Selon la communauté scientifique, le lénacapavir pourrait changer la donne dans la lutte contre la transmission du VIH alors que chaque année, 1,3 million de personnes contractent le virus dans le monde. L'enjeu, c'est désormais de rendre accessible ce traitement.
Comment fonctionne ce nouveau moyen de prévention ?
Le lénacapavir est un traitement préventif antirétroviral produit par le laboratoire américain Gilead. Il s'adresse donc à des personnes qui ont un risque élevé d'être exposées au VIH, soit car elles font partie de certains groupes à risques (hommes gays, travailleurs du sexe). Soit qu'elles vivent dans une région du monde où la prévalence du virus est très forte, comme en Afrique subsaharienne. Ou les deux.
Cette molécule est déjà utilisée comme traitement de dernier recours et en association avec d'autres antirétroviraux dans des cas de résistance à tous les autres médicaments antirétroviraux. D'un point de vue médical, c'est ce qu'on appelle un inhibiteur de « capside » du VIH, cette boîte qui abrite le génome du virus. C'est-à-dire qu'il empêche le virus de se répliquer. « Là, il s'agit d'appliquer ce médicament à des fins préventives », précise François Dabis, épidémiologiste et ancien directeur de l'Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS), en l'administrant deux fois par an par injection.
La semaine dernière, la présentation des résultats d'une nouvelle étude, devant un parterre d'experts lors de la 25e conférence internationale sur le sida de Munich, s'est achevée par une standing ovation. Mené en Afrique du Sud et en Ouganda sur plus de 5 000 femmes et adolescentes de 16 à 25 ans, l'essai clinique a été particulièrement concluant : 100% d'efficacité. Aucune infection n'est apparue dans le groupe de femmes tirées au sort pour recevoir le lénacapavir. À tel point qu'il a été interrompu plus tôt que prévu afin que toutes les femmes qui le désiraient puissent bénéficier de cette prévention.
« C'est probablement la plus forte efficacité jamais mesurée pour un médicament préventif de la transmission du VIH et il s'agit d'une étude à grande échelle menée dans des conditions parfaitement rigoureuses », s'enthousiasme l'épidémiologiste qui a beaucoup travaillé sur la prévention. Une excellente nouvelle, d'autant que, ajoute-t-il, « jusqu'à présent, tous les autres médicaments pour prévenir la transmission, qui étaient donnés à des femmes, étaient toujours moins efficaces ou posaient plus de problèmes que ceux donnés à des hommes ».
Une avancée majeure par rapport aux précédents ?
Depuis une dizaine d'années, il existe déjà un traitement pour prévenir la transmission du virus, la prophylaxie pré-exposition (PrEP). Mais le lénacapavir revêt plusieurs avantages qui justifient l'enthousiasme des scientifiques. Outre son efficacité, c'est sa praticité qui est mise en avant. Même s'il existe aujourd'hui un traitement préventif qui impose une injection tous les deux mois, le Truvada, la PreP la plus couramment utilisée, doit se prend en comprimé de façon quotidienne ou à proximité des rapports à risque. Elle est donc très contraignante.
Lors de l'essai clinique de Gilead, les deux autres groupes de femmes ont reçu la Truvada ou un de ses dérivés génériques. Seize femmes sous Truvada sur 1038 ont été malgré tout été infectées, pour un ratio à peu près identique chez celles ayant reçu un dérivé. Des taux d'infection qui demeurent proches des femmes qui ne bénéficient pas de traitements préventifs dans ces pays.
Un résultat qui peut s'expliquer par un défaut « d'observance », le respect des prescriptions, avec l'abandon progressif du médicament. « L'efficacité de la prévention dépend beaucoup de la capacité des personnes à régulièrement adhérer à ce type de traitement. Mais déjà, il faut avoir conscience qu'on prend des risques et être dans un environnement où n'a pas de craintes d'être jugé », commente Bruno Spire, directeur de recherches à l'Inserm.
L'observance est donc un enjeu central et, à cet égard, le lénacapavir pourrait être un « game changer » (en français, changer la donne), estime le spécialiste. Une injection sous-cutanée deux fois par an seulement, « c'est très léger et très discret », résume François Dabis, qui rappelle par ailleurs que ce traitement n'a « a priori pas d'effets secondaires ».
« Un autre avantage, analyse Bruno Spire, c'est que lénacapavir appartient à une classe de médicaments qui n'a rien à voir avec ceux utilisés pour traiter la maladie. Donc même si on attrapait le VIH malgré tout, il n'y a pas de croisement entre le traitement préventif et les traitements curatifs avec ces molécules qui pourrait occasionner des résistances. »
Avec ce nouveau traitement, y a-t-il encore besoin d'un vaccin ?
