Pays de traditions authentiques, dans lequel se côtoient christianisme et islam, le Burkina Faso a su trouver le lien fertilisant qui favorise une cohabitation pacifique entre les croyants des différentes religions. Malgré la violence extrémiste et terroriste actuellement en cours, le pays des Hommes intègres reste toujours un exemple solide de tolérance religieuse aux yeux du monde. Cette vie harmonieuse se manifeste, entre autres, par le respect de la foi de l'autre, le mariage interreligieux et la participation aux évènements sociaux sans distinction de religion. Constat dans le Centre-Nord !
Napagba, quartier du secteur 1 de Kaya. Nous sommes à l'église Béthanie I, inaugurée en janvier 1994. 8h53mn. En cette matinée du dimanche 23 juin 2024, les fidèles, Bibles en mains, envahissent le temple. Le message du jour : le retour de Jésus Christ basé sur 1 Thessaloniciens 4-13, développé par le pasteur Daniel Sawadogo. L'église est adossée (nord) à la mosquée de Napagba. Les deux lieux de culte sont mitoyens. Les musulmans qui ont bâti le mur l'ont cependant doté d'une entrée à double sens entre l'église et la mosquée.
« Nous avons expliqué aux protestants que le mur vise à mettre fin aux rendez-vous nocturnes. Nous avons convenu que la porte s'ouvrira le matin et se refermera le soir », justifie Moussa Sawadogo, formateur de la mosquée. Une route est dégagée pour joindre les deux lieux de culte.
Depuis 15 ans, musulmans et protestants vivent en parfaite symbiose. Selon le pasteur Théodore Sawadogo, c'est grâce aux musulmans qu'il a pu ériger son église. « Ce sont des musulmans qui m'ont conduit vers ce terrain qui appartenait au papa de Kosam-badjo, un fervent musulman. Le projet de l'église était déjà ficelé et il n'y a eu aucune opposition du côté du propriétaire terrien », s'en félicite-t-il.
En plus de prier dans ces lieux de culte mitoyens, musulmans et protestants du quartier de Napagba s'entraident lors des évènements sociaux. « Lors du décès de mon fils aîné, les musulmans sont venus me présenter leurs condoléances », confirme le pasteur Sawadogo. L'imam de la mosquée, El hadj Halidou Sana affirme que les protestants lui ont remonté le moral lors du décès de sa mère.
Le prédicateur Moussa Sawadogo renchérit : « un musulman voulait marier une fille d'un protestant, c'est nous qui avons célébré le mariage. Ce jour, j'ai fait savoir au public que nous sommes de religions différentes mais tous du fils d'Adam ». Pendant les fêtes de ramadan et tabaski, le pasteur Sawadogo et ses fidèles rendent visite aux leaders musulmans.
Le même rituel est accompli par ces derniers pendant les célébrations de la Noël et Pâques. Selon Moussa Sawadogo, la cohésion qui existe entre les deux communautés religieuses découle surtout des actions de sensibilisation des leaders religieux sur la tolérance religieuse, le dialogue interreligieux et le respect envers les non-musulmans. La paix est une valeur cardinale (Romain 12-18) , se plaît à réciter le pasteur Théodore Sawadogo.
« J'ai toujours dit aux fidèles de faire en sorte que notre présence ici ne soit pas un moyen de querelle », insiste-t-il, ajoutant que chaque année, les enfants musulmans bénéficient de leur part des cadeaux de l'arbre de Noël comme ceux des fidèles de l'église. Saidou Sawadogo et son épouse Kadidja Ouédraogo fréquentent l'église Béthanie I depuis 1996.
Leur seule voie pour rejoindre leur église est la cour de la mosquée. Ils sont de ceux qui ne manquent pas de rendre une visite de courtoisie à l'imam de leur quartier lors des fêtes musulmanes. En retour, El hadj Sana et ses proches communient avec Saidou et sa famille pendant les fêtes chrétiennes. Kadidja Ouédraogo et les musulmanes participent ensemble aux mariages, baptêmes et décès. Adama Ouédraogo est un vendeur de téléphones portables et accessoires au bord du goudron.
Depuis 4 ans, lui aussi emprunte la voie qui traverse la cour de l'église jusqu'à la mosquée. Il n'a jamais senti d'opposition à cela. « On se souhaite même régulièrement bonnes prières », atteste-t-il.
Respecter la foi de l'autre
Au Burkina Faso, le mariage interreligieux est célébré à l'église ou à la mosquée. Résidant au secteur 4 de Kaya, El hadj Abdoulaye Soulla (55 ans), pharmacien, vit avec la catholique Charlotte Sanon depuis 1999. « On s'est rencontré sur les bancs lorsque j'étais à l'université et elle au lycée. On a cheminé ensemble pendant au moins six ans avant de se marier à l'église, à la mosquée et devant le maire », raconte M. Soulla.
