens inconsidérés font sursauter le coeur de la communauté entière.

Les autorités locales assurent que tout est mis en oeuvre pour éteindre l'incendie, mais pour les habitants de Roche-Bois, le temps semble suspendu. Chaque heure qui passe sans solution concrète renforce leur sentiment d'abandon et d'impuissance.

Est-ce que nous gérons bien nos déchets ? Cette tragédie soulève plusieurs questions. Il y a non seulement la vulnérabilité de ceux qui vivent à proximité de tels dépotoirs, mais aussi l'urgente nécessité de revoir la gestion des déchets dans notre pays. Les flammes de Roche-Bois sont un cri d'alarme, une sombre illustration des conséquences humaines et environnementales de notre négligence collective.

Alors que les pompiers continuent leur lutte acharnée contre le feu, les habitants de Roche-Bois, eux, luttent pour ne pas perdre espoir. Dans chaque regard, dans chaque geste se lit une détermination à reconstruire, à survivre malgré tout.

Liseby Jean, 40 ans et victime de l'incendie: «Kan finn ena sa explozionla, mo finn prozete»

Elle est parmi les trois victimes de l'incendie de samedi. Au moment de l'explosion qui a provoqué l'incendie, Liseby se trouvait sur le lieu et ramassait des bouteilles de plastique qu'elle revendait pour gagner un peu de sous pour subvenir aux besoins de sa famille dont quatre filles. «J'ai vu des aérosols avec l'écriteau inflammable qui jonchaient le sol. Normalement, ces aérosols-là ne se trouvent pas là. J'ai vu un camion venir et, comme d'habitude, il repoussait les ordures. À un moment donné, le camion a roulé sur les aérosols et il y a eu une explosion. J'ai senti la chaleur et j'ai été projetée plus loin», confie Liseby.

Liseby Jean a eu les bras brûlés par les flammes.

De là, Liseby se souvient s'être réveillée dans une ambulance qui l'a transportée à l'hôpital Dr A. G. Jeetoo, où elle a reçu les premiers soins. Elle a eu des brûlures sur les bras et les hanches. Liseby se soucie néanmoins de l'état de santé du chauffeur de camion, un Bangladais qui était blessé. Ce dernier serait toujours à l'unité des soins intensifs. Il travaille pour une compagnie située à Sainte-Croix.

Nous avons contacté son employeur et attendons une réponse. Quant à la troisième victime, il nous revient qu'elle s'en est sortie avec de légères blessures et est hors de danger. Du point de vue de l'environnement, le ministère de tutelle assure qu'aucun signe de pollution n'a été détecté dans les zones avoisinantes du dépotoir de Roche-Bois. C'est ce qui ressort d'un communiqué émis du bureau du ministère de l'Environnement hier. Les habitants ne sont pas du même avis.

...Et les hanches aussi.

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