Certains médias ont comparé le lénacapavir à un vaccin, mais ce n'en est pas un, rappellent nos deux spécialistes, dans la mesure où ce médicament ne stimule pas le système immunitaire. Même si, en termes d'efficacité et de contrainte, on s'approche des avantages d'un vaccin.
« Cela n'empêche pas qu'on poursuive aujourd'hui la recherche, estime François Dabis, mais à partir du moment où on dispose d'un médicament préventif dont l'efficacité est proche de 100%, il est évident que la recherche d'un vaccin devient de plus en plus compliquée, car il faudra faire au moins aussi bien. Le niveau d'exigence devient incroyablement élevé. »
Quand ce traitement préventif sera-t-il accessible ?
Il va falloir encore patienter avant de voir sur le marché le lénacapavir. Gilead attend les résultats d'ici à la fin de l'année d'un nouvel essai, qui cible cette fois les hommes homosexuels et les personnes transgenres en Amérique du Sud et du Nord, en Afrique du Sud et en Thaïlande.
Les agences du médicament américaine et européenne devront ensuite donner une autorisation de mise sur le marché. Si, au vu de la solidité de l'étude, les recommandations d'usage devraient être rapides, prévoit François Dabis, également conseiller scientifique auprès du ministère de la Santé, la question du financement suscite plus d'« inquiétudes ». Un défi, notamment pour les pays à faible revenu. Car, aujourd'hui, ce traitement coûte plus de 40 000 dollars.
« On a fait un progrès scientifique immense qu'il faut maintenant traduire en application réelle, insiste l'épidémiologiste. Mais cela ne peut fonctionner que si ces médicaments sont à des prix extrêmement bas, et si les brevets sont confiés à des firmes qui en font des formulations génériques. Ce n'est pas sûr que les laboratoires qui ont développé ce type de produit soient prêts à le faire aussi vite que l'on attend d'eux. Mais la pression va être immense, estime-t-il. Comme celle qu'il y a eue à la fin des années 1990 quand les trithérapies sont arrivées. »
Le docteur Fodé Simaga, directeur de la science, des services et des systèmes pour tous à l'Onusida confirmait, le 22 juillet sur l'antenne de RFI, que les négociations avaient déjà commencé : « Ça va vraiment être révolutionnaire si on arrive à faire en sorte que les prix soient accessibles. L'Onusida travaille très fort là-dessus. On est en train de discuter avec les industries pharmaceutiques, etc ».
Lors de la conférence internationale de Munich, la directrice de l'Onusida a fait un plaidoyer très fort en ce sens, en déclarant que cela pourrait « annoncer une percée dans la prévention du VIH » si le médicament était disponible « rapidement et à un prix abordable ».
De son côté, Gilead a déclaré qu'il était « trop tôt » pour fixer le prix mais a promis « une stratégie visant à permettre un accès large et durable à l'échelle mondiale ».
Peut-on, grâce au lénacapavir, espérer atteindre les objectifs fixés par l'ONU de mettre fin au sida en tant que menace pour la santé publique d'ici à 2030 ?
La lutte contre le VIH a fait des progrès encourageants ces dernières années, avec 39% de nouvelles infections en moins dans le monde en 2023 par rapport à 2010, selon le dernier rapport de l'Onusida. Le recul est particulièrement notable en Afrique. Moins 57% de nouvelles infections enregistrées en Afrique australe et de l'Est, moins 46% pour l'Afrique de l'Ouest et du centre. Mais avec 1,3 million de nouvelles infections par an en 2023 alors que les dirigeants internationaux s'étaient engagés à réduire les nouvelles infections à moins de 370 000 par an d'ici à 2025, notait l'agence onusienne, on est encore loin du but.
Si de plus en plus de monde a accès aux médicaments, les inégalités persistent. L'incidence du VIH chez les adolescentes et les jeunes femmes reste toujours exceptionnellement élevée en Afrique subsaharienne. Le lénacapavir peut constituer un espoir de toucher cette cible.
Autre frein : la stigmatisation de certaines populations marginalisées qui éloigne la communauté LGBT+ ou les travailleurs du sexe des services de prévention et des traitements. Sur ce point, certains pays ont connu des retours en arrière.
Enfin, les financements ont diminué, souligne l'Onusida. « Il y a un désengagement national comme international dans la lutte contre le du fait du contexte international marqué par la guerre en Ukraine et le réchauffement climatique », dénonçait le Dr Simaga.
À condition qu'il soit accessible donc, « clairement, ce traitement préventif rajoutera une arme à l'arsenal déjà à disposition dans cette "guerre" qu'on mène contre le virus », juge François Dabis, qui espère que l'« on approche des dernières batailles ».