Dès le départ, ils ont décidé que chacun conserve sa foi. Leurs parents n'ont pas aussi trouvé d'inconvénients. « J'ai un frère catholique dont sa fille est une soeur religieuse. A mon jeune âge, je l'accompagnais à l'église à Gorom-gorom. Je lisais la Bible pour les fidèles sans être catholique. Je connais tout ce qui est de l'évangile », explique le pharmacien. Chacun pratique sa religion dans le respect de la foi de l'autre. « Je lis la Bible à la maison et le monsieur son Coran. Je fais le carême de 40 jours et lui, le jeûne de 30 jours. Parfois, il m'accompagne dans le carême de vendredi », se félicite Charlotte. Le pharmacien reconnait d'ailleurs que la présence de son épouse a aidé à raffermir sa foi en islam.
« C'est grâce à elle que je suis aujourd'hui un bon musulman. Elle m'a encouragé à faire le pèlerinage à la Mecque en 2023 », confesse-t-il. Grace au soutien financier de son mari, Charlotte Sanon a effectué, elle aussi, le pèlerinage chrétien à trois reprises : Jérusalem en 2017, Italie en 2015 avec son époux et Abidjan en 2021. Le couple Soulla fête le ramadan, noël et la saint sylvestre (31 décembre).
Pâques et tabaski, elles, sont célébrées en grande famille avec les parents. Leurs trois enfants sont baptisés des deux religions. Charlotte Sanon dit bénéficier de l'accompagnement de son époux dans sa foi chrétienne. « A Ouagadougou, il me déposait à l'église chaque samedi soir et dimanche matin pour la messe et revenait me chercher. A Kaya, c'est pareil », glorifie-t-elle. Le couple Soulla exhorte les croyants à être tolérants.
Faire noël dans la maison du musulman
Selon Inoussa Comparé, imam à l'Association des élèves et étudiants musulmans au Burkina Faso (AEEMB), par ailleurs imam du Cercle d'études, de recherches et de formations islamiques (CERFI), l'Islam autorise aux musulmans à se marier à une musulmane, juive ou chrétienne.
« Aux musulmans, Allah leur dit à la sourate 5 verset 5 du Coran : vous sont permises les femmes vertueuses entre les croyantes et les gens qui ont reçu le Livre avant vous. Nous comprenons donc que le musulman peut marier une musulmane, chrétienne ou juive », clarifie-t-il.
L'imam Compaoré précise que si le musulman marie une chrétienne ou juive, il n'a aucun droit à la contraindre à abandonner sa religion pour le rejoindre dans sa foi et mieux, il doit la respecter et l'accompagner dans sa croyance. « C'est dans ce sens que le prédicateur disait que l'on peut faire noël dans la maison du musulman s'il marie une chrétienne », insiste-t-il.
Cependant, M. Compaoré prévient que la quasi-totalité des savants est d'accord pour dire qu'il est fait interdiction à la musulmane de se marier à un autre qu'un musulman. A écouter, l'abbé Bruno Ouédraogo, coordonnateur diocésain de justice et paix, par ailleurs coordonnateur régional de l'Observatoire national des faits religieux (ONAFAR) du Centre-Nord, l'amour n'a pas de religion.
« S'il y a de l'amour entre deux partenaires de religions différentes, l'église catholique accepte vraiment avec coeur le mariage mixte, afin qu'elle puisse semer sa graine de paix partout là où elle est », déclare-t-il. Se référant aux saintes écritures (Genèse 2-24, Matthieu 19-5-6, 1 Corinthiens 7-39, Lévitique 18-22 dans 2 corinthiens 6-14-17), le pasteur Théodore Sawadogo, président de la Fédération des églises et missions évangéliques (FEME) du Sanmatenga et président régional de l'église des Assemblées de Dieu (AD) du Centre-Nord, indique que les croyants doivent se marier dans le Seigneur. Ainsi, selon lui, le mariage interreligieux n'est pas autorisé par l'Église protestante.
Une « petite mosquée » à l'évêché
Un autre exemple solide de tolérance religieuse est l'embauche de Hamado Sawadogo à l'évêché de Kaya comme gardien. Agé de 59 ans, front noirci avec une barbichette blanche, ce fervent musulman a travaillé pendant six ans à la résidence de l'évêque. « Lorsque j'ai appris que l'évêché recrutait un gardien, j'ai déposé mon dossier. Un jour, j'ai reçu un appel de l'économat annonçant mon recrutement.
Je me suis demandé s'il ne s'est pas trompé de numéro. Comment un fervent musulman peut travailler dans la cour d'un monseigneur ? », s'interroge-t-il. Prenant son courage à deux mains, il se présente pour l'entretien. Après les modalités de travail, Hamado évoque sa religion. « Ils m'ont rassuré que je ne suis pas venu pour me convertir », se souvient le retraité.
Le premier jour de travail, Hamado honore ses cinq prières. Prenant confiance, il érige une « petite mosquée » à l'évêché pour prier avec ses visiteurs. A chaque fête chrétienne, le natif de Pampa bénéficie de vivres. Le jour de ramadan et tabaski, il reçoit une visite à domicile d'une délégation de prêtres. Hamado était chargé d'égorger les poulets et animaux pour le repas. « Si je ne suis pas de garde, ils envoient un enfant venir me chercher à la maison », se remémore-t-il. Un séjour plein d'anecdotes :
« Un jour, j'ai commencé la prière et cela a coïncidé avec la sortie de Mgr Thomas Kaboré. J'ai rompu la prière pour ouvrir le portail. Chose qu'il a refusée. Il est descendu ouvrir le portail sortir son véhicule et redescendre le fermer. Cela m'a beaucoup marqué », se rappelle Hamado. De même, poursuit-il, lors d'une visite du cardinal Philippe Ouédraogo à l'évêché, il l'a encouragé dans sa foi avec un billet de 5 000 F CFA.
Hamado est admis à la retraite en 2020 à l'âge de 55 ans après six ans de service. Il dit avoir bénéficié d'une somme d'environ 300 000 F de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) comme cotisation de l'évêché de Kaya. Cette somme lui a permis de mettre en place une pépinière de fleurs et d'arbres. Notre interlocuteur traduit toute sa reconnaissance à l'Eglise catholique pour cette tolérance religieuse.
Une traduction de la laïcité
Selon l'abbé Bruno Ouédraogo, la tolérance religieuse est l'acceptation et le respect des convictions d'autrui dans sa pratique religieuse. C'est pourquoi, l'imam Inoussa Compaoré estime qu'elle est une nécessité dans une société plurielle pour un fonctionnement harmonieux, une cohésion sociale et un vivre ensemble. Pour le coordonnateur de l'Union fraternelle des croyants (UFC) de Dori, François Paul Ramdé, la tolérance religieuse est simplement la traduction de la laïcité.
Il pense qu'en dépit de l'extrémisme violent sous le couvert de religion, elle est une réalité dans les actes et dans le quotidien des Burkinabè « même s'il ne faut pas fermer les yeux». Cette préservation de la tolérance religieuse au pays des Hommes intègres est le résultat d'énormes efforts consentis par les autorités et associations religieuses.
Aux dires de l'abbé Ouédraogo, sa structure mène quotidiennement diverses activités telles que la promotion de la paix, la formation de la jeunesse sur le dialogue et le respect des droits humains, l'organisation des théâtres fora et ciné-débats pour sensibiliser les populations sur la coexistence pacifique. Pour lui, toutes ces actions menées au niveau national visent un changement de mentalité et l'adoption de comportements tolérants les uns envers les autres.
Depuis 1969, avec ses comités locaux de paix, l'UFC-Dori travaille d'arrache pieds à promouvoir le dialogue interculturel et la paix au niveau quartiers, villages, des différentes localités et autour des leaders religieux et coutumiers, de sorte que le vivre ensemble soit maintenu par l'alerte, la prévention et la gestion pacifique des conflits. Selon l'imam du CERFI, la Fédération des associations islamiques du Burkina (FAIB) initie quotidiennement des prières spéciales (kunut) pour la paix au Burkina.
« Plusieurs fois, la FAIB a fait prononcer le même discours lors des prières de vendredi dans toutes les mosquées du Burkina et ayant trait à la situation nationale », ajoute M. Compaoré. Il cite également les formations sur un Islam de paix et de miséricorde organisées dans les différentes mosquées et associations religieuses et la mobilisation de biens en nature et espèces de près d'un milliard F CFA pour soutenir l'effort de paix. Pour préserver la tolérance religieuse au Burkina, les intervenants sont tous unanimes que les Burkinabè doivent redoubler d'efforts.
« D'abord, les leaders religieux doivent se comprendre et marcher ensemble. C'est-à-dire s'accepter, se connaitre, se fréquenter afin de relever ensemble les défis humains », propose François Paul Ramdé. Il exhorte les communautés religieuses à accepter que la religion doit être un élément d'humanisation. Pour lui, le dialogue de vie doit être une réalité dans les quartiers.
M. Ramdé prie que la question du dialogue interreligieux soit une question partagée au niveau national. « Nous pensons qu'on n'a pas fait assez, sinon on aurait peut-être pu contrer certains problèmes que le Burkina vit aujourd'hui, si le dialogue interreligieux avait été abordé depuis une trentaine d'années », déplore le coordonnateur de l'UFC-Dori.
Inoussa Compaoré, lui, invite les communautés à accepter que la diversité religieuse est de l'ordre de la volonté de Dieu sinon il l'aurait fait des Hommes une seule communauté. Abbé Bruno préconise de combattre l'ignorance dans les sociétés. Quant au pasteur Théodore Sawadogo, il invite les autorités à la bonne gouvernance afin de réduire les inégalités sociales, « source de tensions ».